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Des aliments et des hommes


Santé conjuguée n° 36 - avril 2006

Les 8 et 9 décembre 2004, un colloque de l’Institut français de nutrition a réuni des chercheurs issus de nombreuses disciplines autour de la problématique du rapport de l’homme à son alimen tation et surtout du questionnement et du foisonnement de propositions sur le sujet. L’Institut français de nutrition a fait le choix d’une approche pluri- disciplinaire (anthropologie, biologie, histoire, nutrition, préhistoire, psycho- logie, sociologie …). Cette multiplicité d’approches permet de comprendre l’articulation entre nutrition et société, et de revenir sur plusieurs lieux communs comme « le mangeur rationnel », « le caractère contemporain de ces préoccupations alimentaires », « la nouveauté de la notion de sécurité alimentaire »…, ici déconstruits et analysés. Le propos de ces rencontres était de comprendre les divers mécanismes à l’oeuvre dans le rapport réflexif qu’entretient l’homme avec le contenu de son assiette mais également de faire la part entre science et idéologie comme le souligne l’intitulé du colloque.

Car, comme le dit Pascal Picq dans son introduction, « dès qu’il s’agit de nutrition, de sexualité ou de nutrition, les clichés reviennent comme les relents indigestes d’une mauvaise popote épistémologique affligeante. Quand la « nouvelle diététique » rencontre la « vieille préhistoire », on retombe invariablement sur la recette de l’empirisme archaïque. Alors de vanter le régime crétois pour tous et, plus récemment, qu’il serait vraiment tendance de manger comme nos chers Cromagnon »… Dis moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es et ce que tu deviendras… Le régime alimentaire participe de la définition même de l’homme tant sur le plan biologique son devenir, sa perspective d’évolution – que sur le plan identitaire. Etre ce que l’on mange vaut tant dans le cadre de l’histoire longue de l’homme que dans sa position dans le jeu social dans sa façon d’être et d’être pensé. Ainsi, Pascal Picq présente l’évolution humaine en regard des régimes alimentaires de diffé rentes espèces de singes et, au travers de l’étho logie de ces populations animales, parvient à montrer l’articulation des changements dans l’évolution de l’homme avec des changements de régimes alimentaires. Sur le long terme (en terme de temps préhistorique), il s’avère qu’il n’y a pas de « sagesse » dans le régime alimentaire : les populations qui ont fait les bons choix ont vécu, les autres ont disparu. Peut-on parler de sélection ou d’évolution ? Un autre intervenant, Pierre Taberlet, donne un exemple de co-évolution de l’homme et des animaux d’élevage qui contribue à donner des pistes de réponses. En Europe du Nord, on observe sur deux cartes un recoupement pratiquement à l’identique : celle de la distribution géographique de la diversité des protéines de lait chez la vache (six protéines) et celle où une majorité de la population dispose parallèlement du gène de la lactase qui permet de digérer le lactose du lait. Expliquer cette co-évolution n’est pas simple car elle nécessite une approche pluridisciplinaire (archéozoologie, génétique, archéologie, linguistique). A ce propos, Marcel Mazoyer commente les analyses de P. Taberlet et donne un éclairage précieux sur la relation d’interdépendance homme/animal que l’on peut déduire de la superposition de ces deux données. « Ce qui paraît avéré dans cette affaire, c’est qu’une population d’éleveurs disposant de lactase s’est trouvée, à un moment et en un lieu donnés, disposer d’une population bovine produisant un lait plus nourrissant (à condition de le digérer). Ainsi réunies ces deux populations associées se sont multipliées simultanément sur place plus vite que d’autres ; puis, partant de ce foyer, elles se sont répandues dans les régions circonvoisines, en se diluant parmi d’autres populations d’éleveurs et de vaches ne disposant pas de ces deux particularités génétiques. […] Ce que l’on voit, ce ne sont donc pas les signes peu visibles d’une cosélection de ces deux particularités génétiques indépendantes, mais les signes beaucoup plus visibles du co-développement de deux populations disposant de ces particularités, qui se trouvent avantagées l’une et l’autre, dès lors qu’elles sont associées. ». L’apprentissage et la transmission de cette expérience alimentaire a permis à l’homme d’écarter certains aliments, d’en adopter d’autres. L’interaction ici mise en évidence peut être étudiée avec d’autres types d’aliments dans le sens où, dans le temps, ce sont des adaptations et évolutions successives qui ont permis à l’homme d’adopter un régime alimentaire particulier, qui lui convient en tant qu’espèce et en tant qu’individu. Le régime alimentaire n’est pas figé et l’homme s’adapte selon son origine, les ressources de son environnement, ses besoins… C’est ce que Xavier Leverve nomme plasticité métabolique. Ces phases d’adaptation s’accompagnent de tâtonnements, de découvertes : « Un dur apprentissage qui se fonde sur des choix alimentaires, sachant que nombre d’essais se sont soldés par l’intoxication et la mort. C’est ce que Claude Fischler appelle “le paradoxe de l’omnivore“ . […] Les hommes, comme les autres espèces omnivores généralistes, ne sont pas passés par des études drastiques de l’évolution ayant sélectionné les capacités de discriminer les nourritures végétales selon leur toxicité, notamment au niveau du goût. D’où l’importance des traditions et des cultures, que ce soit chez les chimpanzés, les hommes et tous leurs ancêtres. » (P.Picq). Avec une approche disciplinaire distincte, celle de la psychosociologie, Saadi Lahlou complète et conforte les propos des intervenants précédents sur le rôle et le poids de l’environnement socio-culturel dans la construction de l’identité alimentaire. S’entend ici par identité ce qui fait la personne sur le plan psychosocial, ce qui la définit, soit un corps et sa façon de le penser, une trajectoire, un vécu et enfin la relation à l’autre. Autour de ce corps en relation (avec lui-même et les autres), des éléments extérieurs sont acceptés, d’autres non ; ce qui est incorporé est transformé et, de « corps étranger », devient celui de la personne. Dans cette idée – je deviens ce que je mange -, il s’agit du principe d’incorporation utilisé également en anthropologie des techniques pour comprendre l’acquisition de gestes automatiques, incorporés. L’expérience de Rozin (Etats-Unis) est évoquée : cette étude menée avec des étudiants américains montre que même aujourd’hui, dans les sociétés occidentales, le sujet croit qu’il va devenir ce qu’il mange, d’où par exemple le refus de boire un verre de lait dans lequel une mouche (même notoirement stérilisée dans le cadre de l’expérience) a été ajoutée puis enlevée1. Parallèlement, dans certaines sociétés traditionnelles, des formes de cannibalisme recouvraient exactement ce type d’incorporation : en mangeant le coeur ou le foie ou en buvant le sang du guerrier ennemi, on entendait récupérer sa force, son courage, son honneur. Dit autrement, manger quelque chose, c’est acquérir ses propriétés, même dans nos sociétés occidentales contemporaines qui ne sont pas exemptes de pensée magique. L’illusion du mangeur rationnel et les comportements alimentaires contemporains Le mangeur n’est pas un individu seul responsable de son assiette (Jean-Pierre Poulain) ; l’environnement, le contexte social, la culture sont autant de facteurs qui influencent le contenu de cette dernière ainsi que ses manières de table et son rythme alimentaire. Peut-on parler de prise de décision des mangeurs dans l’adoption d’un régime alimentaire particulier ? Cette adoption du régime alimentaire se fait- elle de manière entièrement rationnelle ? Deux approches extrêmement radicales – celle du Mangeur déterminé par des causes extérieures à lui ou celle du Mangeur rationnel qui fait ses choix – sont sans doute à pondérer pour comprendre réellement la construction d’une alimentation. « Venant des sciences de la nutrition, le mangeur moderne est soumis à des discours correspondant à ces différentes formes de rationalité scientifique, mais il n’en continue pas moins à fonctionner sur des rationalités en valeur renvoyant à des comportements traditionnels, à des comportements éthiques, à des éléments relevés, le tout cristallisé dans des systèmes de valeurs, des systèmes symboliques. » (J-P Poulain). En cela, l’approche anthropologique permet, par des données fines recueillies sur le long terme, d’analyser les valeurs rattachées à chaque régime alimentaire, l’implication plus ou moins importante du groupe social dans les choix alimentaires d’un individu. Selon J-L Lambert, on assiste dans notre société actuelle à une « individualisation croissante des modes de vie [qui] entraîne en effet une déritualisation des prises alimentaires, renforcée par la baisse des influences religieuses et morale ». Plusieurs paramètres varient : l’espace (domicile, hors domicile), le mode de présentation/de consommation de la nourriture (mains, couverts, assis, debout…), le temps (long, heures régulières, court, irrégulier, festif, quotidien), la qualité (solide, liquide, salé/sucré) et enfin le type de commensalité (seul, famille, collègues…). Parler de déritualisation des prises alimentaires pose le repas comme un rite, c’est-à-dire comme un ensemble de pratiques, de gestes ayant une fréquence et des normes propres, et rythmant, à intervalles réguliers, la vie d’un couple, d’une famille, d’un groupe d’amis… Ne pourrait-on pas parler dans les changements à l’oeuvre dans les prises alimentaires d’individuation du rituel du repas plutôt que de déritualisation ? De la norme comme de tout, sans excès Madeleine Ferrières rappelle l’exemple de Gargantua où le repas rabelaisien apparaît comme une anarchie alimentaire puisque la prise de nourritures ne s’embarrasse ni de règles, ni de normes, ni de bornes. Pantagruel s’insérera, lui, dans un cadre plus normatif où quantités et moments seront limités. La norme n’est nécessaire qu’en tant que norme, c’est-à-dire un cadre prescriptif adaptable et souple ; quand la norme devient diktat ou quand la norme biologique s’impose au corps social, il s’opère un glissement vers des excès (orthorexie, anorexie, obésité…). Selon Chantal Simon, on assiste aujourd’hui à un risque de dérive progressive de la norme biologique à la norme comportementale (variable, dépendant de critères personnels, sociaux, culturels…). Ainsi par exemple, la notion de zone d’indice de masse corporelle (IMC) est une notion statistique. « Autrement dit, pour un indice de masse corporelle équivalent, certaines ethnies pourraient avoir une masse corporelle grasse et donc un risque potentiel plus élevé. A la lueur de ces données, certains auteurs ont d’ailleurs suggéré l’utilisation d’indice de masse corporelle différents pour définir l’obésité selon l’ethnie d’origine. » (Ch.Simon). Indice de masse corporelle et apports nutritionnels conseillés (ANC) sont des valeurs indices, des outils, pas des références absolues. Comme le souligne JP Corbeau, l’absolutisation des références et des normes conduit à une réelle prise de pouvoir sur les individus, leurs choix alimentaires et leur manière de percevoir leur corps : « A travers régimes et pouvoirs, on est mis au régime par des mentors plus ou moins sérieux, plus ou moins magiques, qui soumettent à l’impact de leurs systèmes normatifs des individus en situation de convivialité ou de solitude et d’isolement. » (J-P.Corbeau). D’ailleurs si l’on s’attache au voyage des mots et à la façon de nommer les choses, l’évolution du vocabulaire lié au cadre alimentaire est significatif. Le passage de la notion de diète à celle de régime à partir du XIXème siècle et de la révolution industrielle est intéressante sur le plan des valeurs. Avec la diète, nous sommes encore dans une perspective holiste et le mot renvoie à un modèle de société hiérarchisée où chaque catégorie sociale est liée à un type de diète (de Versailles à la ferme). La notion de régime alimentaire sera qualifiée selon les besoins et on parle par exemple de régime médicalisé, régime végétarien…Il n’y a pas de hasard dans l’apparition de ces régimes médicalisés, dans l’évolution des façons de percevoir la santé (jusque là l’embonpoint était synonyme de réussite ; la minceur devient peu à peu signe de réussite sociale) au moment où la société en pleine crise/révolution, – celle de l’industrialisation, de l’exode rural, de l’urbanisation…- a du mal à se penser, est en situation d’anomie, selon les propos de Jean-Pierre Corbeau. L’exemple de l’obésité, notamment abordé par Claude Fischler et Jean-Pierre Corbeau lors de ce colloque, est en relation avec ces questions de normes et d’absolutisation des prescriptions. Ainsi, l’obésité traitée comme un problème seulement nutritionnel, biologique, médical, a toutes les chances de ne pas être comprise. Le phénomène de l’obésité est un phénomène social total au sens de Marcel Mauss, c’est-àdire touchant à toutes les sphères de la vie de la personne et résultant de la relation des facteurs biologiques, culturels, sociaux… Ainsi, en faisant un parallèle entre orthorexie (contrôle absolu) et obésité aux Etats-Unis, Jean-Pierre Corbeau nous dit justement : « Les aliments ont des qualités organoleptiques et les mets des fonctions sociales, pourquoi les réduire à des vices et des vertus diététiques ». Claude Fischler met en avant un autre trait, à savoir la stigmatisation de l’obèse, une sorte de « racisme antigros » où l’obèse, le gros est toujours assimilé à une personne qui ne se contrôle pas (on retrouve l’utopie du mangeur rationnel, car le sous-entendu est « s’il est obèse c’est qu’il le veut bien ») : « Mais si l’obèse continue d’être stigmatisé c’est peut-être aujourd’hui pour une raison différente : l’incapacité à se maîtriser, se contrôler, la faiblesse de caractère qu’on lui attribue dérogent de manière insupportable à l’individualisme contemporain. Ce n’est pas seulement que l’obèse constitue un vivant déni de l’idéal de sculpture de soi, de maîtrise du corps et du soi (qu’il rêverait peut-être de pouvoir appliquer). Il incarne (au sens littéral, dans sa chair) aussi toute la difficulté et tous les échecs de cet idéal et il se constitue en quelque sorte en bouc émissaire – un bouc émissaire, pour ainsi dire, chargé de tous les kilos de ceux qui n’en ont que trois à perdre. ». Les questions que l’on peut se poser vis-à-vis des personnes dites obèses sont aussi de l’ordre de cette interaction social/médical : est-ce qu’être gros, c’est être forcément malade ? N’y a t-il pas dans le traitement de l’obésité par les milieux institutionnels une nécessaire prise en compte de l’évolution des corpulences et des régimes alimentaires dans le nouveau contexte d’abondance alimentaire ? L’obèse, tant qu’il n’est pas réduit à l’immobilité, ne peut-il pas être une personne en bonne santé, qui bouge ? Et dans ce cas comment accepter le regard des autres qui reste son plus lourd fardeau à porter. Ce n’était pas mieux avant, disent les historiens… C ’est même le contraire ! Dans la société française d’aujourd’hui, la quête du meilleur régime alimentaire possible (de la Crête aux Inuits en passant par le Japon) et les thèmes de sécurité alimentaire sont des sujets de préoccupations omniprésents. Omniprésentes, modernes, préoccupations typiques d’aujourd’hui, d’une riche société d’abondance ? La peur des salmonelles et autres bactéries, la quête de l’aliment parfait et virginal, trouvent un référent de pureté dans ce passé de terroir, de traditions, où toute agriculture aurait été bio par définition. L’âge d’or dans laquelle toute société se projette en somme ; tout anthropologue vous dira que, sur le terrain, on lui a toujours dit qu’il était arrivé trop tard, « parce qu’avant… » ! Faisant la constatation sans nuance que notre régime alimentaire contemporain est la cause de tous nos maux, des tendances que Pascal Picq qualifie de pseudo-scientifiques valorisent les régimes alimentaires archaïques dont on connaît au final peu de choses. A ces fausses certitudes, Madeleine Ferrières et Julia Csergo ont donné un éclairage, un démenti presque, nous prouvant, au gré de leurs études de sources documentaires s’échelonnant entre le XIVème et le début du XXème siècle, que de toujours « avant, c’était mieux » et que les préoccupations et prescriptions alimentaires ont une histoire très longue. M. Ferrières analyse des sources des XIVème et XVème siècles en nous exposant une liste de prescriptions/proscriptions d’aliments dressés par un notaire de Salon de Provence en 1468. Il se fixe des limites quant à la consommation de viandes et d’alcool et s’auto-prescrit – mais on peut imaginer qu’en l’écrivant il l’adresse à d’autres, sa famille peut-être – des graines particulières (genièvre, fenouil) pour leurs vertus. En 1477, le Roi Louis XI écrit à la gouvernante de ses petites nièces en temps de canicule pour lui donner des conseils sur leur alimentation : « Je ne suis pas physicien (c’està-dire médecin) mais il me semble qu’on ne les doit point garder de boire entre deux heures quand elles auront soif et leur faire mettre beaucoup d’eau en leur vin, et qu’elles ne boivent que de petits vins de Touraine. Et ne leur donnez point de salure ni de viande là où il y ait des épices, mais bouillie, et toutes viandes moites. Et ne leur donnez point de fruits, réservé raisins qui soient bien murs. Il me souvient qu’on dit que les surains sont bons, mais il y en a d’autres qui sont bien mauvais et font venir les flux de ventre ». Comme nous le croyons, les démarches – dans un cas diététiques dans l’autre plus « médicale » – mises en évidence ici correspondent à des préoccupations modernes que nous connaissons tous. Julia Csergo prend la précaution de nous définir cette notion de modernité, modernité en valeurs, c’est-à-dire qui provient de la conscience, de l’assurance « qu’un progrès a été accompli par rapport au passé, de rupture avec un passé perçu comme dépassé, archaïque » et dont le résultat est supérieur à ce qui était avant. Dans le cadre de la modernité alimentaire, ces valeurs peuvent être en relation avec la santé, l’hygiène, la variété des produits. La révolution industrielle et la révolution des transports (chemin de fer) entraînent une révolution dans le régime alimentaire des Français, des citadins notamment : les produits frais sont acheminés rapidement dans la ville (poissons, fromages, fruits, légumes…), les produits du monde au sens large apparaissent disponibles. C’est aussi l’époque de tentatives et d’essais plus ou moins réussis et plus ou moins sains, d’où ce leitmotiv de 1880, aujourd’hui récurrent mais qui a eu sa gloire à chaque époque : « on ne sait plus ce que l’on mange ». Peurs autour de nouveaux aliments, de falsifications, d’additifs controversés… Ainsi, citant Jules Favre, cuisinier pourtant très progressiste qui dénonce la mauvaise alimentation en 1882 : « L’alimentation publique est aujourd’hui livrée à la chimie culinaire (…). Plus rien n’est vrai, plus rien n’est pur. Partout de belles étiquettes mais autant de mensonges (…). S’il est nécessaire que le cuisinier connaisse la chimie, la chimie ne saurait produire des aliments, l’homme ne vivant pas de produits chimiques » (J.Csergo). A côté de ces critiques qualitatives, fondées dans certains cas (ajout de substances nocives…), un autre argument apparaît : celui qui situe le temps des disettes derrière soi et fait de l’abondance qui s’installe le synonyme de progrès social. Nous retrouvons là cette notion de « modernité en valeur » où la valeur ultime est le progrès social. Ce paradoxe mène en 1906 au premier congrès international d’Hygiène alimentaire où apparaît que « La question sociale est une question d’estomac ». Autre révolte contre la « malbouffe », que ne renierait pas notre Jean-Pierre Coffe national, J-Ch. Brun, régionaliste engagé, s’insurge en 1924 contre « les sauces en bouteilles, mixtures savantes et délétères, conserves et bouillons cubiques » et prend acte de cela pour dénoncer : « Nos traditions gastronomiques sont en danger, comme les autres. L’éducation du goût se perd ; on mange vite et mal. ». Ces propos de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle illustrent le souci de la sécurité alimentaire, ainsi qu’une inquiétude devant les transformations des habitudes culinaires et alimentaires qui ont suivi l’industrialisation et l’exode rural. Le principe de la tradition est d’être finalement moins figée que ses défenseurs et d’évoluer, de s’adapter. Dans les périodes de fragilisation sociale, de crise, la société exprime ses angoisses et ses évolutions sur les éléments les plus visibles, les plus sensibles et tactiles. Les aliments touchent à notre identité propre, comme on l’a vu avec Saadi Lahlou. Ils sont notre enfance et nos apprentissages, nos révoltes et nos plaisirs. Rien d’étonnant donc qu’on retrouve, en ce début de XXIème siècle, les mêmes remises en question de l’acquis et les mêmes peurs pour l’avenir de nos assiettes et de nos corps. Au fronton de sa salle à manger, un certain vieil Avare avait fait graver « Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger », afin que ses convives éventuels ne mangent pas sa fortune en pitance. Aujourd’hui, tout un chacun, avare ou dispendieux, ascète ou sybarite, se retrouve marqué dans son for intérieur par un « Il faut bien manger pour vivre et non pas vivre pour bien manger » ! Dans ce « bien », que de prescriptions respectées ou défiées, de normes, de régimes, de croyances et de science … Dans ce « bien », toute la complexité du mangeur français contemporain.

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 36 - avril 2006

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