Quand l’utilisation d’une grille d’observation devient un véritable outil de conscientisation
Galli Mariela, Langlois Gaëlle, Lebourdais Perrine, Pissarro Bernard
Santé conjuguée n° 50 - octobre 2009
Né dans les années 70, principalement au Québec, le concept de « santé communautaire » s’enracine dans plusieurs démarches : le développement social, notamment les travaux de Paolo Freire au Brésil sur la conscientisation dans les années 60, et le développement de la promotion de la santé avec la charte d’Ottawa en 1986. La santé communautaire étant une démarche de conscientisation assortie d’une méthodologie rigoureuse appliquée au domaine de la santé, l’expression « démarche communautaire en santé » est privilégiée depuis quelques années.
L’Institut Renaudot promeut depuis plus de vingt ans les démarches communautaires en santé, démarches qui visent à développer la place de l’ensemble des acteurs impliqués dans le bien-être d’une communauté. En 1998, l’Institut Renaudot a formalisé les valeurs partagées, les objectifs, des axes de pratiques de santé communautaire dans le cadre d’une charte de promotion des pratiques de santé communautaire. Cette charte précise : « Une action de santé sera dite communautaire lorsqu’elle concerne une communauté qui reprend à son compte la problématique engagée, que celle-ci émane d’experts ou non internes ou non à la communauté (l’ensemble d’une population d’un quartier, d’une ville, d’un village, des groupes réunis pour un intérêt commun, une situation problématique commune). ». Le Secrétariat européen des pratiques en santé communautaire (SEPSAC) a été créé pour promouvoir le développement de la santé communautaire. En 2005, il a mis en oeuvre un travail d’observation et d’analyse de vingt et une démarches communautaires en santé en France, en Belgique et en Espagne. Les acteurs français, belges et espagnols issus de différentes structures se sont livrés à une observation méthodique de leurs pratiques. L’objectif était d’identifier des points de repères communs aux pratiques communautaires en santé dans des contextes très variés. Huit repères ont ainsi été identifiés et ont permis de construire des critères et indicateurs d’évaluation formalisés dans une grille d’observation qui a ensuite été testée par ces acteurs. Ce travail a permis, entre autres, l’élaboration d’une grille d’observation de démarches communautaires en santé à partir de huit repères (cf. ci-dessous). A la suite de ce travail l’Institut Renaudot (branche française du SEPSAC) conduit depuis 2007 une recherche-action visant à évaluer les effets des démarches communautaires en santé sur trois déterminants de santé. Dans le cadre de cette recherche-action conduite sur cinq ans, la sélection des équipes-projet pour la rechercheaction s’est faite à partir des repères définis dans la phase précédente. La dizaine d’équipes-projet associées ont éprouvé le besoin de se situer dans leur démarche communautaire c’est-à-dire d’évaluer dans quelle mesure leurs pratiques s’inscrivent dans une démarche communautaire. Pour cela, une démarche d’observation a été mise en place :- utilisation comme outil d’observation de la grille d’observation du SEPSAC ;
- analyse individuelle des données recueillies ;
- puis analyse collective et échange entre équipes projet sur leurs avancées concernant leur démarche.
La Fédération des maisons médicales et l’Institut Renaudot ont réalisé une brochure explicitant cette démarche, destinée aux acteurs de terrain et décideurs : « Action communautaire en santé : un observatoire des pratiques de 2004 à 2008 », novembre 2009. Cette brochure récemment publiée avec le soutien de la Communauté française ainsi que du ministère du Travail, des Relations sociales, de la Famille, de la Solidarité et de la Ville de la République française, est disponible à la Fédération des maisons médicales et à l’Institut Renaudot.La grille d’observation du SEPSAC La démarche communautaire en santé est caractérisée par un faisceau de repères interdépendants et complémentaires. Certains de ces éléments se réfèrent plus particulièrement à la stratégie communautaire (les quatre premiers), d’autres à la promotion de la santé (les trois suivants), le dernier est centré sur la méthodologie (par souci de compréhension, nous présentons ici les huit repères et pour chacun d’entre eux, donnons un exemple de question figurant dans la grille d’observation et se rapportant à ce repère). Des repères spécifiques à la stratégie communautaire 1. Concerner une communauté : « Parmi les acteurs cités (habitants, décideurs institutionnels, élus, professionnels), pouvezvous dire lesquels vous englobez sous le terme ’communauté’ ? » 2. Favoriser l’implication de tous les acteurs concernés dans une démarche de co-construction : « Organisez-vous des activités permettant à la population d’exprimer ses demandes et ses besoins ? Les personnes appartenant à la communauté concernée, ont-elles la possibilité de s’impliquer de différentes manières, à différents rythmes, dans votre projet/programme ? Existe-t-il un cadre précis négocié précisant les rôles, les responsabilités, la place et la légitimité de chacun des partenaires du projet ? » 3. Favoriser un contexte de partage de savoir et de pouvoir : « Existe-t-il une possibilité de participation aux réunions décisionnelles pour toutes les catégories d’acteurs (avec éventuellement une information ou une formation pour que cette participation soit effective) ? Existe-t-il des moments d’échanges de compétences organisés ? » 4. Valoriser et mutualiser les ressources de la communauté : « Avez-vous fait un bilan des ressources et des compétences de l’ensemble des acteurs (communauté concernée et partenaires du projet) au départ, ou dans les débuts du projet ? Ce bilan a t-il été diffusé à l’ensemble des acteurs ? » Un repère méthodologique 5. Avoir une démarche de planification par une évaluation partagée, evolutive et permanente : « Les étapes du projet ont-elles été planifiées au départ du projet ou au fur et à mesure, en fonction de l’avancement du projet ? Organisez-vous des moments de bilan en commun permettant de réorienter certains aspects du projet ? » Des repères relatifs à une approche en promotion de la santé 6. Avoir une approche globale et positive de la santé : « Existe-t-il un cadre de référence commun, un document, explicitant une définition partagée de la santé globale et positive par les partenaires du projet ? Si oui, qui a participé à la construction de ce document ? » 7. Agir sur les déterminants de la santé : « Parmi les facteurs influençant la santé listés ci-dessous, quels sont ceux qui sont abordés dans votre projet (facteurs personnels, facteurs sociologiques, facteurs économiques, facteurs environnementaux, facteurs institutionnels…) ? », « Dans le projet, y a t-il des objectifs visant à faciliter l’accès aux droits, aux soins, à la compréhension du système administratif, à l’information, à la culture ?… » 8. Travailler en intersectorialité pour la promotion de la santé : « Quels sont les domaines de compétences des professionnels, institutionnels, élus qui participent au projet ? » L’utilisation de la grille d’observation Pour mieux se situer dans leur démarche communautaire, neuf équipes-projet ont demandé à l’Institut Renaudot de les accompagner dans l’utilisation de la grille d’observation. Cet accompagnement s’est déroulé en plusieurs étapes : 1. Le remplissage de la grille par chaque équipe-projet : la grille d’observation n’ayant pas été élaborée par les équipes-projet, l’Institut Renaudot a eu pour rôle de clarifier les questions, de lever des ambiguïtés et de relancer la réflexion pour aller plus précisément dans l’appropriation de la grille. Selon les terrains, le remplissage de la grille s’est fait de différentes manières :
- Soit, ce sont tous les membres de l’équipeprojet (habitants, élus, professionnels) qui ont répondu ensemble à la grille ; dans un deuxième temps, l’Institut Renaudot les a aidés à préciser leurs réponses.
- Sur d’autres terrains, l’ensemble de l’équipe-projet a complété la grille directement avec l’Institut Renaudot.
- Ailleurs, seuls les représentants des équipes-projet ont complété la grille directement avec l’Institut Renaudot.
Conclusion
La grille d’observation du SEPSAC a autant servi d’outil pédagogique et méthodologique d’accompagnement et de conscientisation des équipes-projet que d’outil de connaissance et de description de ce qu’est une démarche communautaire. Se situer par rapport aux repères du SEPSAC a été un des éléments qui ont permis aux équipesprojet :- de mieux analyser leur démarche et de construire leur référentiel d’évaluation ;
- de faire évoluer leurs représentations et attitudes quant à l’évaluation. Elle n’est plus perçue comme une évaluation « contrôle », mais comme un outil de pilotage de sa propre action ;
- de prendre conscience qu’il n’existe pas une mais des démarches communautaires en santé.
- Concerner une communauté : on ne parle plus de public cible, de public touché, mais de personnes qui se retrouvent autour d’une même problématique et qui agissent pour trouver une solution.
- Favoriser l’implication de tous les acteurs concernés dans une démarche de co-construction : que met-on en place pour qu’à toutes les étapes du projet (diagnostic, action, évaluation), tous ces acteurs (habitants, élus, professionnels, institutionnels) aient un rôle actif ?
- Favoriser un contexte de partage de savoir et de pouvoir : le partage de savoir tend de plus en plus à être reconnu comme un aspect indispensable. Néanmoins, la mise en place d’espaces où chaque acteur participe à la prise de décision est moins courante et pourtant tout aussi fondamentale dans la mise en place des démarches communautaires en santé.
- Valoriser et mutualiser les ressources de la communauté : c’est en partant des ressources de la communauté et en les développant au service de tous que la démarche communautaire a son sens.
Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
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