Promotion de la santé: et si vos objectifs étaient inavouables ?
Bury Jacques A.
Santé conjuguée n° 36 - avril 2006

Pourquoi ce titre quelque peu provocateur1? Parce que, à la lecture des objectifs des Villes-Santé, il m’est venu un doute que je pourrais exprimer de deux façons: par exemple que les objectifs de Villes-Santé se situent entre prévention médicalisée et développement durable, sans lien visible avec la santé; ou pour le dire autrement: comment garder ou trouver une identité professionnelle dans l’intersectoriel? Ou encore que de toute façon la promotion de la santé provoque une série «d’établis».
Villes-Santé: quatre défis
Quels sont en effet vos objectifs dans l’engagement face à la promotion de la santé? – Premièrement « intervenir dans le domaine des politiques publiques en faveur d’un engagement politique clair… pour la justice sociale»; – Deuxièmement «dénoncer les pratiques… qui engendrent les inégalités»; – Troisièmement « contrer les pressions en faveur des produits dangereux, des conditions de vie malsaines, d’une nutrition inadéquate » ; – Quatrièmement « oeuvrer pour la réorientation des services de santé». Ces objectifs, qui se situent dans la droite ligne de la charte d’Ottawa, soulèvent quelques inquiétudes. Premièrement par rapport au modèle de développement économique, qui semble, malgré les résistances altermondialistes, dominé par des modèles ultra ou néo-libéraux; il me semble y avoir dans ce climat un risque que vos objectifs vous fassent fortement associés d’emblée à un côté de la vie politique des états, des régions ou des villes. Ainsi Edmond Hervé constatait- il que «la loi du marché étale la ville, augmente les inégalités», et doit donc être contrebalancée sinon contrée «par une politique sociale». L’approche générale de promotion de la santé tend à privilégier la participation et par-là une forme de démo cratie directe plutôt que la démocratie représentative; en ce sens cela se situe donc en dehors sinon contre les partis politiques organisés et également en dehors sinon contre les organisations syndicales. Ainsi Réal Lacombe parlait-il d’un nouveau partage des pouvoirs et des ressources entre gouverne ments et citoyens, entre professionnels et clients. C’est sans doute une inquiétude qui sera au centre du colloque que la Fondation Renaudot a décidé d’organiser dans quelques mois à Mulhouse autour de la question du nouvel équilibre des pouvoirs. La plupart des partis politiques se réclament de la démocratie et au cours des campagnes électorales on pourrait presque dire que la revendication qu’il y ait davantage de démocratie est une revendication permanente de ceux qui cherchent à être élus. Mais ce caractère permanent de la revendication n’est- il pas l’aveu même qu’ils n’y arrivent donc jamais? Or, il faut garder à l’esprit à quel point dans ce domaine des tentatives d’augmentation de la participation directe des citoyens et de leur « empower ment» qui échouent et dont les échecs sont mal gérés, se paient de démobilisation, de découragement et surtout d’une augmentation du sentiment d’impuissance, ce que Little appelle le « dysempowerment » (qu’il conviendrait, me semble-t-il, d’écrire «disempowerment»). Sur le troisième objectif, celui de changer les pratiques industrielles et commerciales, les risques sont aussi grands, ainsi que le montre l’action des lobbies industriels, autant auprès d’or ganisations internationales comme l’Organisation mondiale du commerce mais aussi l’Organisation mondiale de la santé, que du monde politique, des médias, des scientifiques, de la population elle-même. Ceci a été ample ment démontré dans le cadre du tabac, mais s’observe autant en ce qui concerne l’agroalimentaire, le secteur automobile et du transport en général, les médias, etc. La réorientation des services de santé est restée probablement l’objectif le moins actif depuis Ottawa, il y aura bientôt vingt ans. S’agit-il de changer les médecins, de changer l’hospitalo- centrisme et surtout la hiérarchie du monde médical dominé par la méde cine spécialisée avec au sommet de la pyramide les centres hospitaliers universitaires. Ceci n’est d’ailleurs pas sans rapport direct avec le monde politique, toujours prêt à s’afficher avec l’un ou l’autre professeur. Il faut se rappeler par exemple que l’on trouve toujours un ministre pour inaugurer un hôpital et qu’il est singulière ment moins facile d’en avoir un pour célébrer une fermeture. On connaît aussi dans la plupart des pays les valses budgétaires entre coupures de budget des hôpitaux suivies dès le changement de gouvernement par la restauration sinon l’augmentation de ces budgets. La grande question qui résulte pour moi de toutes ces inquiétudes est la suivante: où diable allez-vous trouver des alliés puissants?
Documents joints
- Ce travail a été réalisé dans le cadre du mandat confié à PROPOS pour la fourniture sur demande d’expertise méthodologique notamment dans les questions européennes et internationales par la direction générale de la Santé et le département de l’Action sociale et de la Santé du canton de Genève.
- Voir notamment la conférence Voies et moyens pour promouvoir efficacement la santé, prononcée à la Journée nationale suisse de promotion de la santé, Lugano, janvier 2004, dont les diapositives sont accessibles sur www.promotionsante.ch/fr activities/conferece/2004/default.asp.
- Ce débat a fait l’objet d’une présentation ici résumée à un séminaire avec Promotion Santé Suisse et le projet de politique nationale de santé en Suisse (octobre 2002).
- Bury J.A., «Education thérapeutique et démocratie sanitaire: du quotidien au politique», Revue francophone de psycho- oncologie (4):113-119, 2003.
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 36 - avril 2006
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