L’adolescence – un entre-deux dont les limites temporelles ne sont pas claires et qui semblent d’année en année s’étirer davantage – a pour constante d’être associée à des comportements irritants, déviants parfois, incompréhensibles souvent. Délinquance, conduites à risque, inconscience… Les qualificatifs sont majoritairement péjoratifs et le regard porté sur la jeunesse globalement sévère ou inquiet. Pourtant nous sommes tous passés par là et nous avons tôt ou tard fini par lui jeter un regard nostalgique et complaisant. Dans les sociétés traditionnelles, le passage à l’âge adulte était soutenu par des rituels symboliques. Comment se dépatouillent les adolescents d’aujourd’hui pour franchir ce Rubicon sans trop se mouiller les pieds ? Qui sont-ils exactement et qu’est-ce aussi que ce concept d’adolescence ? L’occasion de réaliser quelques expériences extrêmes avant de pénétrer un monde de responsabilités, de décisions, de tracas et de traites à payer ? Comment les jeunes peuvent-ils se projeter et se construire dans le monde qui leur est proposé ? En regardant faire les adultes ?
Un chantier en construction
Dans nos sociétés occidentales modernes, tout semble possible, à portée de main, le confort acquis et les libertés de choix infinies. Mais l’avenir laisse aussi entrevoir quelques scénarios catastrophes dans lesquels les jeunes doivent envisager de devoir jouer un rôle : crises économiques à répétition, crises environnementales, climatiques, inégalités galopantes… Ils payeront la lourde facture des choix effectués par leurs ainés. Depuis plus d’un an, ils doivent déjà inscrire leur trajectoire dans une crise sanitaire sans précédent. Une crise qui met à mal leurs repères, ce qui fait socle, ce qui fait sens. Interdictions, restrictions, tout ou presque est proscrit : le groupe, la bande, les sorties, les excursions, le plaisir, les premières fois… Même les cours sont donnés à distance ; or les jeunes se construisent principalement en se déployant dans des espaces multiples, à géométrie variable, à l’extérieur et hors du champ de vision de leurs parents. Dans leurs nombreuses bulles, l’école, le club sportif, le mouvement de jeunesse, le bar du coin, la maison de jeunes du quartier, c’est là qu’ils s’éloignent peu à peu de l’enfance et qu’ils se rapprochent d’une identité nouvelle. Car c’est bien à travers l’expérience du groupe que peut se construire une individualité propre. C’est dans ces ailleurs qu’ils peuvent expérimenter d’autres manières d’agir, de penser, et se défaire de ce qui leur a été transmis par leurs géniteurs et par leur histoire pour pouvoir construire quelque chose qui n’appartiendra qu’à eux.
Plusieurs indicateurs sont au rouge
Avant de devenir les adultes de demain, les ados de maintenant avancent, parfois avec difficultés, sur plusieurs fronts. L’école tout d’abord. Le décrochage scolaire concerne un nombre impressionnant d’élèves. Il est lié à des facteurs multiples, personnels ou familiaux, mais aussi à l’échec, à la non-appartenance, à l’étiquetage précoce. Les fermetures successives des établissements scolaires ont accentué le phénomène. Sans cadre, sans le support du groupe, sans l’enthousiasme de retrouver les camarades, seuls des heures durant face à un écran, les jeunes ont massivement décroché cette année. Or nous savons que l’exclusion du système scolaire mène à l’exclusion de la société. Les NEETS, ces jeunes qui ne sont ni en formation ni à l’emploi, comptaient déjà pour 14,5 % en Wallonie et 17,3 % en Région de Bruxelles-Capitale avant la pandémie. Celle-ci a alimenté cette désaffiliation des apprentissages, elle contribue aussi lourdement à l’explosion des problématiques de santé mentale. Les consultations de pédopsychiatrie sont saturées et les listes d’attente pour obtenir un rendez-vous s’allongent. Les inégalités sociales et la précarité ont des effets sur la santé physique : diabète, obésité, leur incidence va croissante.
Réveiller l’adulte
Si le tableau parait sombre, il est aussi révélateur d’un mal-être plus diffus, sociétal, et dont les plus jeunes se font le porte-parole à travers tout ce qu’ils montrent à voir. En manifestant notamment, en Belgique comme dans de nombreux pays, pour défendre un monde plus juste, plus propre, plus solidaire et respectueux des générations futures. Car oui, les jeunes s’investissent aussi, et tous ne vont pas mal, loin de là. Ce sont d’ailleurs rarement eux qui parlent de crise d’adolescence… mais plutôt les adultes qui les fréquentent ! Au cours de l’Histoire, ce sont souvent les jeunes qui se sont soulevés, qui ont contesté, secoué les certitudes de leurs ainés. Au fond, ne seraient-ils pas les garants de notre non-engourdissement ? Par leurs passions, leurs réactions ou leurs abstentions, leurs joies et leurs peines, ils réveillent en l’adulte les questions liées à l’engagement, au sens de la vie, au bonheur, à l’amour, au rapport au monde… Ils nous renvoient à nos propres excès et à nos limites et nous posent cette cruelle interrogation : « Qu’avez-vous fait de votre jeunesse ? ».
Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n°95 - juin 2021
Introduction
L’adolescence – un entre-deux dont les limites temporelles ne sont pas claires et qui semblent d’année en année s’étirer davantage – a pour constante d’être associée à des comportements irritants, déviants parfois, incompréhensibles souvent. Délinquance, conduites(…)
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