Fédération : un autre système de santé est possible !
Dr Patrick Jadoulle, Ingrid Muller
Santé conjuguée n° 66 - octobre 2013
Depuis 2000, la Fédération des maisons médicales s’est dotée d’un organe ayant pour mission de soutenir la création de nouvelles maisons médicales. Cet organe n’a cessé de se développer et de se structurer pour répondre au mieux aux sollicitations qui lui sont faites. Mais son existence ne suffit probablement pas à motiver des personnes à se lancer dans l’aventure… Ingrid Muller démêle les fils de l’histoire des maisons médicales pour nous expliquer ce qu’est le service d’Aide au développement et d’Appui à la gestion.
Les maisons médicales existent depuis 1972. La Fédération des maisons médicales s’est créée en 1981. A l’époque, il y avait déjà 24 maisons médicales. On peut dire qu’à ses débuts, le mouvement des maisons médicales n’est pas coordonné mais spontané. La Fédération des maisons médicales est un lieu qui permet de se rencontrer, se connaître, d’élaborer ensemble certains concepts. Les vingt premières années, les fondateurs de maisons médicales sont essentiellement des militants qui se reconnaissent dans le projet politique du mouvement. Ce sont généralement des personnes qui ont déjà une expérience dans une autre maison médicale. Ils trouvent à la Fédération des maisons médicales le soutien symbolique et matériel nécessaire à la création de leur propre projet. Ce soutien s’appuie sur la solidarité des maisons médicales existantes et sur les documents de réflexions, informations… fournis par la Fédération. La Fédération, à ce moment, n’organise pas de suivi d’équipe. 32 maisons médicales sont nées de cette dynamique. Dans le même temps, la Fédération des maisons médicales se positionne comme un interlocuteur des pouvoirs publics. Elle négocie le financement forfaitaire, ce qui lui donne une certaine visibilité et renforce la sympathie du monde associatif, syndical et mutuelliste pour son projet. Plus tard, elle participe à la structuration du système de santé au-delà des maisons médicales, notamment avec l’agrément association de santé intégrée (ASI), l’harmonisation salariale, le dossier santé informatisé (DSI), Impulséo (fonds qui vise à encourager l’installation de médecins généralistes dans certaines zones), la labélisation de logiciels informatiques médicaux… Cela contribue à familiariser l’extérieur avec certaines pratiques courantes en maisons médicales. Les maisons médicales sortent de la marginalité. Y travailler devient plus « acceptable » dans le secteur du soin.De l’instituant à l’institué
Dès les années 90, les jeunes générations de soignants n’envisagent plus de travailler seuls. La Fédération des maisons médicales est la seule à promouvoir la pratique de groupe pluridisciplinaire. Elle est de plus en plus interpellée par des soignants extérieurs au mouvement pour soutenir la création de leur maison médicale. C’est ainsi que l’aide au développement est créé pour faire face à l’augmentation des demandes, structurer et professionnaliser la manière d’y répondre sur le mode de l’accompagnement. Parallèlement, la Fédération des maisons médicales soutient activement une culture du travail en équipe, de la définition de projet et de l’évaluation. La dimension politique est largement partagée avec les travailleurs de maison médicale, à l’occasion des assemblées générales, par le biais de la présente revue, à travers des groupes de réflexion à la Fédération et dans les intergroupes (structures de soutien au niveau régional). Nos relations avec les acteurs de la santé évoluent. Nous sommes de plus en plus en mesure d’exporter la dimension politique dans la réflexion sur les services de santé au niveau local. Et les maisons médicales deviennent des interlocuteurs crédibles dans le réseau des partenaires médico-sociaux. L’implication de médecins de maisons médicales dans les cercles de médecine générale, mais aussi au travers des coordinations sociales et autres plateformes de soins porte ses fruits : les représentations des soignants solos évoluent. Certains en viennent à envisager des changements de pratique, d’autres sont de moins en moins réticents à la création de nouvelles maisons médicales dans leur quartier, leur commune.Pratique de groupe versus projet politique
Composé au départ de trois membres du conseil d’administration de la Fédération des maisons médicales, le service d’Aide au développement et d’Appui à la gestion est aujourd’hui formé de deux permanentes et de six référents régionaux. L’existence d’un service organisé renforce la visibilité et l’accessibilité de la Fédération des maisons médicales dans le soutien à la création de maisons médicales. Les demandes de renseignements affluent. De plus en plus souvent, ce sont des prestataires cherchant à s’associer. Dans ce cas, un travail de clarification du projet est nécessaire. Il débouche parfois sur de nouvelles maisons médicales. Cependant, ces contacts nous font de plus en plus sentir à quel point nos modes de fonctionnement sont attractifs mais notre projet politique et nos valeurs (solidarité, accessibilité…) sont à contre-courant dans le monde du soin actuel. D’un autre côté, un nouveau type de demandes de soutien témoigne d’un passage de motivations individuelles à des enjeux collectifs dans la création de maisons médicales. Les pouvoirs publics sont intéressés par le travail d’expertise de la Fédération des maisons médicales, notamment sur le lien santé/social. Les CPAS (voir article de France Defrenne en page 80) sont des partenaires privilégiés des maisons médicales, ils partagent une culture de travail relativement conciliable et des intérêts communs pour la santé communautaire. Ils sont à l’intersection avec la santé globale, l’accessibilité financière, l’accessibilité aux soins (avec une dimension nouvelle qui est de garantir la présence de soignants sur le territoire). Face à l’évolution des besoins en santé ou à la raréfaction de soignants dans certaines régions, dans certaines communes, les pouvoirs publics s’orientent vers le soutien à la création de nouvelles maisons médicales. Aujourd’hui on pourrait dire que pendant la première moitié de sa vie, la Fédération des maisons médicales s’est appuyée sur les convictions et expériences de ses membres pour prouver aux pouvoirs publics qu’une autre manière de pratiquer la médecine et d’organiser le système de santé est possible. Actuellement elle est en plus sollicitée par les pouvoirs publics pour convaincre les prestataires solos de ces autres manières de pratiquer et d’organiser les soins de santé.Un modèle en évolution permanente Les facteurs d’émergence des maisons médicales sont multiples et ils varient dans le temps. Il en est de même pour leur développement. Pics d’émergence, vagues, périodes de questionnements ou de transformation caractérisent tant l’histoire d’une maison médicale que celle du mouvement qui les rassemble. Un projet se rêve, se réfléchit, se partage et se bâtit pierre par pierre. Il se malaxe, en fonction des contextes, des personnalités de chacun. Il se définit, se redéfinit. Rien n’est jamais acquis. Émergence et développement, il est difficile de dissocier ces deux versants de l’évolution du modèle des maisons médicales. C’est le constat que nous avons fait tout au long de l’élaboration de ce numéro. Mais les maisons médicales sont-elles le modèle par excellence, à défendre à tout prix ? Pourrait-il continuer à émerger sans tenir compte de ce qui se passe autour de lui, en vase clos ? N’a-t-on pas à apprendre des nouvelles générations ? Ne devons-nous pas regarder de plus près les expériences issues d’autres pays ? Le regard de nos proches, en nous remettant en question, ne nous amènerait-il pas à nous renouveler, à répondre à de nouveaux enjeux ? Loin d’être exhaustif, ce cahier a permis d’éclairer et de questionner différentes facettes de notre modèle. Deux aspects ont particulièrement retenu notre attention. La compétence relationnelle d’un soignant recouvre trois dimensions : la relation à l’humain, la relation au patient et enfin la relation avec ses collègues. Marc Vanmeerbeek a souligné l’importance d’enseigner ce savoir-faire. Les maisons médicales ont certainement aussi un rôle à jouer en matière de transmission. Car la manière dont les stagiaires et les assistants en médecine générale vivent leur passage en maisons médicales pourrait favoriser l’émergence de nouvelles équipes. Pour Dominique Pestiaux, médecin généraliste en maison médicale et professeur à la Faculté de médecine de Louvain, c’est l’« enjeu crucial de la promotion d’une médecine de qualité, accessible et intégrée. Nul doute que la vie d’une équipe partagée avec un stagiaire et mise en mots pour répondre aux nombreuses questions qu’il se pose est un moyen évident pour promouvoir le futur de ce type de pratique qui peine à s’implanter, sans doute par méconnaissance des avantages potentiels, y compris financiers. Gardons-nous cependant de penser que le principal est acquis car, et ceci est l’essentiel, il faut assurer une supervision de qualité d’un jeune collègue qui ne manquera pas d’observer le fonctionnement de l’équipe et le juger de manière sévère s’il ne correspond pas à ses attentes. ». Les caractéristiques de notre modèle (multidisciplinaire, approche globale de la santé…) et ses valeurs (solidarité, justice sociale…) devraient être diffusées, tant par la formation des professionnels que par les échanges entre pairs. Second élément, celui de la militance. A quoi aspiraient les fondateurs ? La motivation des jeunes travailleurs de maison médicale est-elle différente de nos jours ? Hier comme aujourd’hui, le souhait est d’arriver à une société plus juste et plus égalitaire. L’optique du changement social demeure. La défense d’une accessibilité plus grande aussi. Hier comme aujourd’hui, l’émergence de nos structures s’est faite en réaction à un système en place. Ce qui a changé, ce sont les données de départ. Les rapports entre soignants, travailleurs et patients ont changé. Le contexte économique s’est transformé. Les jeunes travailleurs de la santé souhaitent trouver le moyen de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale. Trouver des alternatives pour assurer un certain équilibre, une qualité de vie. La manière de vivre son engagement n’est pas la même que dans les années 70. Le travail en équipe sur un mode multidisciplinaire est une réponse aux préoccupations contemporaines, car il permet à la fois la défense des valeurs qui nous sont chères, mais également une autre répartition du travail. La pratique pluridisciplinaire permet un décloisonnement des professions et une nouvelle répartition des tâches entre soignants. La pratique de groupe induit la continuité. Le travail en équipe permet une rupture avec l’isolement des professionnels de la santé, mais aussi des usagers en ce qu’il est plus accessible. Il peut être une des réponses à la pénurie. Nous devons donc aujourd’hui autoriser l’émergence « d’autre chose », laisser se confronter les idées. Permettre une alternative à l’alternative. Mais sommes-nous prêts à cela ? Parmi les enjeux auxquels il nous faudra répondre demain, certains restent inchangés au fil du temps, d’autres se manifestent. L’augmentation de la précarité, le vieillissement de la population, la pénurie des médecins généralistes dans certaines zones, mais aussi une meilleure intégration des exclus des soins (sans-abri, personnes en séjour irrégulier) en sont quelques-uns. Il s’agira aussi de rester attentifs aux changements engendrés par les transferts de compétences dans le cadre de la sixième réforme de l’État. Pour Vincent Lorant, il y a là « une opportunité pour réfléchir à la meilleure manière de construire une offre intégrée des soins de santé primaires. » Pour lui, ce serait l’occasion d’« imaginer que ces structures puissent intégrer d’autres fonctions, telles que des services de santé mentale, des centres de jour et de réhabilitation ou encore des soins et services à domicile… ». La Fédération des maisons médicales observe et analyse de longue date les évolutions de la santé et du système de santé. Le paradigme médical est en train de changer. Nous sommes aux premières loges pour l’observer et expérimenter une évolution des pratiques en première ligne. Nous avons un rôle important à jouer dans les lieux de concertation et de négociation pour faire valoir notre expertise.
Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 66 - octobre 2013
Savoir d’où on vient pour comprendre où on va
Les pages ’actualités’ du n° 66
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Coups d’oeil du dehors
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Modèles d’émergence : petit échantillon
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Les centres de santé intégrée de première ligne semblent être un modèle attractif pour les jeunes soignants qui s’installent. Mais peuvent-ils prendre la forme d’une société commerciale ? Ne sont-ils pas en proie à la privatisation(…)
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Se regrouper ? Et plus si affinité…
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Maisons médicales du « plat pays »
Plus de maisons médicales en Flandre ?
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