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Le rôle du pharmacien a fortement évolué et se développe avant tout dans une optique de collaboration interdisciplinaire.

Les pharmaciens sont les professionnels de la santé les plus accessibles à la population. Chaque jour, 500 000 personnes entrent dans les pharmacies belges bien réparties sur le territoire. Le contact avec la population est large. Il concerne tous les citoyens, en bonne santé ou croyant l’être, suivis par un médecin généraliste ou pas, malades aigus, malades chroniques, personnes en dépendance. Cette position permet ou pourrait permettre au pharmacien de s’impliquer plus dans les programmes de prévention ou de promotion de la santé en collaboration avec d’autres acteurs. De plus, l’automédication, niée jusqu’il y a peu, occupe une place importante dans l’arsenal thérapeutique. Sur trois personnes éprouvant un problème de santé, deux tentent de se soigner par elles-mêmes et une se rend chez le médecin généraliste ou dans une moindre mesure vers des soins spécialisés1. Le nombre de personnes venant exposer leurs « symptômes » à la pharmacie est considérable. Dans ce contexte, savoir orienter un patient vers une prise en charge médicale lorsqu’elle est nécessaire est une mission importante. À côté de cela, une automédication bien accompagnée par des soins pharmaceutiques de qualité permet de résoudre bon nombre de petits problèmes ne nécessitant pas de consultation médicale. Cet aspect du métier nécessite une bonne collaboration avec la médecine générale et devrait encore se renforcer.

En première ligne

Dans de nombreux pays, cette mission d’orientation s’étend aux tests de dépistages de risques pathologiques, notamment cardiovasculaires. En Belgique, des projets pilotes2 centrés sur le diabète ont donné des résultats très intéressants. Suivis par un passage chez le médecin généraliste, ces tests ont permis de diagnostiquer un diabète chez des personnes qui l’ignoraient et d’en sensibiliser d’autres sur leur état de prédiabète. Dans ce contexte multidisciplinaire, l’accessibilité du pharmacien est une des clés évidentes du succès. Elle contribue ainsi au renforcement de l’efficacité de la première ligne, sans porter atteinte aux compétences médicales. Néanmoins, une bonne part de l’activité des pharmaciens est évidemment centrée sur les soins pharmaceutiques et l’accompagnement du bon usage des médicaments. Au regard de la situation internationale, on constate qu’ils peuvent intervenir efficacement sur trois aspects liés aux médicaments : l’adhésion thérapeutique, les problèmes liés à la polymédication et la littératie en santé. On sait qu’un patient chronique sur deux ne suit pas 80 % de son traitement. Cette non-adhésion a d’énormes impacts sur la qualité de vie, sur les dépenses en soins et, à terme, sur l’autonomie du patient. Grâce aux données du dossier pharmaceutique partagé, les pharmaciens sont bien placés pour évaluer le degré d’adhésion d’un patient et contribuer à son amélioration. En Australie, une étude récente3 a démontré l’impact positif d’un entretien pharmaceutique sur l’adhésion thérapeutique. Les effets sont tellement importants sur le budget des soins qu’il devrait être un point d’attention dans notre pays. D’après une étude d’IMS Health4, les problèmes liés aux médicaments sont responsables de 200 000 hospitalisations par an en Belgique. La moitié est évitable5. Sous l’impulsion de l’APB et des universités, un projet pilote6 mené dans une centaine de pharmacies belges a permis de mesurer l’impact positif d’une revue de la médication par le pharmacien. Enfin, malgré des sources d’information multiples (et un système de soins performants), on constate chez les patients d’importantes lacunes dans la connaissance de leurs médicaments et de leur utilisation. C’est évidemment chez ces personnes qu’on observe une mauvaise adhésion thérapeutique et une surconsommation de soins de santé.

De nouveaux services

Des services spécifiques non liés à la dispensation de médicaments se sont mis en place dans les pharmacies belges et cette tendance va se renforcer. Les entretiens de bon usage des médicaments dans l’asthme (BUM asthme) et les entretiens de prétrajets diabète en sont deux exemples. Ceux-ci permettent de travailler sur le niveau d’adhésion thérapeutique de patients groupes-cibles. Le plus important de ces nouveaux services est certainement la fonction de pharmacien de référence choisi librement par un patient chronique. Lancée en octobre 2017, cette fonction a recueilli l’adhésion d’environ un million de patients (polymédiqués pour la plupart). Le pharmacien de référence édite un schéma de médication complet (on devrait plutôt dire un « bilan de médication ») qui reprend l’ensemble des médicaments utilisés par le patient (issus potentiellement de différents prescripteurs), les médicaments d’automédication, les autres produits de santé (surtout ceux à potentiel d’interactions), les posologies, les moments de prise et les conseils annexes. Au début de la crise du Covid-19, les hôpitaux ont lancé un appel aux pharmaciens de référence afin d’éditer les schémas de médication pour les patients chroniques. Les médicaments utilisés dans la prise en charge hospitalière des personnes contaminées sont en effet à fort potentiel d’interactions et peuvent mettre en jeu le pronostic vital. Les informations recueillies par le pharmacien de référence peuvent donc, à côté d’autres, s’avérer précieuses pour les hôpitaux. En ce sens, il est souhaitable que l’évolution de l’e-santé dans notre pays (si complexe !) se fasse de manière multidisciplinaire. Chaque intervenant, y compris le patient, devrait pouvoir tirer profit d’un échange d’informations issues des différentes compétences. Il apparaît ici évident que la collaboration entre le médecin généraliste et le pharmacien doit se renforcer. La grande majorité des patients chroniques est autonome et vit plus ou moins normalement. Ces personnes voient deux acteurs de soins de manière fréquente et systématique : le médecin généraliste qui prescrit et suit la pathologie, et le pharmacien qui délivre les médicaments et veille à leur bon usage. On voit à quel point une collaboration renforcée entre ces deux professions peut mener à une meilleure prise en charge des patients, en prêtant plus d’attention aux problèmes cités plus haut. C’est dans un accompagnement précoce des patients chroniques que les gains d’efficience peuvent être les plus élevés sur le long cours. Pour rendre cette collaboration structurelle, il y a bien sûr encore quelques barrières à lever. Une meilleure connaissance de la réalité de l’autre est certainement une étape importante dans les démarches multidisciplinaires. Pour y aboutir, la concertation médico-pharmaceutique est un outil à exploiter.

Qualité et sécurité

Une autre facette du métier de pharmacien, souvent méconnue, est consacrée aux démarches « qualité ». À chaque délivrance7 de médicament, le pharmacien contribue à financer le Service de contrôle des médicaments, un laboratoire central qui analyse la qualité des médicaments mis sur le marché belge. Depuis trois ans, les pharmaciens participent également à des cycles de contrôle qualité des préparations magistrales qui restent une activité importante en pharmacie. Le Formulaire thérapeutique magistral8, maintenant accessible en ligne, permet aux médecins d’accéder à des formules validées et protocolées. La notion de personalized medicine est en développement et la préparation magistrale peut être une réponse appropriée. En outre, chaque pharmacie doit disposer d’un manuel de qualité qui régit tous les processus de contrôle qualité au sein de l’officine. C’est une tâche parfois contraignante, mais tellement importante pour assurer un service optimal et sûr à la population. Enfin, en collaboration avec l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS), la profession met en œuvre la qualité « services ». Des projets pilotes ont été lancés dans les officines. Ils sont consacrés au « coaching qualité » et le développement d’indicateurs de qualité est bien engagé. Bien sûr, comme d’autres domaines, la pharmacie d’aujourd’hui subit de plein fouet la marchandisation de la santé. La grande distribution regarde le secteur d’un œil envieux et les commerces en ligne ont le vent en poupe. Ces acteurs entendent bien s’attaquer au « modèle archaïque de la pharmacie » et, si possible, le supplanter. Il me plaît de faire un comparatif avec ce qui s’est passé dans le secteur alimentaire. Les grandes surfaces sont arrivées et ont détruit le commerce de proximité, avec l’impact que l’on sait sur la cohésion sociale des quartiers et des villages. Le low cost a entrainé un système productiviste, avec l’impact que l’on connait sur l’environnement et sur la qualité de l’alimentation. Et que se passe-t-il aujourd’hui ? Toutes ces grandes enseignes ouvrent des magasins de… proximité ! Mais le mal est fait. De l’alimentaire au médicament, il pourrait n’y avoir qu’un pas qui produirait, à n’en pas douter, les mêmes effets. Ce modèle est évidemment en parfaite négation de l’aspect « soins ». L’accompagnement doit primer sur le produit. Les pharmacies sont souvent les derniers « lieux publics » dans certains villages ou quartiers et les pharmaciens jouent un rôle social sous-estimé. Les pharmaciens passent en moyenne quatre à cinq heures par semaine pour trouver des alternatives aux médicaments indisponibles, cette activité dans un contexte low cost ne pourra être menée, car non rentable.

Proximité et continuité des soins

La crise du Covid-19 a mis en exergue l’importance de la présence des pharmaciens sur le terrain. Ils ont maintenu le service à la population sans faillir, assurant la continuité des soins, régulant la dispensation de certains médicaments ou dispositifs médicaux afin d’endiguer le risque de pénurie, répondant aux personnes en recherche d’informations ou désemparées par le sentiment de moindre accessibilité des cabinets médicaux, multipliant par quatre le portage à domicile tout en répondant à deux fois plus d’appels téléphoniques et avec une fréquentation, au plus fort de la crise, atteignant deux fois le niveau normal… cela avec un sentiment de manque de considération des autorités et la non-prise en compte de cette profession dans la distribution du matériel de protection. Cette crise a agi comme un révélateur.

Le pharmacien de demain

Les pharmaciens sont occupés à s’organiser pour offrir de nouveaux services aux citoyens, comme le portage à domicile justement. Se rendre chez les personnes qui ont des difficultés de déplacement et délivrer les médicaments commandés à la pharmacie en les accompagnant des conseils adéquats est une grande valeur ajoutée du métier. Développer des systèmes digitaux afin d’être accessible à tout moment fait aussi partie des objectifs, tout comme garder un lien avec les patients, anticiper et prévenir les indisponibilités, sensibiliser au suivi du traitement, intégrer dans les officines de nouvelles compétences… tout ceci est en cours de développement. D’un autre côté, la mutualisation des coûts et des compétences devient également une nécessité. D’autres perspectives sont également envisageables, même si certaines froissent le corps médical (vaccination en pharmacie par exemple, pourtant pratiquée dans de nombreux pays européens). Ces nouvelles propositions sont à analyser de manière posée, en se focalisant sur des objectifs sanitaires qui doivent logiquement dépasser les corporatismes, le but étant de trouver un accord sur des solutions concertées. Même si le pharmacien prend aujourd’hui sa place dans la première ligne de soins en tant qu’acteur à part entière, son potentiel reste encore, on le voit, sous-exploité. Réfléchir aux évolutions des métiers de santé, c’est tester la capacité des uns et des autres à travailler de concert pour renforcer la première ligne ô combien essentielle dans la chaine de soins. La Plateforme de première ligne de soins wallonne (PPLW) et la Plateforme bruxelloise (PPLB) sont certainement des outils de concertation interdisciplinaire qui devraient monter en puissance et devraient être soutenus par les pouvoirs publics.

Documents joints

  1. Carré de White ou diagramme de White- Williams-Greenberg : répartition des soins de santé évaluée dans les années 1960 sur base d’observations américaines et anglaises.
  2. www.chronilux.be et ww.klav.be.
  3. R.C. Cutler et al., “Pharmacist-led medication non- adherence intervention: reducing the economic burden placed on the Australian health care system”, Patient Preference and Adherence, 2019:13.
  4. IMS Health Belgium, Advancing the responsible use of medicines in Belgium, 2015.
  5. « Trop d’e ets indésirables des soins ambulatoires en France », Prescrire n°336, 2011.
  6. J. Wuyts et al., Studying the impact of a medication use evaluation by the community pharmacist (Simenon): Patient-reported outcome measures, Elsevier, 2020.
  7. www.fagg-afmps.
  8. www.tmf-ftm.be et www.m -qmp.be.

Cet article est paru dans la revue:

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