Stimuler le développement de la co-professionalité : une démarche collective se met en place à Liège
Ingrid Muller
Santé conjuguée n° 74 - mars 2016
Depuis plusieurs années, l’intergroupe liégeois accueille différent groupes de travail réunissant des travailleurs de maison médicale : ils échangent et se forment pour renforcer la qualité de leurs pratiques. Certains de ces groupes sont mono-professionnels, d’autres portent sur des thématiques particulières (fin de vie, prise en charge de patients toxicomanes, prévention,…) qui concernent des professionnels de métiers différents. A ce jour, aucun groupe thématique n’est explicitement centré sur la prise en charge interdisciplinaire du patient, mais la question émerge : évocation d’une recherche-action en cours, qui témoigne de la vitalité du terrain.
Les débuts d’un questionnement
Depuis plusieurs années, l’équipe des permanents de l’intergroupe liégeois rencontre tous les mois les délégués de chaque maison médicale liégeoise, ce qui lui permet de soutenir l’orientation de ses projets. Il y a quelques temps, ces délégués ont exprimé le souhait d’aborder des questions en lien avec les soins et le travail en maison médicale : les permanents de l’intergroupe liégeois leur ont dès lors proposé un programme de rencontres concernant notamment1 l’articulation des différents secteurs professionnels (accueil, assistant social, psychologue, kinésithérapeute, infirmière, médecin,…). Objectif général : « augmenter le potentiel de l’équipe interdisciplinaire de première ligne, au service de la santé globale ». Le travail de fin d’études d’Hélène Dispas consacré au Partage des tâches entre médecins généralistes et infirmiers en première ligne de soins2 a donné une première impulsion aux rencontres ; mais il est vite apparu que le sujet, avant même d’être clairement nommé (co-professionnalité ? interdisciplinarité ? partage des tâches.. ?) devait être élargi au-delà des médecins et infirmiers. Les délégués ont voulu débuter par une observation et une analyse des pratiques d’articulation entre les professionnels au départ de la demande des patients, avec l’appui d’une expertise extérieure (sociologue de la santé) et d’un groupe d’accompagnement. Ce groupe, nommé Groupe d’accompagnement des plénières – GAP, a été constitué avec des volontaires reflétant la diversité des secteurs et des équipes. Chargé de piloter la démarche, le Groupe d’accompagnement des plénières, a vite pensé que, pour accompagner harmonieusement le changement recherché, il fallait viser conjointement les patients et les soignants – et donc travailler sur la transformation des représentations du soin avec les patients. Il a également mis en évidence et questionné deux principes. La titularisation, d’abord : est-ce une plus-value en termes de qualité des soins ? Dans quelle mesure, à quelles conditions, dans quel contexte ? Est-ce un absolu ? Peut-on trouver des modalités, des adaptations dans le cadre d’une équipe ? Et la complémentarité : au-delà du principe, qu’est-ce que c’est, sur quoi porte-t-elle ? Que fait-elle gagner, que permet-elle de ne pas perdre ? Quelles sont ses limites, ses risques ? Les différentes étapes de réflexion ont progressivement permis de préciser que le travail devait in fine aboutir à la recommandation de bonnes pratiques ou à l’élaboration d’une boîte à outils qui puissent aider les équipes à réorganiser leurs pratiques, tout en répondant à divers enjeux : « l’efficience, la convivialité, la qualité des relations humaines, le partage des responsabilités entre professionnels, l’équité dans la répartition du travail, la participation des patients aux soins et au changement, la mise en évidence de modalités de travail nouvelles rencontrant les contraintes actuelles et futures du contexte »3.Questionner : oui, mais comment ?
Pour mieux identifier les pratiques de terrain, le Groupe d’accompagnement des plénières a décidé d’interroger les équipes (ou des groupes multidisciplinaires représentatifs) sur base d’un questionnaire centré sur une situation type, de manière à permettre l’expression des différents points de vue. Comment définir une situation type de manière juste et crédible ? Par un processus de co-construction bien sûr : les délégués ont été invités à raconter des situations vécues où avaient surgi des questions, liés à la co-professionnalité, au partage des tâches. Les problèmes identifiés relevaient de différents domaines : territoires professionnels et zones de chevauchement, définition du projet thérapeutique, gestion du temps et des agendas, modalités de collaboration, partage des outils, limites individuelles et limites des missions, difficulté de trouver un langage commun,… L’avantage de cette démarche empirique, c’est qu’elle partait de l’existant, de situations réelles qui « parlaient » aux personnes interrogées. Cependant, des confusions et des hypothèses implicites ont surgi pendant les échanges ; le matériel de base a été retravaillé et mis en ordre avec un chercheur de l’Appui en promotion et en éducation pour la santé – APES afin de mieux préciser les différentes dimensions du questionnement, en adéquation avec les enjeux. En fin de compte, deux histoires ont été co-construites, posant des problèmes différents à la dynamique de travail en équipe.A suivre…
Au printemps 2015, deux permanents de l’intergroupe liégeois ont soumis l’enquête à quatre équipes volontaires ; quatre autres équipes les accueilleront prochainement. D’ici le mois de juin 2016, les délégués devraient être en mesure de proposer des pistes d’actions concrètes pour soutenir le développement de la co-professionnalité dans les équipes. A suivre avec attention !Une définition provisoire de la co-professionnalité en maison médicale a été construite lors de ce travail pour être mise en débat : « c’est un processus qui organise les différentes professions dans le but de répondre aux besoins des patients en veillant au confort et au bien-être des travailleurs, par une définition et répartition des tâches, une attention à la communication entre professionnels, une articulation avec l’extérieur (réseau partenaires), tout en tenant compte des limites de la maison médicale. Ce processus articule le parcours du patient (amont, pendant, après) au sein de la maison médicale ».
Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 74 - mars 2016
Utiliser le dossier informatisé en équipe
Pour bien travailler en interdisciplinarité, il faut pouvoir s’appuyer sur des procédures et des outils concrets. L’équipe de la Passerelle a réalisé un travail approfondi pour mieux utiliser le Dossier santé informatisé (DSI) Pricare en interdisciplinarité.(…)
Charte de la transdisciplinarité
Préambule Considérant que la prolifération actuelle des disciplines académiques et non-académiques conduit à une croissance exponentielle du savoir ce qui rend impossible tout regard global de l’être humain, Considérant que seule une intelligence qui rend compte(…)
Frontières, limites et désirs d’infini
La collaboration entre disciplines questionne l’identité, les limites, la rencontre avec l’autre, l’organisation collective… Des enjeux qui dépassent de loin les pratiques professionnelles : la notion de frontière doit sans relâche être interrogée et mise au coeur(…)
Pluri-, multi-, inter-, trans- ou in-disciplinarité ?
A la base des pratiques en maison médicale, la collaboration entre diverses disciplines. Est-il utile de distinguer les différents termes désignant cette collaboration ? Apparemment oui, si l’on en croit l’abondante littérature consacrée à cette question : bref(…)
Together we change : une vision
Together we change donne un signal clair : il faut changer fondamentalement la politique de santé à partir de la première ligne de soins pour faire face aux défis de l’accessibilité, de la viabilité financière, du vieillissement(…)
Coordination des soins en première ligne : et Mme Dupont ?
Les soignants du domicile rencontreront de plus en plus de situations complexes, avec des besoins de soins inédits. En cause ? Le vieillissement de la population et la rationalisation des soins hospitaliers. Une réflexion est aujourd’hui indispensable(…)
Toxicomanie : plus d’intégration pour davantage d’inclusion
Fin 2013, le FEDER (Fonds européen de développement régional, programmation 2014-2020) lançait un appel à projets auquel ont répondu plusieurs acteurs bruxellois, à l’initiative de Médecins du Monde. Dépassant l’interdisciplinarité pour aller vers l’intersectorialité, ces acteurs(…)
Collectiviser la faute : une recette pour mieux se partager les tâches ?
La responsabilité d’un professionnel est parfois mise en cause, et quand on travaille à plusieurs autour d’un patient, c’est souvent la parole de l’un contre celle de l’autre. Pourtant, des systèmes de responsabilité collective existent. Ces(…)
Pour agir sur la formation de base : des séminaires interdisciplinaires
L’interdisciplinarité peut-elle s’enseigner à l’université ? C’est le pari qu’ont fait, à l’université libre de Bruxelles, le département de médecine générale et le Pôle Santé : à leur initiative, un séminaire portant sur la collaboration interdisciplinaire est intégré(…)
Formation interdisciplinaire : toujours plus
Naima Bouti termine sa dernière année de baccalauréat en soins infirmiers. Elle parle ici avec enthousiasme du séminaire interdisciplinaire décrit par Pierre-Joël Schellens dans l’article précédent : une mise en question des représentations véhiculées lors des formations,(…)
Collaborer entre médecins et infirmiers : une affaire de complémentarité
Pénurie de médecins, complexification des pathologies et des situations : la question d’une réorganisation des soins et du partage des tâches entre médecins et infirmiers est au cœur de l’actualité. Son examen, sous des angles divers, permet(…)
Infirmières et médecins en tandem à Saint-Léonard
La « co-prof ». Le terme jargonneux, tout droit sorti de la bouche des professionnels de la maison médicale Saint-Léonard, dans le quartier liégeois du même nom, signifie « coprofessionnalité ». Un concept dont l’équipe de la maison médicale semble(…)
Du trio a l’équipe : concertation à la maison médicale Esseghem
Engagée à la maison médicale d’Esseghem en avril 2013, Zoé Wouters y a repris le poste d’assistante sociale créé dans cette équipe il y a près de 25 ans ; c’était sa première expérience en maison médicale.(…)
Secret professionnel partagé : la place des accueillantes en maison médicale
L’interdisciplinarité implique un partage d’informations entre les professionnels, c’est une évidence ; mais dans quelle mesure, dans quelles circonstances, ce partage est-il compatible avec le respect du secret professionnel ainsi qu’avec les différents positionnements des intervenants(…)
L’approche communautaire : un liant interdisciplinaire ?
L’approche communautaire repose sur la rencontre de personnes issues d’univers variés, dont les formations, les savoirs, les intérêts, sont différents voire très éloignés. Si les usagers des services de santé, les habitants, en sont des acteurs(…)
La coordination : un outil pour l’interdisciplinarité ?
De nombreuses questions traversent les maisons médicales depuis que la fonction de coordination est nommée. Il semble utile d’en préciser les enjeux spécifiques, non seulement par rapport à la gestion mais aussi en ce qui concerne(…)
Prémisses à la fonction de coordination de soins
Suite à différentes questions qui se sont posées dans certaines maisons médicales à Liège en 2013, l’intergroupe de cette région tente de définir les contours d’une fonction de coordination des soins en maison médicale. Un groupe(…)
Stimuler le développement de la co-professionalité : une démarche collective se met en place à Liège
Depuis plusieurs années, l’intergroupe liégeois accueille différent groupes de travail réunissant des travailleurs de maison médicale : ils échangent et se forment pour renforcer la qualité de leurs pratiques. Certains de ces groupes sont mono-professionnels, d’autres portent sur(…)
Pricare : vers un dossier transdisciplinaire
En quoi le Dossier santé informatisé (DSI) Pricare peut-il être considéré comme un outil particulièrement utile dans un travail transdisciplinaire ? C’est ce que Benjamin Fauquert tente de montrer dans cet article, tout en évoquant la manière(…)
Introduction
Intrinsèque au modèle des maisons médicales, le travail en équipe pluridisciplinaire est aujourd’hui considéré comme un critère de qualité pour les soins de santé primaires : des soins particulièrement bien adaptés à la prédominance des pathologies(…)
Les pages ’actualités’ du n° 74
Gestion du tabagisme en institution
Cédric Migard propose ici un point de vue très nuancé à propos de la question du tabagisme en institution, au regard de ses dix années de pratique en tant que thérapeute dans un centre de jour(…)
Penser le changement
Les maisons médicales suscitent l’intérêt dans les milieux académiques, tant du côté de la santé publique que de l’économie sociale. Une question centrale est celle de l’adéquation de leur mode d’organisation pour la qualité du service(…)
Tunisie : vers une médecine communautaire
Michel Roland, très actif depuis plusieurs années sur le terrain de la santé en Tunisie, nous donne ici un aperçu de certaines initiatives menées en matière de formation et de recherche dans ce pays qui fut(…)
Fin de vie et demande d’euthanasie
Mon rôle, puis celui des membres de mon équipe, a été progressivement défini après la publication de l’arrêté royal de 1997 structurant la prise en charge des soins palliatifs en Belgique. C’était l’occasion pour la direction(…)
Journal d’un corps
Bien connu du grand public par la saga des Malaussène, Daniel Pennac est aussi l’auteur d’un « journal intime » dont l’originalité tient au point de vue adopté : « Je veux, dit le narrateur, écrire(…)
Tabagisme-précarité-estime de soi
Depuis plusieurs années, certaines maisons médicales développent des projets axés sur le tabagisme, avec une attention particulière pour les personnes les plus précarisées parmi leur patientèle. Au centre de ces projets, une réflexion sur la manière(…)