AH1N1 : fièvre virale ou économique ?
L’hécatombe tant redoutée n’a pas eu lieu ; c’est tant mieux. L’épidémie est terminée partout dans l’hémisphère Nord ; il subsiste des foyers dans les pays chauds : rien de particulier à cela, puisque l’influenza a la caractéristique de ne devenir très contagieux que par temps froid. En Belgique, avec les 19 décès liés au virus AH1N1, en comparaison des 1.000 à 2.000 morts estimés lors de chaque grippe saisonnière, on pourrait presque dire que ce nouveau virus est un cadeau du ciel, vu que cette épidémie a supplanté la grippe saisonnière. Seul bémol : les personnes touchées ont presque toutes moins de soixante ans. Fallait-il, dès lors, prendre de telles précautions ? Une chose est certaine : le virus aura rapporté plus de 5 milliards d’euros à l’industrie rien que pour les vaccins… dont une bonne partie reste inutilisée. A cela il faut ajouter les antiviraux et en terme de coût aux Etats, le coût de la vaccination (30 millions d’euros en Belgique). En mai 2009, lors de l’apparition du premier foyer au Mexique qui nous faisait redouter une nouvelle « grippe espagnole », personne, ni du monde scientifique ni du monde politique n’aurait osé minimiser le danger. Avertis du danger imminent par la prestigieuse institution internationale de la santé publique, l’OMS, tous les responsables politiques signent à la hâte, avec l’industrie, d’importants contrats pour les vaccins (12 millions de doses pour la Belgique), et mettent en branle leurs plans de bataille déjà échafaudés lors de la menace de la grippe aviaire il y a quelques années. Les scandales du sang contaminé et de la dioxine ont appris aux politiques à appliquer le principe de précaution avec la plus grande rigueur.Une pandémie orchestrée ?
Cependant, dès le début de la phase pandémique, certains attirent déjà l’attention sur un fait bizarre : peu avant cette sixième phase, l’OMS en a modifié les critères, en retirant deux éléments essentiels : la gravité de la maladie, et le pourcentage de personnes touchées. Or déjà à ce moment là, si on déplore quelques décès liés à la maladie, rien n’indique que le nouveau virus soit particulièrement virulent. Tout était donc préparé pour faire en sorte que cette gripette devienne une « pandémie ». Plus inquiétant, c’est en octobre 2009 : à ce moment là se termine le pic épidémique dans l’hémisphère sud. La revue Prescrire, dans un article publié en octobre 2009, se base sur l’évaluation faite en Nouvelle-Zélande (pays développé avec climat et système de santé similaires aux nôtres) qui montre une morbidité similaire à celle d’une grippe saisonnière, alors que les autorités sanitaires en Europe et aux USA parlent encore, à ce moment-là, d’une mortalité dix fois supérieure. Mais ni les autorités scientifiques, ni les autorités politiques n’en tiendront compte : le vaccin est alors prêt, l’épidémie débute chez nous et il faut y aller. Troublant aussi, cette notion de première vague. Tout au long de l’épidémie, on laisse entendre qu’il y en aura plusieurs. Aujourd’hui encore, on peut lire sur le site de l’Institut Scientifique de Santé Publique : « la première phase de l’épidémie est terminée depuis début décembre… » ; il y en aura donc une deuxième, et il faut donc continuer à vacciner. Et l’OMS ne dit pas autre chose. Mais pourquoi diable y aurait-il une nouvelle vague avec le même virus ? Personne ne peut le dire. La seule réponse donnée par les responsables : parce qu’il y a eu une deuxième vague plus forte en 1919. Avec le même virus ? On ne le sait pas, mais le bon sens indique qu’il y a du avoir mutation. Et celle-ci est évidemment possible, mais alors le vaccin a de fortes chances d’être inefficace. Interrogé sur ce point par des parlementaires, Daniel Reynders, éminent virologue et responsable de la cellule interministérielle influenza, répond que d’ailleurs il y a eu deux pics en Espagne et aux Etats unis (Rapport de la commission de la chambre 5/01/10), mais qu’il ne sait pas expliquer pourquoi sauf que c’est comme pour le virus de la rougeole qui donne régulièrement des épidémies… C’est là que les choses deviennent vraiment interpellantes : 1. Selon les informations diffusées sur le site de la santé publique espagnole, il n’y a eu qu’un seul pic épidémique dans ce pays. 2. Le CDC, aux USA (Center for Disease Control and Prevention), publie un graphique sur lequel on peut observer un petit dépassement une seule semaine en juin 2009, juste au moment de la déclaration de la pandémie. Mais, ce graphique n’est qu’une estimation du pourcentage de consultations pour syndrome grippal (toutes causes confondues) : tout simplement un effet de la panique, comme on l’a observé ici… 3. Comparer un nouveau virus influenza à celui de la rougeole est pour le moins une hérésie scientifique : la rougeole est endémique, le virus est stable, la population adulte est quasi totalement immunisée de manière naturelle et l’on observe de petites vagues épidémiques chez les enfants, là où ils ne sont pas vaccinés. Rien à voir, donc, avec un nouveau virus. Confondre endémie et pandémie, de la part d’un éminent professeur de virologie, laisse pour le moins perplexe. Les rapports de l’institut scientifique posent aussi problème : on y parle en effet du nombre total de personnes contaminées, ce qui permet de déduire que la majeure partie de la population n’est pas immunisée. Ceci est faux, puisqu’il s’agit en réalité d’une estimation du nombre de cas symptomatiques qui ont consulté un médecin, sur base des observations des médecins vigies. Il faut ajouter à ceux-là tous ceux qui n’ont pas consulté, et ceux qui ont été contaminés mais n’ont pas développé la maladie : en réalité ils peuvent être très nombreux. Mais cela permet de continuer à mettre la pression. Remarquons aussi que du côté de l’OMS, on fait un peu marche arrière : il y a quelques semaines, celle-ci annonçait l’arrivée de nouvelles vagues et qu’en tout cas, la pandémie durerait encore 12 à 18 mois. Aux dernières nouvelles, elle serait prête à déclarer la pandémie terminée.Pénombre sur l’OMS
Revenons donc au bon sens. Quand on examine un pic épidémique d’influenza, c’est une courbe de Gauss : d’abord, une phase ascendante exponentielle : le virus, très contagieux, se répand rapidement et touche de plus en plus de personnes. Puis la contagion se ralentit, et la courbe s’inverse pour se terminer par une exponentielle décroissante. Pourquoi donc, à un moment donné, l’épidémie s’arrête ? Sans autre élément extérieur, comme par exemple un brusque réchauffement de la température qui pourrait ralentir la propagation, la seule explication rationnelle est qu’une bonne partie de la population s’est immunisée naturellement. Et donc, à la fin de l’épidémie, la majeure partie de la population est probablement immunisée. Et donc le vaccin devenu inutile. Remarquons au passage qu’on a commencé à vacciner au plus haut du pic. Le vaccin a donc été en grande partie inutile, puisqu’il faut une dizaine de jours pour qu’il produise ses effets et qu’à ce moment là, l’épidémie était quasi terminée. La cellule influenza continue à affirmer que 8 millions de belges ne sont pas immunisés : sur base de quel raisonnement ? De plus en plus de voix s’élèvent pour demander des explications de la part des autorités scientifiques au niveau européen et de l’OMS. En décembre, 2009, le parlementaire allemand Wolfgang Wodarg, virologue, demanda au conseil de l’Europe une commission d’enquête sur l’indépendance de l’OMS par rapport à l’industrie. Le 8 mars, des membres de plusieurs groupes politiques au parlement européen annonçaient la demande d’une commission d’enquête ; celle-ci pourrait être mise sur pied fin mars si un nombre suffisant de parlementaires s’y rallient. Fin 2009, le Dr Alber Osterhaus, éminent virologue aux Pays-Bas, et conseiller très influent de l’OMS était accusé de financer ses propres laboratoires de virologie avec des fonds venant de l’industrie qui fabrique les vaccins et des antiviraux. Monsieur Osterhaus est membre très influent du groupe SAGE (Strategic Advisory Group of Experts) qui conseille l’OMS sur le sujet ; il est également président d’une organisation très influente au niveau européen, l’ESWI (European Scientific Workgroup on Influenza), entière ment financée par l’industrie, et qui recommanda à l’Europe rapidement les mesures les plus fortes pour lutter contre la pandémie. Selon certaines sources, plus de la moitié des financements de l’OMS viendraient du privé ; interrogée sur le sujet, Laurette Onkelinx affirme que le privé n’intervient qu’à hauteur de 2% du financement. Qui dit vrai ? L’OMS est une organisation internationale instituée dans le cadre des Nations Unies. Elle est pilotée par une assemblée générale composée par les Etats membres, dont la Belgique. Mais aucun véritable contrôle démocratique n’y est exercé : il n’y a pas de parlement aux Nations Unies. Les enjeux sont considérables, et la proie facile. Mais pourra-t-on un jour prouver que l’OMS a été significativement influencée par les lobbies ? La question est d’une importance capitale, car elle dépasse très largement la question de la grippe AH1N1 : on peut se poser la même question pour la grippe saisonnière, et tout le reste. Ainsi par exemple, on peut lire dans la littérature sur la rougeole que cette maladie fait beaucoup de ravages dans les pays pauvres à cause de la sousalimentation. On aurait pu attendre que la réponse logique soit : il faut améliorer l’alimentation. Mais non, la conclusion de l’OMS est tout autre : il faut vacciner toute la planète. Je me pose aussi les mêmes questions quand, par exemple, les taux de cholestérol admissibles baissent régulièrement chaque décennie (190 aujourd’hui, alors qu’on les a connus à 250 dans les années ’80) : les marchands de statines seraient-ils passés par là ? La question est grave, car au delà de la crédibilité du monde scientifique qui est en jeu, c’est aussi l’avenir de nos systèmes de solidarité et d’accessibilité aux soins pour tous qui est menacé. Le parlement européen parviendra-til à faire la lumière, et des règles seront-elles mises enfin ? L’influence des Etats-Unis sur cette organisation pèse lourd, et on sait que dernièrement, ils ont une nouvelle fois démontré, lors du débat sur l’assurance maladie, qu’aux States, la santé est d’abord un marché. Et le marché, c’est sacré. Dont acte.Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 51 - janvier 2010
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