Infirmière de médecine pour le peuple : l’éducation populaire à coeur
Anne Félix
Santé conjuguée n° 64 - avril 2013
« Se mettre à écrire à propos d’une activité dans le soin est une manière de prendre soin de cette activité en activant la pensée du sens de ce que l’on fait. »
A la maison médicale de médecine pour le peuple, le modèle d’organisation des soins tente de répondre aux critères de qualité en soins de santé primaires (accessibilité, équité, etc.). J’y vis l’impression d’une grande cohérence, une maturation en forme de synthèse des différents modèles infirmiers. Je participe avec joie à une dynamique d’équipe qui recherche toujours la meilleure interdisciplinarité, tendant même vers la transdisciplinarité, tout en affrontant avec courage les difficultés inévitables. Il me semble y avoir trouvé « ma place », ce qui ne me dispense nullement de me remettre en question très souvent. Soigner, le premier art de la vie, une passion de tous les jours. Apaiser les peines et les maux par les mots et le toucher, entrer un peu dans les histoires de vie mais pas trop, écouter sans s’abîmer, comprendre sans juger, aider sans se croire sauveur et en préservant l’autonomie, trouver l’équilibre entre toutes les missions, se maintenir au courant tout en étant le plus possible sur le terrain, se confronter aux limites de ma formation quand il s’agit, par exemple d’animer un groupe de parole,… Autant de questions qui occuperaient bien plus qu’une vie !Ecouter et dire
De la connaissance intime que nous avons des situations de vie de nos patients, nous pouvons tirer des lignes et des priorités qui vont diriger les actions de la maison médicale, nous sommes des observateurs et les relais privilégiés, par l’approche directe, le contact, l’intimité, la confiance. « La distinction entre les actes de soin que l’on pose et le soin qui peut les imprégner réside dans une intention, une intention dirigée vers ce qui est bien, une intention par laquelle on s’interroge sur ce qui pourrait faire plaisir, à permettre d’être heureux ou un peu moins malheureux. » (W. Hesbeen). Même quand nous prenons une personne en charge pour un « simple » soin (prise de sang de contrôle, injection), nous veillons à profiter de cet échange pour appréhender le patient dans toute sa complexité, évaluer ses besoins, entendre ses demandes, faire de la prévention, en lui proposant par exemple de participer aux activités collectives de la maison médicale. Nous proposons des rencontres à tous les patients, sur des thèmes suggérés par eux, ainsi qu’aux personnes diabétiques ou aux fumeurs insatisfaits. Il est aussi possible de pratiquer ensemble de l’activité physique ou de venir rendre toutes sortes de services et de soutenir la maison médicale. Le défi du « multi-tâches » au quotidien Un des grands défis de notre mission est aussi de s’organiser, de faire face à la charge de travail, de mixer les demandes immédiates et les contraintes à moyen ou à long terme, de ne pas se laisser déborder par les tâches administratives ou les réunions, et de rester le plus possible disponible pour les patients. Il y a toujours des choix à faire. En plus des soins quotidiens au domicile et au dispensaire pour les personnes qui peuvent se déplacer, nous suivons en équipe les projets, nous préparons les activités, nous tâchons d’être les plus polyvalents possible (remplacer un accueillant, répondre au téléphone, orienter quelqu’un…). Le rôle du soignant en santé communautaire Le rôle du soignant et, notamment, celui de l’infirmier va consister à contribuer à ce travail d’exploration des codes, des règles, des rôles, des représentations, et des interactions qui participent à l’inscription du comportement d’un patient au sein de son entourage dans un dialogue centré sur la gestion de sa vie quotidienne. Ce point de vue a pour conséquence de concevoir les démarches de soin comme étant des co-constructions, à la fois du sens donné à la problématique et d’élaboration de solutions. « Soigner, donner des soins, c’est aussi une politique. ». Notre voeu est de permettre que les membres de la maison médicale soient bien soignés, mais aussi qu’ils puissent profiter de tous les services qui leur permettent de faire euxmêmes des choix éclairés en ce qui concerne leur santé, qu’ils soient informés, émancipés, conscients, critiques. Cela passe aussi bien par la mise sur pied de projets (école de devoirs, sorties culturelles, livre écrit avec Capacitation citoyenne1, cafés santé – sortes de « conférences–conversations » sur des questions de santé ou d’actualité) que sur une proposition de militance que nous faisons aux patients qui le désirent en favorisant un sentiment d’appartenance à une communauté et donc des liens solidaires et tolérants (comme lutter pour des logements de qualité, le maintien de la sécurité sociale, etc.). De l’acte technique au rêve puis au projet C’est là que je vois le mieux notre rôle créateur, transformer une situation jugée insatisfaisante en rêve, en regard vers le haut, en idée et puis par l’échange avec les patients, les collègues, les amis, la confrontation avec le réel, aller tout doucement, par des méthodes choisies avec soin, vers la mise en place d’une nouvelle réponse, d’une nouvelle organisation, d’un outil, d’un nouveau projet. Ecrire un livre ensemble, mettre en place des groupes d’entraide pour affronter des difficultés de la vie, entretenir un jardin, faire la fête, inviter des experts, faire notre tournée en vélo électrique, rencontrer d’autres patients de maisons médicales sont des rêves devenus réalités ; et la liste est encore longue !L’équipe
C’est dans l’échange au sein de l’équipe que nous pouvons revisiter nombre de notions essentielles : la personne, ses valeurs, la question des limites, l’altérité, l’autorité, le corps, la responsabilité, le temps, la norme, la technique, le respect, le sens de nos pratiques, les enjeux des systèmes d’organisation, vers où nous voulons aller, tenter de transpercer ensemble une réalité complexe. Nous apprenons aussi à prendre soin de nous en tant qu’équipe, comme d’un noyau, en soutenant chacun de ses membres et aussi ce qui en fait un ensemble, pour se tourner vers l’extérieur et aussi se montrer accueillants pour tous ceux qui franchissent nos portes.Le réseau
Nous avons enfin la chance de trouver aide et soutien dans le réseau riche de nos partenaires : les associations proches géographiquement et/ou philosophiquement, les instances de la Fédération des maisons médicales (intergroupe ; COSMIC2, GIIC3) et, aussi, le réseau médecine pour le peuple (notamment via des rencontres avec les infirmiers de tout le pays). Et demain… Du connu à l’inconnu, porter haut sa profession « L’expérience vécue du soin se révèle toujours une confrontation avec la fragilité, la souffrance ou l’angoisse, l’isolement dans la maladie ou le traumatisme avec la question du sens de la vie et de la mort. ». Nous pratiquons un métier au coeur de la société, un métier qui évolue constamment, et nous sommes chacun garants qu’il garde aussi ses vertus capitales. Retrouver tout ce qu’il y a d’essentiel dans le quotidien, rester présent au monde. Mettre en avant son désir d’une relation de qualité dans sa pratique quotidienne avec celui qui requiert notre aide plutôt que le statut et les savoirs.Documents joints
- Capacitation citoyenne : association francobelge de promotion et initiatives citoyennes. Aide notamment des collectifs citoyens à questionner leurs pratiques et partager leurs expériences. Nous avons, grâce à eux, écrit un petit livre avec des patients bénévoles de la maison médicale intitulé “on n’est pas que des patients”.
- CO’S’MIC : groupe santé l’intergroupe carolo.
- GICC : groupe infirmier de l’intergroupe carolo.
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 64 - avril 2013
Les pages ’actualités’ du n° 64
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