Aller au contenu

Mon mari est parti en paix

Santé conjuguée n° 51 - janvier 2010

Auteur anonyme, épouse d’un patient suivi en maison médicale. Un homme est mort. Sa compagne l’avait fait transférer du premier hôpital où il était soigné de manière « responsable » vers un autre où on l’a soigné avec humanité. Elle a écrit une lettre aux gens du premier hôpital pour leur « expliquer ». Elle a adressé une copie de ce courrier à son médecin traitant qui s’est senti comme coupable d’avoir conseillé ce premier hôpital. Elle a accepté que Santé conjuguée reproduise cette lettre. Pour que nous n’oubliions jamais le sens véritable de notre métier de soignant.

Les initiales sont fictives. Mon mari M. est mort le 23 novembre 2009 à 10h50 à l’institut P. Après 12 journées d’examens et de diagnostic à l’hôpital B., votre hôpital, j’avais eu beaucoup de difficultés à assurer – malgré vous – ce que vous avez nommé son transfert «sauvage» et je suis heureuse de l’avoir fait. Dans ces quelques semaines d’horreur que nous avons vécues, les derniers 15 jours se sont passés dans un hôpital à dimension humaine. Je n’en rêvais plus après notre séjour chez vous. A P., il nous a été donné de vivre ces moments particulièrement durs, douloureux et définitifs dans un établissement de soins qui place réellement la lutte contre la douleur, le respect du fortent… Imaginez vous que l’assistante en charge du dossier de mon mari le voyait DEUX fois par jour, sans que je n’aie à la pourchasser et à la guetter (j’étais pourtant devenue très forte à ce jeu pendant nos semaines à B.). Imaginez vous qu’elle connaissait vraiment tout son dossier ! A l’inverse de certains des spécialistes croisés chez vous. Que pendant ses périodes de repos, ses collègues étaient, elles aussi, averties de chaque évolution et prenaient en compte chaque demande, chaque question… Pouvez-vous imaginer que le lundi l’assistante a réussi sans échographie préalable une ponction d’ascite indispensable ? Je me souviens que dans votre hôpital, les trois tentatives avortées d’une de vos oncologues continuaient à ajouter une douleur supplémentaire et bien inutile 5 jours après cette belle intervention. Bravo à ce médecin « responsable et transparent » qui avait bien annoncé dès son entrée dans la chambre du huitième « que cela ne marcherait sans doute pas ». Est-ce là votre méthode habituelle ou nouvelle pour sécuriser le patient ? Savez-vous qu’à l’institut P., j’ai pu accompagner mon mari dans chacune de ces interventions puisqu’elles étaient pratiquées en milieu non stérile ? Cela lui donnait à lui de la force et à moi le sentiment de partager (même mal) son calvaire. A B., ma présence dans la chambre stressait certains professionnels dont « Madame, veuillez sortir », comme nous l’avions surnommée… Savez-vous que, quand j’étais sur le point de craquer, je n’ai jamais entendu aboyer « Calmez vous madame vous n’avez pas à vous énerver comme cela », ce que votre permalade comme de son entourage et la sollicitude réelle et chaleureuse envers eux, au premier plan de ses préoccupations. Dans cet institut, imaginez vous qu’un chef de service existe… Et surtout que nous l’avons vu régulièrement !!! Qu’il a su avec humanité ne pas raconter de mensonges à mon mari tout en évitant les « frappes chirurgicales » de la transparence auxquelles l’hôpital B. nous avait habitués. Qu’il m’a annoncé la perspective la plus atroce avec douceur et sympathie dans un bureau réservé à cet usage. C’est con sans doute mais certains verdicts prononcés froidement, comme ce fut le cas à B., dans un couloir entre deux portes avec une précision seulement médicale paraissent encore plus insoutenables… sans parler de celui proféré au patient avec de malheureux voisins de chambre présents et contraints de fuir pour cacher leurs larmes. Ce chef de service a même poussé le sens de l’humain jusqu’à considérer que moi, la plus proche du malade, sa compagne depuis 25 ans saurait mieux que lui trouver les mots pour partager l’inéluctable… Il n’avait pas dû entendre parler de votre principe du « patient responsable » et de son droit (!!) à la vérité crue, nue et impitoyable. Dans cet institut, imaginez-vous que toute l’équipe du service, depuis l’infirmière en chef jusqu’aux personnes de l’entretien, a réussi à nous donner à la fois l’intimité indispensable à ces derniers moments de vie (ils frappent à la porte avant d’entrer !!) et la chaleur d’humains qui partagent la peine d’autres humains. Toujours un sourire, un « Monsieur M », des soucis pour mon confort (!), des gestes qui récon6 Santé conjuguée – janvier 2010 – n° 51 sonne soignant ne s’est pas privé de répéter… Délicat souvenir d’un jeudi noir : pendant que l’homme que j’aime se faisait torturer inutilement au huitième (la fameuse ponction !) je me faisais traiter comme une hystérique parce que des dossiers promis et indispensables au transfert de mon mari en France se promenaient quelque part dans les services postaux belges ? Dans cet institut, savez-vous que j’ai pu être présente jour et nuit, avec des proches venus nous rejoindre ? Et cela non seulement sans problème mais au contraire avec toute l’aide matérielle et morale de l’équipe du service. Savez-vous que les infirmières, TOUTES les infirmières s’enquerraient constamment de la douleur ; elles en guettaient les signes sur le visage, le corps de M. et y apportaient rapidement une aide. Ah ! Ces heures à se battre à B. pour obtenir un malheureux comprimé inefficace de MS direct 10® !! Ou encore l’ordonnance sous-dosée et impossible à délivrer hors contexte hospitalier lors de nos sorties autorisées mais sans suivi adéquat ni médications complètes ! Savez-vous que le code éthique à P. n’interdit pas les gestes de réconfort, les paroles douces ni même de s’intéresser à l’être humain condamné… Que faisait-il ? Qu’aimait-il ?… Comme cela peut être bon cette simplicité dans le contact et cette personnalisation d’un corps souffrant… Savezvous qu’après le décès, la doctoresse, les infirmières, les aides soignantes m’ont soutenue les larmes aux yeux ? Mon mari est parti en paix, aidé constamment par toute une équipe médicale qui considère que le respect de l’être humain comporte aussi une part de tendresse (eh oui j’ose ce mot) et pas seulement des principes de responsabilisation de l’individu (après les chômeurs activés par l’Onem, voici venir à B. le temps des cancéreux responsables). Dieu (pardon au libre examen ce n’est qu’une formule !) sait si mon compagnon a fait face avec courage et lucidité. C’était un homme fort et responsable dont tous, unanimement, ont admiré le stoïcisme souriant, la force et la détermination de faire face avec ténacité, contrairement à certaines notes assassines de son dossier à B. qui le décrivent comme anxieux… Vive le Xanax® que vous distribuez sans compter ! Avez-vous rencontré beaucoup d’hommes de 60 ans que l’annonce d’une mort rapide n’ait pas inquiétés ? Faut-il comprendre qu’à B. le « bon » patient est celui qui accueille avec le sourire examens douloureux (sans sédation) et verdict de mort… ? Je m’en voudrais d’oublier votre blonde tabacologue : remerciez-la d’avoir longtemps fait rire M…. C’est vrai que son brillant diagnostic de dépression, à traiter avant d’attaquer le sevrage tabagique et assené après quelques minutes de discussion à peine, relevait du grand art !!! Dommage qu’elle n’ait pu apporter de réponse satisfaisante quant à la durée du traitement face à un malade en phase terminale ! Elle l’a fait bien rire, c’est déjà ça… Et moi j’ai plus honte que jamais de faire partie, au moins formellement, de la confrérie des « psys » souverains et cons à la fois. Le temps me reste… long, trop long à m’interroger sur ce que vaut la pratique médicale – même hautement technicisée – sans le coeur, sans le respect de l’autre qui existerait encore lorsque celui-ci est réduit à l’état de « patient ». Je m’interroge sur ces pratiques qui confondent politique de vérité et assassinat psychologique. Je m’interroge sur la place de la compassion : serait-elle trop judéo-chrétienne pour de bons scientifiques librepenseurs ? Mécréante moi-même, j’en viens à regretter les valeurs dites « cathos » ; aime ton prochain… C’est beau quand même, surtout quand il s’agit de douleur et de mort. Avec infiniment de regret d’avoir cru à votre réputation hautement scientifique et d’avoir écouté les conseils d’amis convaincus que vous étiez les meilleurs…

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 51 - janvier 2010

L’amiante: crime de masse en temps de paix

L’amiante tue les travailleurs, on le soupçonne depuis plus de 100 ans, on le sait depuis plus de 50 ans. Dans l’indifférence ou, pire, le déni. Le nombre précis de ses victimes ne sera jamais connu.(…)

- Laurent Vogel

La sous-déclaration des cancers respiratoires professionnels, en particulier dûs à l’amiante

En Belgique, comme dans d’autres pays de l’Union Européenne, bon nombre de cancers bronchopulmonaires liés à une exposition à l’amiante ne sont pas déclarés au FMP. Dans ce contexte, de nombreux patients perdent leurs droits à(…)

- Joël Thimpont

La banalisation de l’injustice sociale

On pourrait croire que la souffrance au travail a été atténuée par la mécanisation. Faux ! La souffrance physique n’a pas disparu, comme le montrent plusieurs articles de ce cahier, et la souffrance psychique ne fait(…)

- Dr Axel Hoffman

La santé est un droit pour tous !

Les problèmes soulevés par le rapport entre travail et santé, au-delà de leurs spécificités, représentent un aspect des inégalités face à la santé qui touchent la majorité de la population. C’est pourquoi il faut intégrer leur(…)

- France Defrenne

Le travail invivable

Les troubles musculo-squelettiques liés au travail sont peu reconnus chez nous. Il est plus que temps de prendre conscience de l’importance du problème. Les gens perdent leur santé et leur emploi. Ils ne savent pas de(…)

- Bob Roeck

Docteur, j’en peux plus

« Docteur, je n’en peux plus. Je ne suis pas malade, je suis à bout. » Une plainte que les médecins entendent de plus en plus souvent depuis dix ans. Les plaintes viennent d’ouvriers à la(…)

- Alice Bernard

Les missions du Fonds des Maladies Professionnelles

Les missions du Fonds des Maladies Professionnelles (FMP) consistent à appliquer la loi de l’assurance maladies professionnelles. Celle-ci permet de faire bénéficier les personnes qui y sont assujetties d’un certain nombre de droits comme la perception(…)

- Joël Thimpont

Le rôle du Fonds des Maladies Professionnelles en faveur de la réadaptation des patients lombalgiques

Le Fonds des Maladies Professionnelles propose un programme de réadaptation pour les patients souffrant de lombalgies en relation avec le travail. Le programme vise le retour accéléré au travail et la prévention d’une évolution vers la(…)

- Olivier Poot

On vous demande de vous tuer au travail

Les grandes entreprises sont confrontées à des vagues de suicide sans précédents, qui ne sont que la partie médiatisée d’un profond malaise au travail. Mais les employeurs ne se sentent pas responsables des atteintes à la(…)

- Dr Axel Hoffman

Suicide et travail

Dans l’article précédent, nous avons examiné les réactions face à un suicide au travail. Avec C. Dejours et F. Bègue, dont nous tirons l’essentiel de la présente réflexion, voyons maintenant comment le management néolibéral déstructure le(…)

- Dr Axel Hoffman

Les relations entre le médecin du travail et le médecin généraliste

Le médecin du travail (MT) et le médecin généraliste (MG) visent tous deux à maintenir et à promouvoir la santé de la population. Pourtant, l’action synergique des deux professions s’avère une évidence qui ne se rencontre(…)

- Philippe Farr

Santé et allongement des carrières

L’allongement de la durée de vie combinée à la baisse du montant global des cotisations sociales en raison de la contraction du marché du travail font craindre des difficultés de paiement des pensions. Constatant que beaucoup(…)

- Médecine pour le Peuple

Le retour du puritanisme au travail

Depuis quelques décennies, l’insécurité de l’emploi et la dégradation des conditions de travail pèsent d’autant plus sur les épaules du travailleur – au détriment de sa santé – que nous assistions au retour en force d’une(…)

- Mateo Alaluf

La morbidité du travail à horaires irréguliers

En Europe, 20% de la force de travail est contrainte à des horaires de travail irréguliers. Jusqu’à 70% des travailleurs se plaignent de difficultés, croissantes avec l’âge, d’adaptation à ces changements d’horaires. Des études épidémiologiques sur(…)

- Stéphane Noël

Les pages ’actualités’ du n° 51

Mon mari est parti en paix

Auteur anonyme, épouse d’un patient suivi en maison médicale. Un homme est mort. Sa compagne l’avait fait transférer du premier hôpital où il était soigné de manière « responsable » vers un autre où on l’a(…)

-

La gestion du doute par le médecin généraliste

Pour le non-médecin, le raisonnement médical suit une route, plus ou moins difficile, qui va du symptôme au diagnostic et arrive au traitement. La réalité est beaucoup moins linéaire et fait intervenir des facteurs humains et(…)

- Bernard Pirotte

La commercialisation des désordres psychiatriques

Dans notre numéro précédent, Monique Debauche nous avait introduit au marketing employé par les firmes pharmaceutiques pour stimuler la vente de médicaments. Elle nous invite aujourd’hui à nous pencher sur une stratégie très prisée : la(…)

- Debauche Monique

Plongée en eaux troubles

Santé conjuguée a souvent abordé la problématique des médicaments, que ce soit pour questionner les mécanismes et orientations actuels de la recherche, pour déplorer la pression au « tout au médicament » qui déprécie les approches(…)

- G.R.A.S.

Quelles réponses à la crise sociale ?

A la veille des élections législatives, des représentants de secteurs de l’action sociale, de l’insertion et de la santé s’associent à des responsables syndicaux pour interpeller les partis politiques sur les réponses à apporter à la(…)

- Fédération des centres de service social

Santé des migrants et bonnes pratiques

Les migrants et certains groupes ethniques sont régulièrement cités comme groupes vulnérables, que ce soit en termes de différence d’état de santé ou dans l’accès aux soins. Sur base d’un constat européen, la Commission Européenne cofinance(…)

-

L’OMS sous la pression de l’industrie

AH1N1 : fièvre virale ou économique ?

- Dr Olivier Mariage