Depuis les attentats du 11 septembre 2001, la lutte contre le terrorisme est en train de tourner à l’obsession. La Belgique n’échappe pas aux procédures d’exception mises en place dans d’autres pays : une série de lois construit petit à petit un édifice sécuritaire. Les conditions de détention et le procès des membres du groupe turc DHKPC fournissent un bon exemple de ces dérives. Cependant, les libertés et les droits fondamentaux ne peuvent être sacrifiés au nom de la lutte contre le terrorisme.
L’obsession
Depuis les attentats du 11 septembre 2001, la lutte contre le terrorisme est devenue une des priorités de l’ensemble de la communauté internationale et un des thèmes majeurs au sein des instances internationales et régionales. Des États ont mis, et mettent encore, en place des procédures judiciaires d’exception pour juger les individus présumés terroristes. Des suspects sont privés du droit à une défense appropriée, les preuves à charge restent secrètes, des jugements sont prononcés par des tribunaux d’exception dont le fonctionnement et la composition portent atteinte aux principes élémentaires d’impartialité. Dans certains cas, des sanctions sont imposées par des autorités administratives ou politiques, cela sans la moindre possibilité de recours effectif. Des procédures violent manifestement les normes internationales garantissant le droit à un procès équitable, comme les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ou celles de la Convention européenne des droits de l’Homme. En outre, un arsenal policier touchant l’ensemble des citoyens, en ce compris les personnes qui ne sont pas soupçonnées de faits de terrorisme, se développe dans la précipitation, notamment par l’utilisation de moyens portant atteinte à la vie privée. Des États profitent ainsi du fait terroriste pour se doter d’un arsenal juridique large leur permettant en fait de réprimer toute forme de contestation politique. Ils sont aidés en cela par le caractère sciemment vague de la définition du terrorisme, qui permet de criminaliser certains mouvements sociaux. En outre, ce mouvement entraine également une augmentation du contrôle social sur l’ensemble des citoyens. S’il est légitime que des États garantissent la sécurité, les atteintes aux libertés collectives et individuelles que cela engendre ne le sont pas. Et c’est précisément dans ces moments d’inquiétude sécuritaire qu’il convient de veiller scrupuleusement à l’application, au respect et à la préservation des libertés civiles et politiques. La question suivante doit dès lors être posée : les droits et libertés fondamentaux peuvent-ils être sacrifiés au nom de la lutte contre le terrorisme ? À notre grand regret, nous devons pourtant constater que la Belgique n’échappe pas à cette bien lourde tendance, au contraire. Nos droits fondamentaux en danger ? Dans son rapport d’octobre 2005 intitulé L’antiterrorisme à l’épreuve des droits de l’homme : les clés de la compatibilité, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) indiquait que « les défenseurs des droits fondamentaux qui dénoncent les mesures antiterroristes peu scrupuleuses des droits de l’Homme sont présentés comme des idéalistes, des saboteurs ou même comme des traitres. Dans les nombreux pays où la lutte contre le terrorisme est détournée de son objectif premier pour réprimer toute forme d’opposition, ces critiques découlent plus du désir de réduire au silence opposants politiques et défenseurs des droits humains que de celui de disposer de moyens efficaces pour contrer la menace terroriste ». Chez nous, le mardi 7 novembre, dès 9h15 du matin, s’entamait à la cour d’appel de Gand la lecture marathon de la décision condamnant lourdement plusieurs membres du DHKPC. Elle durera fort tard dans la journée, jusqu’à 20h45. Deux-cent-quatre-vingts pages pour clouer au pilori Bahar Kimyongur et ses amis. Pour confirmer des peines d’emprisonnement dont les conditions ont déjà été largement dénoncées par la Ligue et l’Observatoire international des prisons. Heureusement cassé ce 19 avril 2007, cet arrêt faisait, pour la seconde fois, application de la loi belge du 19 décembre 2003 relative aux infractions terroristes adoptée en application d’une décision-cadre européenne du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme. Ici, au-delà des critiques qui s’expriment ça et là sur la justice belge ou sur les interrogations légitimes qui peuvent naitre de décisions différentes selon que le juge soit belge ou hollandais, il convient avant tout de s’interroger sur la facilité avec laquelle nos gouvernants cèdent à cette surenchère entamée outre-Atlantique en adoptant sans cesse des textes en tous sens qui, au nom de la lutte antiterroriste, n’en finissent plus de détricoter nos droits fondamentaux. Avant des juges qui appliquent une loi, il y a eu des ministres pour la proposer, des parlementaires pour la voter. Ils ne peuvent maintenant, au nom de la séparation des pouvoirs, se dégager de leurs responsabilités. Or cette loi du 19 décembre 2003 a inséré de façon affolante dans notre Code pénal les concepts éminemment flous d’« infraction terroriste » et de « groupe terroriste » et ce en prévoyant de surcroit une augmentation importante des peines lorsque l’infraction est qualifiée d’infraction terroriste. Deux grands principes sont ainsi à nos yeux bafoués par cette scandaleuse législation : le principe de légalité des incriminations et le principe de non-discrimination. Elle n’est pourtant qu’une pierre supplémentaire à l’édifice sécuritaire que, petit à petit, d’aucuns sont en train de nous imposer. En témoignent la loi du 6 janvier 2003 concernant les méthodes particulières de recherche et de quelques autres méthodes d’enquête, la loi du 19 décembre 2003 relative aux infractions terroristes, la loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d’arrêt européen, les lois du 3 mai 2005 relatives aux habilitations de sécurité ou encore la loi du 27 décembre 2005 adoptée en vue d’améliorer les modes d’investigation dans la lutte contre le terrorisme. Pourtant, comme le rappelle avec justesse la Charte constitutive du Comité de vigilance en matière de lutte contre le terrorisme 1 (Comité T), « c’est précisément dans ces moments d’inquiétude sécuritaire qu’il convient de veiller scrupuleusement à l’application, au respect et à la préservation des libertés civiles et politiques ».Stigmatisation des détenus
Les détenus qualifiés de « dangereux » peuvent être soumis à un régime particulier appelé régime cellulaire strict « extra ». Il existe à cet égard un grand flou du point de vue normatif et en ce qui concerne les pratiques, ce qui engendre inévitablement des situations d’abus et d’arbitraire. Pour les militants du DHKPC, le régime « extra », loin d’être exceptionnel, aura été leur lot quotidien depuis le début de leur incarcération. Dame, ne sont-ils pas présumés puis condamnés comme terroristes et, en conséquence, forcément dangereux ? Qualifiés ainsi ab initio et de façon permanente de dangereux, ils ont été totalement isolés des autres détenus. Ils n’ont pu participer à aucune activité de la prison. Ils sont restés dans leur cellule vingt-trois heures sur vingt- quatre heures et ne pouvaient en sortir que pour se rendre au préau de manière individuelle. Les contacts avec l’extérieur étaient quasiment réduits à néant puisqu’aucune visite n’était admise en dehors de celle de leurs avocats et que les appels téléphoniques étaient limités. En outre, la confidentialité des entretiens avec les avocats n’était pas assurée. Les transferts vers le Palais de Justice sont également sujets à caution : ces détenus étaient doublement menottés, affublés d’un gilet pare-balles de 10,5 kg, trois fois mis à nu et fouillés de manière humiliante. Plus inquiétante est l’observation qu’ils ont dû subir. Celle-ci rend impossible une quelconque intimité ou même le sommeil. En effet, la lumière doit être allumée toutes les trente minutes dans les cellules afin de s’assurer que les détenus s’y trouvent toujours. Le manque de sommeil et l’isolement ont des conséquences désastreuses sur l’état mental et physique des individus (claustrophobie, spasmophilie, folie…). De ce fait, le tribunal des référés avait été saisi de cette question à quatre reprises, avec un point constant dans le résultat : la suspension de toute mesure visant ou ayant comme effet de perturber le sommeil. Devant le refus systématique des juges de cautionner une telle pratique, l’administration pénitentiaire avait trouvé la solution : désormais la lumière n’est plus allumée toutes les trente minutes, mais restait tout simplement allumée toute la nuit… Des protestations s’élèvent régulièrement et heureusement pour réclamer la fermeture de la prison de Guantanamo. Quel contraste avec le silence assourdissant qui entoure certaines conditions de détention en Belgique… Il faut souligner que ces méthodes sont contraires aux libertés et droits fondamentaux reconnus par la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. À ce titre, le Comité pour la prévention de la torture (CPT), l’organe de contrôle de la Convention, a déjà tancé la Belgique pour l’absence de bases légales en la matière, les autorités pénitentiaires agissant donc dans une totale illégalité. Ce que les juridictions belges ont également rappelé à quatre reprises. On ne peut que dénoncer cette absence de critères clairs et objectifs déterminant le maintien d’un détenu en régime de détention aussi strict, la disparité des mesures prises d’un établissement pénitentiaire à un autre qui en résulte et les traitements en eux- mêmes, qui peuvent être assimilés à des traitements inhumains ou dégradants. La fuite en avant gouvernementale Loin de se poser la question d’une nécessaire évaluation de l’efficacité du cadre ainsi mis en place pour lutter contre le terrorisme, le Gouvernement continue sa fuite en avant. À cette longue litanie de textes législatifs précités pourrait bientôt s’ajouter une pierre de plus à l’édifice. En effet, à quelques jours de la dissolution du Parlement, figure à l’ordre du jour de la commission Justice du Sénat l’examen d’un projet de loi n° 3-2138 relatif aux méthodes de recueil des données des services de renseignement et de sécurité. Ce texte préparé par les ministres de la Justice et de la Défense et présenté par le Gouvernement fédéral est pourtant d’une importance décisive. En effet, il vise à modifier en profondeur la loi organique du 30 novembre 1998 relative à ces mêmes services. Ce faisant, ce texte repose, avec acuité, la question des missions et de l’encadrement des services secrets. Or, sur le fond, il y répond de façon dangereuse : extension tous azimuts des méthodes permettant la récolte de données confidentielles, mépris pour les principes de subsidiarité et de proportionnalité, contrôles insuffisants et d’ores et déjà déficients, renvois aussi décisifs que nombreux à l’exécutif, garanties insuffisantes au bénéfice des personnes faisant l’objet d’enquêtes de la part des services de renseignements… Concrètement, cette loi permettrait à nos services de renseignements d’avoir en ligne de mire et en toute impunité des organisations non-gouvernementales de défense de l’environnement, comme Greenpeace, qui protestent contre le développement de l’énergie nucléaire en Belgique. Voire aussi des syndicats, qui eux aussi protestent, parfois radicalement, contre la politique économique du Gouvernement et donc qui menacent le potentiel économique de l’État… Mais c’est aussi sur la forme et sa procédure d’adoption que ce texte interpelle. Alors qu’il s’agit d’un dossier volumineux, technique et fondamental pour l’avenir des services de renseignements et de nos libertés individuelles, sous pression du Gouvernement, il est demandé aux représentants de la Nation de se prononcer et de voter sur un pareil document en quelques jours… Ne serait-il pas temps aujourd’hui pour nos responsables politiques, au lieu de voter dans la précipitation, un énième texte potentiellement liberticide, de se poser la question de l’efficacité vantée des précédentes législations antiterroristes adoptées ?Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
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