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Diabète et littérature


Santé conjuguée n°91 - juin 2020

C’est peu de le dire, mais le diabète est une sale affaire. Une maladie vicieuse et sournoise ! Il s’installe en vous progressivement, sans que vous y preniez garde, et puis, un jour, c’est le coup de tonnerre, la catastrophe… Je m’explique.

Au cours d’une visite de routine chez mon médecin traitant, celui-ci me déclara prédiabétique. Bien sûr, il m’a fait les recommandations d’usage : supprimer toute forme de sucre, faire du sport et mener une vie saine… Je n’avais aucune conscience de la gravité de cet avertissement ni des conséquences possibles en cas de non-respect. J’étais totalement ignorant de ce que pouvait être le diabète et je me sentais en pleine forme. Au début, j’ai pris au sérieux les injonctions de mon médecin. Sûrement pendant deux ou trois mois. Pour ce qui en était des activités physiques, j’étais plutôt un adepte des principes de Winston Churchill : no sport, no sport, no sport, et un petit alcool en fin de repas ! On peine à imaginer l’omniprésence du sucre dans notre nourriture et je me suis efforcé de suivre une ligne de conduite que je jugeais suffisante : m’abstenir de desserts, acheter de la confiture allégée, pas de croissants ou de petits pains au chocolat le dimanche, moins de fruits, moins de bière ou de vin, bref ce que le bon sens me suggérait. Il va de soi que ces mesures étaient insuffisantes, et je regrette qu’on ne m’ait pas obligé à rencontrer une diététicienne qui m’aurait alerté avec plus de rigueur des dangers que j’encourrais et proposé un régime beaucoup plus adapté à mon état. Puis, le temps a passé et mon attention s’est relâchée. Que voulez-vous, je ne sentais aucune différence entre avant et après cette période de restrictions. La vie a donc repris son cours normal… Normal ? Pas vraiment. Nous étions fin octobre 2007. Je suis assez sensible au changement de saison et je ne me suis pas étonné de ressentir une sorte de lassitude en ce début d’automne, une fatigue que j’attribuais aussi à mon âge et qui m’obligeait à faire maintenant une sieste quotidienne. Et puis, j’ai toujours été un lève-tôt, debout avant sept heures du matin. Normal de se reposer à la mi-journée ! Normal ? Puis, je me suis mis à avoir soif, mais une soif étrange, impossible à assouvir. J’avais sans cesse la bouche sèche. Je n’aimais que l’eau, l’eau fraîche dans un grand verre rempli de glaçons. Je crois qu’à la fin j’en ingurgitais plusieurs litres par jour, et j’urinais en conséquence. Ma fatigue n’a cessé d’augmenter au même rythme que cette soif étrange, pour devenir une sorte d’hébétude qui faisait penser à une dépression profonde. Et puis, j’avais aussi des envies de femme enceinte ! Je voulais des spaghettis, tout de suite ! Des fraises, dans l’heure, ou une tomate aux crevettes ! Et me trouvant devant l’assiette remplie de mes désirs, je n’y touchais pas… C’est alors que mes proches, et surtout ma compagne, ont commencé à s’inquiéter sérieusement de mes comportements franchement anormaux, voire inquiétants. Un autre sujet d’étonnement était que je ne voulais plus conduire ma voiture, alors que j’ai toujours aimé ça. J’étais devenu dangereux au volant, incapable de me concentrer sur quoi que ce soit, et heureusement que j’en ai eu conscience, cela m’a évité le pire, autant pour moi que pour les autres.

Insouciance et catastrophe 

Une visite chez le médecin s’imposait. Ma compagne m’y a conduit. Il nous a reçus dès huit heures du matin. Il habitait à une quinzaine de kilomètres de chez nous et il était, comme on dit, un ami de la famille. C’est ma compagne qui lui a décrit l’état dans lequel je me trouvais. J’étais devenu incapable de le faire moi-même. Je me comportais comme une sorte de zombie, de somnambule à qui on proposait ceci ou cela, et qui obéissait bien sagement. Peu avant, j’étais encore sujet à de régulières crises d’angoisse. C’est lui qui m’avait prescrit un médicament qui m’en a quasi libéré. Parfaitement au courant de ma fragilité nerveuse, il en a déduit que j’étais en pleine dépression et prescrit des calmants. Toutefois, il a effectué une prise de sang dont il a demandé en urgence l’analyse, mais il nous fallait attendre une bonne heure pour avoir les résultats. Ma sœur n’habitait pas très loin de chez ce médecin et ma compagne m’y a déposé en partant au boulot, jugeant, à juste titre, que je ne pouvais rester seul. Le médecin en était averti. Arrivé chez elle, je me suis effondré sur le divan et profondément endormi. Si profondément que je me suis réveillé trois jours plus tard, aux soins intensifs de la clinique de Braine-l’Alleud ! J’avais sombré dans un coma hyper glycémique. J’avais 1 137 unités de sucre dans le sang ! Autant dire que c’était du sirop d’érable qui circulait dans mes veines ! Onze fois plus que la norme qui est d’environ cent unités… Deux heures après mon arrivée chez ma sœur, le médecin avait eu les résultats des analyses et convoqué aussitôt l’ambulance. Je n’ai gardé aucun souvenir de cet épisode. Pas de lumière blanche au bout du tunnel, pas de déplacement extracorporel ni de petit ange qui m’ait rendu visite. Le néant ! Inutile de décrire les angoisses de mes proches. Quand et dans quel état allais-je me réveiller ? Tout le monde l’ignorait. Prudents, les médecins s’abstenaient de pronostiquer quoi que ce soit. C’étaient le temps et l’insuline les maîtres du jeu. Il m’aura fallu trois jours pour retrouver vaille que vaille le monde des vivants.

Sugar free

Je ne sais si c’est un miracle, mais j’en suis sorti apparemment indemne et sans séquelles si ce n’est un splendide diabète de type 2. À ce jour, je ne crois pas être plus sot ni débile que je ne l’étais avant, mais je suis mal placé pour en juger ! Mon séjour en clinique a duré près d’un mois et demi. Le paradoxe, c’est que je ne subissais aucune souffrance physique. Le cœur, les reins, la vue ne semblaient pas atteints et c’est devenu alors une question de patience. Il me fallait retrouver un taux de glycémie acceptable et surtout m’habituer à me mesurer et doser correctement les quantités d’insuline que je devrais m’injecter quatre fois par jour. Mais je pense que le plus difficile fut d’accepter et d’intégrer le fait que cette maladie était désormais devenue mon indésirable partenaire et cela jusqu’à la fin de mes jours. Il est également très important de prendre conscience que des écarts prolongés par rapport à une stricte discipline glycémique peuvent avoir des conséquences irréversibles, sinon vitales. Mais venons-en à des choses plus légères. À cette époque, j’écrivais des romans depuis une quinzaine d’années. Il est bien connu que les écrivains se nourrissent des choses de la vie, tant celle des autres et du monde que de la leur. C’est deux ans après cette fâcheuse mésaventure que l’envie m’est venue de la partager. Je me rendais bien compte que j’avais échappé d’un cheveu à la mort et que le retour à la pleine conscience avait été lent et progressif. Toutefois ce que vous venez de lire n’est que l’apparente écume de ce qui s’est réellement passé et j’avais envie d’en revivre les péripéties presque au jour le jour et de les transmettre. L’infinie liberté dont jouit l’écrivain m’a amené à créer le personnage de Guillaume Leguet. Professeur de l’enseignement secondaire en plein divorce, hypocondriaque, mais aussi animé d’une furieuse envie de vivre, je lui ai confié les rênes de ce récit que j’ai aussitôt baptisé Sugar free. Bonhomme curieux de tout et surtout des autres, il vivra dans cet hôpital de nombreuses et inattendues rencontres, depuis sa sortie laborieuse du coma jusqu’au retour chez lui. Je voulais aussi que ce texte soit un partage d’espoir où triomphe la vie et j’espère sincèrement qu’il l’est. Plus de 500 000 diabétiques vivent en Belgique. Je les salue fraternellement !

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°91 - juin 2020

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