Dans le cadre du budget 2017, la ministre fédérale de la Santé Maggie De Block a annoncé un moratoire de six mois sur la création de nouvelles maisons médicales forfaitaires. Le but : économiser 7 millions d’euros en 2017 et réaliser un audit du secteur. Mais pour Christophe Cocu, secrétaire général de la Fédération des maisons médicales, ces mesures visent surtout à remettre en cause un système de santé pluridisciplinaire qui s’adresse au plus grand nombre..
Alter Échos : Que va-t-il advenir des projets des nouvelles maisons médicales en cours privés de financements en 2017 ? Christophe Cocu : Les maisons médicales pourront continuer d’être agréées par la Région wallonne ou la Commission communautaire française. À savoir que la Région wallonne a agréé 100% des projets qui lui ont été remis, tandis que la Commission communautaire française, seulement un en 2016 et aucun en 2017, faute de moyens. Par contre, elles devront ouvrir à l’acte et pas au forfait. Le patient devra donc directement payer sa consultation au médecin. Quitte à revenir au forfait une fois le moratoire levé ? Cela fait partie de nos questions : comment sera gérée cette période de gel et combien de temps va-t-elle durer ? Est-ce qu’on met les projets en cours en attente ? Une fois le moratoire levé, ces projets vont-ils pouvoir débuter dans l’ordre dans lequel ils ont été introduits ? Si on compte vingt à trente dossiers par an, il va y avoir beaucoup de dossiers à traiter d’un coup ! Car le moratoire sera sans doute prolongé. Faire une évaluation du secteur ne se fait pas en six mois, mais plutôt en un an, peut-être deux ou trois… Quels impacts le moratoire va-t-il avoir sur le développement des maisons médicales dans leur ensemble ? À l’heure actuelle, 350. 000 personnes sont soignées en pratique forfaitaire en Belgique, et il y a de plus en plus de pratiques forfaitaires et de maisons médicales. Il faut toutefois distinguer deux enjeux de développement : les villes et les campagnes. En ville, on en développe beaucoup. Le système est apprécié et connu, notamment à Bruxelles, Charleroi, Liège, Mons, Tournai et Namur. Dans les milieux ruraux, surtout au sud de la province de Namur et de la province de Luxembourg, c’est un vrai enjeu pour les médecins de s’associer pour espérer continuer à donner des soins de qualité de première ligne. C’est même une question de survie car les médecins généralistes sont en train de vieillir. D’ici cinq à dix ans, il va en manquer des centaines. Déjà maintenant, ils souffrent beaucoup. Ils ne trouvent pas de remplaçant, certains partent en burn-out, prennent leur retraite du jour au lendemain parce qu’ils n’en peuvent plus… Bref, c’est l’horreur ! Ils sont donc « obligés » de s’associer. Nous essayons de les soutenir en leur proposant un accompagnement pour créer des maisons médicales. Mais tous ne sont pas prêts à travailler de manière pluridisciplinaire. Et, de toute façon, il est plus compliqué dans les campagnes d’ouvrir directement une maison médicale au forfait, car c’est moins ancré dans les mœurs. Ces médecins ou maisons médicales rurales sont donc en général payés à l’acte et, avec les mesures de Mme De Block, ils le resteront. Qui en sera victime en premier lieu ? Nous défendons l’idée que les maisons médicales doivent fonctionner selon un système mixte, c’est-à-dire en ne s’adressant pas uniquement à des patients précarisés. Ceux-ci sont notamment caractérisés par le fait de consommer davantage de soins, parce que leur logement est insalubre, parce que leur emploi les expose à divers polluants, etc. Si on ne compte que des patients paupérisés, le modèle ne tient pas la route. Mais c’est clair que c’est eux qui y perdront le plus avec les mesures de Mme De Block car ils ont moins la capacité d’aller chez un médecin à l’acte. Le risque est qu’ils n’y aillent pas du tout. S’agit-il d’une mesure économique efficace, selon vous ? Non, car les patients ne vont pas cesser de se soigner parce qu’ils ne sont pas au forfait. Certains, les plus pauvres, le feront… Donc oui, ça fera une économie, super (ironique) ! Mais les autres se rendront quand même chez un médecin à l’acte. Donc il y aura une économie d’un point de vue micro sur ce budget spécifique mais du point de vue du budget macro des soins de santé, ça n’a pas de sens. D’autant que, selon une étude du Centre fédéral d’expertise de soins de santé de 2008 – que nous avons d’ailleurs demandé de réactualiser –, les maisons médicales prescrivent moins d’antibiotiques et renvoient moins vers la deuxième ligne… Elles font donc économiser de l’argent au système de soins de santé. Maggie De Block veut réaliser un audit du secteur des maisons médicales afin de revoir «leur fonctionnement, leur organisation et la structure des coûts». Pensez-vous que c’est utile ? Je pense qu’elle n’a pas ce pouvoir. Elle peut autoriser ou pas le fonctionnement au forfait, mais pas la façon dont les maisons médicales s’organisent, car c’est une compétence régionale. Mais il est vrai qu’il existe des pratiques déviantes parmi les pratiques forfaitaires. Celles-ci sont directement liées aux critères qui permettent de passer au forfait. C’est un sujet dont on aimerait discuter avec Mme De Block. Peut-on par exemple créer des pratiques forfaitaires pour se faire de l’argent ? Nous estimons que seules les asbl, et pas les sprl, devraient pouvoir passer au forfait. Cela me semble la moindre des choses avec l’argent public, mais ce sera à elle de décider. N’y a-t-il pas aussi des dérives au niveau du salaire des médecins ou de la sélection des patients ? Oui, il y en a, comme partout. Mais par rapport à la rémunération des médecins, ou ils sont salariés et barémisés ; ils ont alors un salaire qui dépend de leurs prestations et qui n’est pas plus ou moins élevé qu’un autre médecin. Ou la maison médicale fonctionne à égalité salariale. Dans ce cas, qu’on soit à l’accueil, infirmière, kinésithérapeute ou médecin, on gagne la même chose. Donc sur l’enjeu du salaire, il n’y a pas de dérive possible. Concernant la sélection des patients, c’est un sujet intéressant. Car le principe du forfait est d’avoir une patientèle mixte. Or une inscription systématique de patients en fin de vie, par exemple, peut devenir très lourde pour une maison médicale, même si c’est juste le fruit du hasard. Cela nécessite par exemple d’engager une infirmière de plus pour pouvoir faire plusieurs passages chez la personne. On ne peut pas dire qu’il y ait des tentations de sélection de patients, mais il arrive qu’on doive en refuser parce qu’on n’a pas les capacités de les soigner. Le forfait ne s’adapte pas à la «maladie» du patient. Pensez-vous que cette décision est avant tout un choix idéologique, une façon de décourager les médecins à fonctionner au forfait plutôt qu’à l’acte ? Cela me semble évident et c’est bien ça qui nous inquiète ! On reconnaît que certaines pratiques forfaitaires posent problème. Mais ce n’est pas une raison pour bloquer le développement de tout un secteur. Le forfait existe depuis les années 80, il a évolué et évoluera encore. Nous pensons que l’enjeu est plus idéologique que lié à la manière dont le système de soins de santé est organisé. Évidemment, on est aussi en attente des retours que la ministre peut nous amener. Une belle preuve du contraire serait de lever le moratoire, permettre l’agrément des associations en asbl, tout en réalisant une économie de 7 millions d’euros. Elle montrerait aussi sa capacité à se remettre en question et à écouter le secteur. Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 77 - décembre 2016
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