Aller au contenu

Tesfay et la crise humanitaire en Éthiopie


Santé conjuguée n°95 - juin 2021

Trois des quatre membres fondateurs de l’association Tesfay1 en 2005 sont issus de maisons médicales liégeoises. Tesfay – prénom qui signifie « mon espoir » en tigrinia – soutient, en partenariat, des projets de développement conçus par des Éthiopiens et encourage les échanges entre là-bas et ici.

 

Ces projets sont gérés localement par ceux qui en sont les promoteurs, qui visent un développement au long terme et une réduction des inégalités, qui visent à renforcer l’auto-estime et la capacité d’agir des gens et à renforcer les mouvements associatifs et la démocratie participative. Les actions de Tesfay se déroulent essentiellement au Tigré, une région à la frontière du Soudan : accueil d’orphelins dans leur famille élargie dans plusieurs localités, acquisition de livres pour une école de devoirs et de matériel pour une maternité, construction et équipement d’une bibliothèque scolaire, construction ou rénovation de bâtiments scolaires… Nous avons entre autres contribué à la création d’un centre de santé, d’un centre de jour pour enfants de mères célibataires sans revenus fixes, à un projet d’adduction d’eau, à l’accompagnement de patients des rues avec maladie mentale, ou au développement rural durable.

Nous n’avions pas imaginé le pire

Nos projets étaient très enthousiasmants, car ils motivaient nos partenaires déjà très engagés dans leur communauté. Le pays, après avoir connu les guerres et les famines, connaissait un développement remarquable. On observait l’amélioration des conditions de vie des femmes et des paysans, la construction de routes, des collines nues qui se recouvraient d’arbres, le développement des écoles et des universités, des centres de santé et des hôpitaux… Depuis sa création, Tesfay a envoyé près de 400 000 euros à ses bénéficiaires en Éthiopie, ce qui représente 96 % de ses dépenses. Depuis cette année, notre association apporte une aide humanitaire aux victimes de la guerre… En septembre 2020, un article de notre journal bisannuel sur les fortes tensions en Éthiopie se terminait ainsi : « Plus que jamais, l’avenir est incertain »1. Le 4 novembre, l’armée éthiopienne, accompagnée de milices Amhara attaquait le Tigré. Nous étions abasourdis. Trente années de développement allaient être réduites à néant ! Quelques jours plus tard, nous avons lancé un premier appel auprès de nos donateurs et sympathisants, dans lequel nous nous inquiétions des impacts sur les civils, des risques majeurs pour l’approvisionnement alimentaire (d’autant plus que les cultures de la région avaient été ravagées par une invasion exceptionnelle de sauterelles), des conséquences humanitaires graves et du risque d’une guérilla à long terme. Nous avons interpellé des représentants aux parlements fédéral et européen, la ministre des Affaires étrangères, des journalistes et des représentants de grandes organisations non gouvernementales. Nous avons contribué à alerter l’opinion publique avec des cartes blanches et des interviews dans la presse. Nous espérions à ce moment que la Belgique, grâce à son siège au Conseil de sécurité des Nations unies, aurait pu jouer un rôle… Toutes nos inquiétudes ont été confirmées. Et sur le terrain, la souffrance était bien pire que ce que nous l’avions craint, car nous n’avions pas prévu une série d’éléments dramatiques : l’intervention massive de l’armée érythréenne ; la fermeture générale des banques qui aggrava le problème d’accès à la nourriture, surtout pour les citadins ; les pillages généralisés (maisons privées, sites historiques, hôpitaux, universités et entreprises) par les soldats érythréens, contribuant à précipiter les problèmes alimentaires et sanitaires ; les actes de barbarie (viols en série, massacres de familles dans leurs maisons, dans des églises comme à Axoum et à Maryam Dengelat…) ; les actions de répression érythréennes contre les camps de réfugiés érythréens au Tigré ; la généralisation de la violence (à la frontière soudanaise, dans d’autres régions d’Éthiopie, les répercussions en Somalie…) ; des discriminations inquiétantes à l’encontre des Tigréens (à Addis Abeba, parmi les casques bleus de l’ONU…). La Chine se tait et exerce son droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies, fidèle à sa politique de non-ingérence, malgré ses intérêts économiques menacés. Les États-Unis et l’Union européenne demandent de façon répétée – mais en vain – l’accès à l’aide humanitaire, le retrait des troupes érythréennes et une enquête sur les crimes et les massacres.

Que peut encore faire Tesfay ?

Nous avons gardé le contact avec certains partenaires et envoyé de l’argent pour les bénéficiaires du centre de jour et les orphelins que nous aidons. Nous poursuivons nos échanges avec un réseau de personnes très engagées, interpellons journalistes et politiciens. Lors d’une vidéoconférence internationale de la diaspora tigréenne, nous avons insisté sur l’importance du dialogue, seule voie du retour de la paix. Elle-même première condition du développement et de la santé. En février dernier, nous avons financé l’acheminement de trois camions à travers une zone en guerre : 17 400 kilos de farine ont été livrés à la mission catholique d’Adigrat, qui les a distribués. Nous continuons de soutenir les victimes des violences et de la malnutrition, mais ce ne sont que des gouttes d’eau… Historique de la crise 1974. Suite à des manifestations estudiantines, une junte militaire renverse l’empereur Hailé Sélassié et son régime féodal et met en place une dictature sanguinaire : le Derg. Une guérilla s’organise au Tigré autour du Front de libération populaire du Tigré (TPLF), qui se joint au Front de libération de l’Érythrée (EPLF) dans la lutte contre le Derg. 1984-1985. Une famine fait près d’un million de morts dans le nord de l’Éthiopie. Le Tigré est particulièrement frappé. 1991. Le TPLF, avec des mouvements minoritaires des autres régions (entre autres Oromo et Amhara), constitue le Front démocratique révolutionnaire populaire d’Éthiopie (EPRDF) qui renverse la dictature. Peu après, l’Érythrée devient indépendante. L’EPRDF, où le TPLF reste dominant, met en place un système fédéral. Ce pouvoir fort, très dur à l’égard de ses opposants, permet un développement et une croissance économique importants dans l’ensemble de l’Éthiopie. Un modèle à la chinoise. Développement des campagnes et des villes, du système de santé, de l’éducation. L’espérance de vie augmente de vingt ans. 1998-1999. Les tensions entre le TPLF et l’EPLF, qui existaient déjà au temps de la lutte contre le Derg, débouchent sur une guerre absurde et meurtrière (70 000 morts) entre l’Éthiopie et l’Érythrée, dont le prétexte était quelques hectares de terres semi-arides. 2012. Le leader incontesté de l’EPRDF, Meles Zenawi, meurt dans un hôpital belge. 2018. Face aux manifestations de plus en plus importantes des Oromos (ethnie la plus nombreuse), l’EPRDF choisit un Oromo, Abiy Ahmed, comme Premier ministre éthiopien. Il défend un État centralisé, ce qui suscite des tensions de plus en plus vives avec les Oromos et les Tigréens. Abiy fait la paix avec le régime totalitaire de l’Érythrée. Petit à petit, les Tigréens perdent quasi tout leur pouvoir et leurs postes au niveau du gouvernement central et de l’administration nationale. Ils se replient sur leur province. Le gouvernement postpose les élections prévues en mai 2020, pour cause de Covid-19. Début septembre, le Tigré organise des élections régionales, considérées comme illégales par le gouvernement central. Début novembre 2020. Abiy prétexte l’attaque d’une base militaire par les Tigréens pour déclencher une guerre de grande ampleur pour libérer le Tigré de la clique du TPLF, mais celleci a le soutien massif du peuple tigréen. Il semble évident qu’Abiy avait fomenté un plan avec les Érythréens pour prendre le Tigré en tenaille. C’est une enclave, avec peu de réserves en nourriture. Sans une aide humanitaire, une famine de grande ampleur menace ses habitants.

Documents joints

 

  1. La Lettre de Tesfay, n° 31.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°95 - juin 2021

Introduction

L’adolescence – un entre-deux dont les limites temporelles ne sont pas claires et qui semblent d’année en année s’étirer davantage – a pour constante d’être associée à des comportements irritants, déviants parfois, incompréhensibles souvent. Délinquance, conduites(…)

- Stefania Marsella

La journée ne fait que commencer

Une maison de jeunes, une MJ, c’est un lieu d’accueil avec un grand A. Quand on y entre, on y rencontre… des jeunes. Toutes sortes de jeunes (entre douze et vingt-six ans, dit le décret), qui(…)

- Chambeau Marc

Une idée de l’adolescence

L’adolescence évoque invariablement quelque chose de flou qui suggère soit l’image d’une rébellion à mater soit celle d’un cheval fou à dompter soit, dans le meilleur des cas, celle d’un être hybride contraint de réaliser cette(…)

- Bruno Humbeeck

Que jeunesse se passe !

Binge drinking, polyconsommation, accessibilité à de nombreux produits… notre jeunesse est-elle complètement enfumée ? Boire de l’alcool en quantité, se défoncer, rouler vite… est-ce un passage obligé ? Ces mises en danger ne sont pas neuves et elles(…)

- Martin de Duve

Sexe and love : les enjeux de l’EVRAS

Adolescence, qui es-tu ? Un temps suspendu entre l’enfance et l’âge adulte ? Une transformation physique et psychique ? Une zone abyssale faite de questionnements fondamentaux, d’angoisse de séparation avec les parents et les adultes ? Un enjeu crucial sur(…)

- Sandrine Garaboeuf

Une consultation pas comme les autres

La complexité des situations sociales, psychologiques et de santé touche autant les jeunes que les plus âgés. En maison médicale, la pluridisciplinarité permet aux soignants de partager rapidement leur expérience et leurs compétences au bénéfice de(…)

- Leïla Pitropakis, Mélanie Lannoy

L’adolescence au temps du Covid

En quoi les adolescents ont-ils été spécifiquement touchés par cette crise ? Comment les services de santé mentale se sont-ils adaptés pour leur venir en aide ? Nous proposons ici quelques réponses basées sur notre pratique clinique et(…)

- Nicolas Linsmeau

Trouver sa place

Alors que la salle de classe se fait virtuelle, la salle hospitalière de pédopsychiatrie ne désemplit plus. Nos observations croisées d’étudiants futurs travailleurs sociaux, d’ados en consultation ambulatoire ou dans une institution pour jeunes aux difficultés(…)

- Françoise Oger, Sophie Barnabé

Ils ont des idées et ils le font savoir !

Climat, sexisme ou encore racisme et inégalités : les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas moins militants qu’auparavant, mais leur engagement se réinvente sous de nouvelles formes.

- Marinette Mormont

Décrochage… et accrochage scolaires

Le décrochage scolaire touche un nombre impressionnant de jeunes et ce phénomène est aggravé par les mesures adoptées depuis le début de la crise sanitaire. Les solutions existent, mais elles restent insuffisantes. Notre service tente d’apporter(…)

- Catherine Sztencel

Jeunes, école, emploi : là où ça coince

C’est dans une démarche de prévention à l’exclusion sociale et dans une volonté de favoriser la maturation par les élèves de leurs choix professionnels et d’études que le programme JEEP a vu le jour.

- Najwa Saoudi

Un âge entre deux rives

La période de l’adolescence n’a pas toujours existé comme nous la connaissons de nos jours, bien loin de là. Et chercher à en cerner les contours semble ne pouvoir se faire que par ce que l’adolescent(…)

- Benoît Tielemans

Les pages ’actualités’ du n°95

Arnaud Zacharie : « Il faut stabiliser le contexte international, et cela implique une coopération multilatérale »

Le secrétaire général du Centre national de coopération au développement (CNCD- 11.11.11) livre son éclairage sur les enjeux de la vaccination et de la mondialisation.

- Arnaud Zacharie, Pascale Meunier

Tesfay et la crise humanitaire en Éthiopie

  Ces projets sont gérés localement par ceux qui en sont les promoteurs, qui visent un développement au long terme et une réduction des inégalités, qui visent à renforcer l’auto-estime et la capacité d’agir des gens(…)

- Dr André Crismer

Violences policières et charge de la preuve

Police Watch, l’Observatoire des violences policières de la Ligue des droits humains, relève la persistance d’obstacles rencontrés par les victimes pour porter plainte, mener à bien une procédure judiciaire et obtenir réparation. En matière de preuves,(…)

- Julia Galaski

Adopter une approche de genre en santé

Les inégalités de santé entre les femmes et les hommes ne sont pas seulement imputables à des différences d’ordre biologique. Facteurs biologiques et déterminants liés à l’environnement social, économique et culturel s’enchevêtrent, et parmi ceux-ci le(…)

- Pauline Gillard

Inégalités de santé, inégalités de vie

Après un an de pandémie, tandis que les épargnants qui ont télétravaillé font la file devant les banques pour investir dans l’immobilier, les précarisés font la file devant les banques alimentaires et les CPAS pour tenter(…)

- Fanny Dubois