Trois des quatre membres fondateurs de l’association Tesfay1 en 2005 sont issus de maisons médicales liégeoises. Tesfay – prénom qui signifie « mon espoir » en tigrinia – soutient, en partenariat, des projets de développement conçus par des Éthiopiens et encourage les échanges entre là-bas et ici.
Ces projets sont gérés localement par ceux qui en sont les promoteurs, qui visent un développement au long terme et une réduction des inégalités, qui visent à renforcer l’auto-estime et la capacité d’agir des gens et à renforcer les mouvements associatifs et la démocratie participative. Les actions de Tesfay se déroulent essentiellement au Tigré, une région à la frontière du Soudan : accueil d’orphelins dans leur famille élargie dans plusieurs localités, acquisition de livres pour une école de devoirs et de matériel pour une maternité, construction et équipement d’une bibliothèque scolaire, construction ou rénovation de bâtiments scolaires… Nous avons entre autres contribué à la création d’un centre de santé, d’un centre de jour pour enfants de mères célibataires sans revenus fixes, à un projet d’adduction d’eau, à l’accompagnement de patients des rues avec maladie mentale, ou au développement rural durable.
Nous n’avions pas imaginé le pire
Nos projets étaient très enthousiasmants, car ils motivaient nos partenaires déjà très engagés dans leur communauté. Le pays, après avoir connu les guerres et les famines, connaissait un développement remarquable. On observait l’amélioration des conditions de vie des femmes et des paysans, la construction de routes, des collines nues qui se recouvraient d’arbres, le développement des écoles et des universités, des centres de santé et des hôpitaux… Depuis sa création, Tesfay a envoyé près de 400 000 euros à ses bénéficiaires en Éthiopie, ce qui représente 96 % de ses dépenses. Depuis cette année, notre association apporte une aide humanitaire aux victimes de la guerre… En septembre 2020, un article de notre journal bisannuel sur les fortes tensions en Éthiopie se terminait ainsi : « Plus que jamais, l’avenir est incertain »1. Le 4 novembre, l’armée éthiopienne, accompagnée de milices Amhara attaquait le Tigré. Nous étions abasourdis. Trente années de développement allaient être réduites à néant ! Quelques jours plus tard, nous avons lancé un premier appel auprès de nos donateurs et sympathisants, dans lequel nous nous inquiétions des impacts sur les civils, des risques majeurs pour l’approvisionnement alimentaire (d’autant plus que les cultures de la région avaient été ravagées par une invasion exceptionnelle de sauterelles), des conséquences humanitaires graves et du risque d’une guérilla à long terme. Nous avons interpellé des représentants aux parlements fédéral et européen, la ministre des Affaires étrangères, des journalistes et des représentants de grandes organisations non gouvernementales. Nous avons contribué à alerter l’opinion publique avec des cartes blanches et des interviews dans la presse. Nous espérions à ce moment que la Belgique, grâce à son siège au Conseil de sécurité des Nations unies, aurait pu jouer un rôle… Toutes nos inquiétudes ont été confirmées. Et sur le terrain, la souffrance était bien pire que ce que nous l’avions craint, car nous n’avions pas prévu une série d’éléments dramatiques : l’intervention massive de l’armée érythréenne ; la fermeture générale des banques qui aggrava le problème d’accès à la nourriture, surtout pour les citadins ; les pillages généralisés (maisons privées, sites historiques, hôpitaux, universités et entreprises) par les soldats érythréens, contribuant à précipiter les problèmes alimentaires et sanitaires ; les actes de barbarie (viols en série, massacres de familles dans leurs maisons, dans des églises comme à Axoum et à Maryam Dengelat…) ; les actions de répression érythréennes contre les camps de réfugiés érythréens au Tigré ; la généralisation de la violence (à la frontière soudanaise, dans d’autres régions d’Éthiopie, les répercussions en Somalie…) ; des discriminations inquiétantes à l’encontre des Tigréens (à Addis Abeba, parmi les casques bleus de l’ONU…). La Chine se tait et exerce son droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies, fidèle à sa politique de non-ingérence, malgré ses intérêts économiques menacés. Les États-Unis et l’Union européenne demandent de façon répétée – mais en vain – l’accès à l’aide humanitaire, le retrait des troupes érythréennes et une enquête sur les crimes et les massacres.
Que peut encore faire Tesfay ?
Nous avons gardé le contact avec certains partenaires et envoyé de l’argent pour les bénéficiaires du centre de jour et les orphelins que nous aidons. Nous poursuivons nos échanges avec un réseau de personnes très engagées, interpellons journalistes et politiciens. Lors d’une vidéoconférence internationale de la diaspora tigréenne, nous avons insisté sur l’importance du dialogue, seule voie du retour de la paix. Elle-même première condition du développement et de la santé. En février dernier, nous avons financé l’acheminement de trois camions à travers une zone en guerre : 17 400 kilos de farine ont été livrés à la mission catholique d’Adigrat, qui les a distribués. Nous continuons de soutenir les victimes des violences et de la malnutrition, mais ce ne sont que des gouttes d’eau… Historique de la crise 1974. Suite à des manifestations estudiantines, une junte militaire renverse l’empereur Hailé Sélassié et son régime féodal et met en place une dictature sanguinaire : le Derg. Une guérilla s’organise au Tigré autour du Front de libération populaire du Tigré (TPLF), qui se joint au Front de libération de l’Érythrée (EPLF) dans la lutte contre le Derg. 1984-1985. Une famine fait près d’un million de morts dans le nord de l’Éthiopie. Le Tigré est particulièrement frappé. 1991. Le TPLF, avec des mouvements minoritaires des autres régions (entre autres Oromo et Amhara), constitue le Front démocratique révolutionnaire populaire d’Éthiopie (EPRDF) qui renverse la dictature. Peu après, l’Érythrée devient indépendante. L’EPRDF, où le TPLF reste dominant, met en place un système fédéral. Ce pouvoir fort, très dur à l’égard de ses opposants, permet un développement et une croissance économique importants dans l’ensemble de l’Éthiopie. Un modèle à la chinoise. Développement des campagnes et des villes, du système de santé, de l’éducation. L’espérance de vie augmente de vingt ans. 1998-1999. Les tensions entre le TPLF et l’EPLF, qui existaient déjà au temps de la lutte contre le Derg, débouchent sur une guerre absurde et meurtrière (70 000 morts) entre l’Éthiopie et l’Érythrée, dont le prétexte était quelques hectares de terres semi-arides. 2012. Le leader incontesté de l’EPRDF, Meles Zenawi, meurt dans un hôpital belge. 2018. Face aux manifestations de plus en plus importantes des Oromos (ethnie la plus nombreuse), l’EPRDF choisit un Oromo, Abiy Ahmed, comme Premier ministre éthiopien. Il défend un État centralisé, ce qui suscite des tensions de plus en plus vives avec les Oromos et les Tigréens. Abiy fait la paix avec le régime totalitaire de l’Érythrée. Petit à petit, les Tigréens perdent quasi tout leur pouvoir et leurs postes au niveau du gouvernement central et de l’administration nationale. Ils se replient sur leur province. Le gouvernement postpose les élections prévues en mai 2020, pour cause de Covid-19. Début septembre, le Tigré organise des élections régionales, considérées comme illégales par le gouvernement central. Début novembre 2020. Abiy prétexte l’attaque d’une base militaire par les Tigréens pour déclencher une guerre de grande ampleur pour libérer le Tigré de la clique du TPLF, mais celleci a le soutien massif du peuple tigréen. Il semble évident qu’Abiy avait fomenté un plan avec les Érythréens pour prendre le Tigré en tenaille. C’est une enclave, avec peu de réserves en nourriture. Sans une aide humanitaire, une famine de grande ampleur menace ses habitants.
Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n°95 - juin 2021
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