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L’approche communautaire : un liant interdisciplinaire ?


Santé conjuguée n° 74 - mars 2016

L’approche communautaire repose sur la rencontre de personnes issues d’univers variés, dont les formations, les savoirs, les intérêts, sont différents voire très éloignés. Si les usagers des services de santé, les habitants, en sont des acteurs de premier plan, les réflexions qui suivent portent plus particulièrement sur l’interdisciplinarité. Comment les différents professionnels s’articulent-ils pour mettre en place une telle approche ? Quels sont les freins, les atouts, les ouvertures ?

Un liant interdisciplinaire

L’approche communautaire est un liant interdisciplinaire : exprimée par un des travailleurs qui a participé aux échanges proposés par la Fédération des maisons médicales, cette idée traduit bien le sentiment des autres – même si cela reste parfois un vœu pieux. Un « liant », c’est pour le dictionnaire « quelque chose qui réunit, relie deux ou plusieurs choses entre elle » ou encore « ce qui assure la cohésion ou la cohérence d’un ensemble » – par exemple une substance servant à agglomérer les autres composants d’une matière. Le terme peut aussi désigner une matière elle-même, dont les éléments présentent une forte cohésion – cette caractéristique la rend facile à travailler parce qu’elle n’est pas cassante, se plie facilement, souple, élastique : « Le bois du platane est plein, dur, très liant et fort lourd, susceptible d’un beau poli1 ». Quittant le registre de la matière, l’adjectif ‘liant’ qualifie une personne, un comportement « enclin ou propre à nouer des relations de société ou d’amitié, amène, familier »2. L’approche communautaire reviendrait donc pour les travailleurs qui se sont exprimés, à tisser des liens : entre les patients et les soignants, entre les membres d’une équipe, avec d’autres intervenants. A leurs yeux, cette pratique est de nature à renforcer la cohésion, relier les regards, soutenir la convivialité en favorisant l’échange, l’acceptation, l’ajustement mutuels. C’est essentiel dans le lien avec les usagers : « La proximité avec les usagers, c’est un aspect fortement lié à l’approche communautaire : une relation de confiance se crée avec eux parce que l’on consacre du temps à comprendre, ce qu’ils vivent, où ils veulent aller. Cette proximité se tisse aussi entre les usagers qui se rencontrent, se donnent des conseils, s’entraident, partagent parfois l’épreuve de la maladie, ou de simples moments de convivialité nouveaux pour eux. Nouveaux horizons, nouvelles solidarités ».

Balises

Un concept flou, des pratiques insaisissables ? C’est souvent ainsi qu’apparaît l’approche communautaire aux yeux de ceux qui n’y sont pas impliqués ; et ce concept évoque parfois des pratiques assez différentes pour les intervenants communautaires eux-mêmes. C’est pour ces raisons que la Fédération des maisons médicales, alliée au Secrétariat européen des pratiques en santé communautaire – SEPSAC a mené il y a quelques années un long travail avec des acteurs français, belges et espagnols. Il en est ressorti une brochure, publiée en 2009, qui propose des « points de repères » réunissant ces différents acteurs au-delà de leur diversité : « Ces points de repère sont des fils rouges qui nous guident : ils nous aident à maintenir le sens et la vitalité de nos pratiques, sans cesse confrontées aux aléas et aux limites du réel »3. Les travailleurs invités à échanger se sont accordés sur l’intérêt de ces balises, rappelons-les brièvement. Les huit repères que nous retenons pour définir la démarche communautaire en santé sont les suivantes : Des repères spécifiques à la stratégie communautaire : 1. Concerner une communauté ; 2. Favoriser l’implication de tous les acteurs concernés dans une démarche de coconstruction ; 3. Favoriser un contexte de partage des pouvoirs et des savoirs ; 4. Valoriser et mutualiser les ressources de la communauté ; Un repère méthodologique : 5. Mettre en place un processus d’évaluation partagée et permanente pour permettre une planification souple ; Des repères relatifs à une approche en promotion de la santé : 6. Avoir une approche globale et positive de la santé ; 7. Agir sur les déterminants de la santé ; 8. Travailler en intersectorialité.

Cela ne va pas de soi…

Si l’approche communautaire permet de créer, de développer des liens dans une équipe, elle se développe plus facilement lorsque l’équipe est soudée, a un projet commun, partage une même vision quant à la place des patients et l’importance des acteurs locaux : c’est un peu l’histoire de la poule et de l’œuf ! Un cercle vertueux semble s’être installé dans certaines maisons médicales : quelques travailleurs rapportent ainsi que, chez eux, les échanges s’organisent sans trop de difficultés, chacun s’implique et trouve sa place, les différents travailleurs apprécient les projets et reçoivent les moments d’échec comme des opportunités pour se réinterroger, dialoguer avec les patients… Tout cela sans que chacun ait une connaissance théorique approfondie : « l’important, c’est d’être en accord sur les bases, d’avoir la volonté d’avancer ensemble – professionnels et usagers, dans un but commun ; de laisser la place à chacun sur une base horizontale, en reconnaissant la différence des positionnements et des compétences. Cheminer ensemble permet d’élargir les visions, les sensibilités, et le projet évolue petit à petit ». D’autres intervenants peinent à ancrer leurs pratiques dans leur équipe et gardent le sentiment de travailler dans l’isolement – même si leurs collègues reconnaissent l’intérêt de leur approche et s’y impliquent à l’occasion : « leur adhésion reste plutôt théorique, elle ne va pas jusqu’à un engagement actif dans le développement des projets ». Pourquoi ? Les échanges ont permis d’éclairer les réticences observées. Un cheminement particulier « Selon les saisons, on arrive à Samarcande en longeant le littoral ou en franchissant des cols. Il y a des raccourcis – mais parfois il vaut mieux faire un détour : une route s’est effondrée, les habitants d’un village sont hostiles… Certains détours font découvrir une vallée magnifique, ou un sentier inconnu – qui peut être une « voie de garage »… On arrivera plus ou moins vite selon que l’on est parti de Bruxelles, de Paris ou de Barcelone… ou si un enfant naît en cours de route… Même chose dans les pratiques communautaires en santé : pas de voie royale, pas de voie tracée »3. Ce cheminement particulier n’est pas toujours bien compris : « Certains collègues pensent qu’on bavarde, qu’on s’amuse à boire du café… on va « se balader », on prend son temps, sans poursuivre un objectif précis… ». Cette manière de travailler peut en effet paraître très éloignée d’une certaine vision de la construction de projets ainsi que de la pratique curative telle qu’elle est conçue dans un modèle bio-médical classique… On peut cependant établir de nets parallèles avec les pratiques de soin de santé primaires : que ce soit en prévention ou dans l’accompagnement des malades chroniques, les soignants n’ont-ils pas à faire alliance avec le patient, à comprendre son contexte de vie, à entendre ses projets personnels, ses valeurs ? Poursuivre une approche globale de la santé et des soins suppose de s’appuyer sur l’écoute, d’ouvrir le regard à une sensibilité, à une réalité particulière qui ne permet pas de suivre un chemin tout tracé : les liens entre la promotion de la santé, son axe « approche communautaire » et une certaine vision de la santé existent bel et bien. Des temporalités différentes Il n’en reste pas moins que l’approche communautaire et l’approche curative se déroulent sur des temporalités très différentes : d’un côté des temps « creux», des allers-retours, des chemins de traverse ; de l’autre la nécessité d’aller tant que possible droit au but, de minuter les consultations, de donner de manière assez précise et immédiate une réponse à la demande (celle qui se dit, celle qui ne se dit pas, celle qui prend un masque..), en tenant compte de divers guidelines. Les médecins tout particulièrement ne doivent-ils pas, surtout en période de pénurie et de surcharge, se fixer des priorités ? Est-il judicieux qu’ils consacrent un temps de travail à des activités qui ne requièrent pas vraiment leurs compétences spécifiques, alors que des malades attendent pour être reçus en consultation ? La question est légitime. Les médecins semblent particulièrement peu mobilisables dans les approches communautaires. Se sentant débordés, ils auraient du mal à accepter les « temps longs » qu’implique cette approche. Surtout s’ils n’en perçoivent pas vraiment l’utilité : quel est le réel apport de ces démarches, les activités développées dans ce cadre n’ont-elles pas un impact assez marginal sur la santé ? « Rares sont les médecins qui comprennent que les projets communautaires sont des actions en santé et pas seulement des activités ». Il est dès lors souvent difficile, de susciter leur intérêt, de les mobiliser : ils s’investissent rarement dans les projets et « c’est une vraie lacune car on perd leur expertise, leur regard qui, comme celui de chacun, est spécifique et susceptible d’élargir la compréhension des situations ». Questions d’évaluation Comment mesurer les effets de l’approche communautaire ? « On ne connaît pas l’effet de nos projets, ce qui entraîne des difficultés pour les valoriser par rapport aux soins ; dans l’équipe mais aussi au niveau sociétal ». Les questions, les doutes relatifs à l’impact des démarches communautaires sont fréquents. La brochure évoquée ci-dessus proposait quelques réflexions à ce sujet. Les indicateurs classiques en santé publique mesurent la morbidité, la mortalité, la létalité… De tels indicateurs sont utiles mais pas suffisants dans une optique de promotion de la santé, puisqu’on cherche ici à améliorer la santé, le bien-être, en amont des phénomènes de morbidité et de mortalité. Mais d’autres indicateurs peuvent être utilisés pour mesurer les effets des actions communautaires. Ceux-ci s’évaluent en termes de résultats intermédiaires et/ou de processus : amélioration de la salubrité ou de la sécurité dans un quartier, amélioration des conditions de vie dans un établissement scolaire ou un lieu de travail, augmentation de l’estime de soi dans des groupes marginalisés, renforcement du dialogue entre habitants et services, diminution de certains comportements à risque, développement de l’entraide et de la solidarité, meilleure appréhension des mécanismes sociaux liés à la santé, augmentation de l’autonomie et de la capacité d’agir sur certains déterminants, etc. La difficulté des approches portant sur les déterminants de la santé est que ceux-ci sont liés à de nombreux domaines échappant à l’action des services de santé : l’accès au travail, à l’éducation, à l’habitat, à la vie culturelle et politique… Améliorer la santé globale, dans toutes ses dimensions, de manière significative à l’échelle d’une population (même très locale) nécessiterait de développer une stratégie globale intégrant la prise en compte de tous ces domaines. C’est loin d’être le cas : l’approche communautaire reste « contre-culturelle » et n’a pas jusqu’ici suscité beaucoup de perspectives au niveau des politiques. Dès lors les actions communautaires, tout comme d’ailleurs les autres stratégies de promotion de la santé (campagne d’information, transformation des services de santé, développement de milieux favorables à la santé) ne peuvent amener que des progrès limités. Encore un cercle vicieux : l’approche communautaire a peu de moyens pour démontrer son efficacité : donc elle est peu soutenue et financée – en tous cas beaucoup moins que le secteur curatif. Les acteurs de terrain évaluent souvent les taux de participation, de satisfaction, voire d’évolution personnelle de certains habitants ayant participé aux activités proposées. Une évaluation positive de ces paramètres renforce la motivation, la satisfaction des travailleurs. Ils n’en sont pas moins confrontés au sentiment, éventuellement appuyé par certains collègues, que tout cela n’est qu’une « goutte d’eau »… On peut bien sûr se dire que les gouttes d’eau font les grandes rivières… ; plus concrètement, il s’agit peut-être d’élargir les indicateurs d’évaluation – ce qui nécessite éventuellement d’élargir les objectifs des projets. Dans cet ordre d’idées, l’Institut Renaudot a évalué en 2008 des projets communautaires à trois niveaux : celui des personnes : leurs ressources personnelles (représentations, croyances, connaissances), leurs comportements par rapport à la santé, leur bien-être global… ; celui de l’environnement physique et social local : les ressources et structures en promotion de la santé, les pratiques professionnelles, le partenariat, la qualité de l’environnement ; celui de l’environnement politique et structurel : la prise en compte de la santé par les politiques locales voire régionales. La brochure publiée par la Fédération des maisons médicales en 2013 propose quant à elle des indicateurs pour évaluer les processus mis en place4.

Trouver la bonne méthode

Créativité et planification Susciter la motivation de l’équipe – et des patients ! -, cela passe par l’appel aux idées de chacun, l’ouverture à la créativité : certains projets sont lancés de manière assez spontanée à partir de l’envie d’un ou de quelques travailleurs, au risque de ne susciter que peu d’intérêt chez les autres, de ne pas rencontrer un problème ou un désir partagé. Le risque est aussi de mettre sur pied des activités seulement occupationnelles, touchant peu aux déterminants de la santé ou n’attirant que peu de gens. « Il faut faire la part des choses entre nos desirata et les besoins des patients ». Certaines activités sont suscitées par une demande de patients mais ne recueillent pas le succès escompté : c’est un constat régulier et partagé. C’est peut-être, pour certains des travailleurs qui se sont prêtés à l’échange, parce qu’« Exprimer quelque chose ne veut pas dire être en demande. Ou alors, la demande réelle est ailleurs : nous avons organisé un atelier de cuisine parce que certains patients en avaient exprimé le souhait à l’accueil, mais cela n’a pas marché. Notre hypothèse, c’est que les gens souhaitaient en fait un espace de convivialité. Il faut pouvoir décoder une demande, prendre le temps de l’élaborer. Là on est allé directement au raccourci. Un regard interdisciplinaire aurait permis une meilleure analyse ». D’un autre côté, une approche purement rationnelle ne garantit pas le succès : « Un problème peut être statistiquement prioritaire sans que les patients soient mobilisables sur cette question …. Il y a un équilibre à trouver entre le rationnel et le spontané ». Une bonne option serait d’élaborer un diagnostic communautaire, c’est-à-dire de s’appuyer sur un ensemble d’éléments : données statistiques de santé, besoins ressentis et souhaits des patients, ressources des acteurs, avis d’acteurs-clés au niveau local…)5. Ce qui ramène à une nécessité de base en approche communautaire : il faut prendre le temps ! En pariant que ce temps pris au début permettra de développer des projets qui ne s’essoufflent, qui ont du sens sur le long terme. Lâcher prise Partager les regards ne va pas de soi : cela implique pour chacun de « lâcher » quelque peu sa manière de voir, de la nuancer… (le travailleur en santé communautaire lui-même a parfois du mal à lâcher prise et à accepter le regard de ses collègues) ! « Nous avions un projet ‘marche’, au départ conçu par le kinésithérapeute dans une logique de prévention. Progressivement, le projet a été revu dans une logique communautaire, on y a ajouté un objectif de cohésion sociale grâce à la complémentarité des regards du kinésithérapeute et du travailleur en santé communautaire ; ce dernier touche aussi les gens à l’extérieur de la maison médicale, son regard est différent. Beaucoup de gens manquent d’activité physique faute d’accès aux infrastructures, il faut créer des partenariats, des relais pour mener les actions ». S’organiser Pour que chacun s’implique et amène son regard, son expérience, il faut trouver le temps nécessaire à la mise en commun, à l’ouverture les besoins réels des patients – et les ressources, les disponibilités de chacun. Nécessité dès lors de créer un espace adéquat pour permettre une rencontre entre fonctions. Ce n’est pas facile ; mais, soulignent certains travailleurs, des concertations s’organisent autour de certains patients. N’est-ce pas aussi utile dans des approches collectives ? Trouver la bonne place Certains médecins ne souhaitent pas participer activement aux projets communautaires ; il leur semble difficile de rencontrer les patients sur une autre scène que celle du colloque singulier, ils craignent que cela vienne introduire un biais dans le rapport thérapeutique. D’autres participent aux activités en fonction de leurs affinités, de leurs disponibilités. Ainsi les médecins d’une équipe se mobilisent autour d’un projet citoyen, d’un potager… en « laissant au vestiaire » leur casquette de médecin. « Mais bien sûr, on n’est pas schizo ; chacun amène d’office son expérience professionnelle propre quand il participe à une activité santé communautaire, mais ce n’est pas à ce titre qu’il y participe ». Cette participation « donne de l’air » aux médecins, ce qui a sans doute des effets positif sur leur travail spécifique. Elle a sans doute tout son sens pour ceux qui considèrent que « l’approche communautaire, c’est une autre manière de soigner les gens ».

Pistes concrètes

Quelques pistes concrètes se sont dégagées lors de ces échanges : Construire l’approche communautaire de manière rigoureuse : réaliser un diagnostic communautaire, entendre les patients, analyser le contexte et établir des priorités avant d’être directement dans la construction de projet. Cela permet de dépasser la dimension occupationnelle des activités, de mieux en construire le sens ; Distinguer différents temps, modalités d’implication : la participation de tous est réellement indispensable à l’étape de réflexion, d’analyse et de priorisation, et celle de conception du projet. Ce sont des moments d’interdisciplinarité par excellence. Au troisième temps, dans la préparation et la réalisation du projet, l’interdisciplinarité est moins nécessaire : un groupe « opérationnel » met en place l’activité avec une certaine marge de manœuvre. Cette participation de tous peut reposer sur une délégation : ainsi dans une équipe chaque profession est représentée par un travailleur dès la première étape de conception. Dans une autre équipe, chacun intervient à ce moment-là en enlevant sa casquette spécifique. Dans une troisième, chaque projet s’élabore en petites cellules comportant au moins deux travailleurs. Bref, il n’y a pas de recette unique. Organiser des temps d’échange : pour partager les regards, permettre à chacun de comprendre et d’intégrer le sens et les méthodes de l’approche communautaire, construire et évaluer les actions : « Nous organisons des réunions thématiques en soirée au moins une fois par an sur l’approche communautaire, ses concepts et ses caractéristiques de base. Nous profitons de ces réunions pour évaluer les projets sur base des critères proposés dans les brochures6 ; cela permet de clarifier la démarche, de la faire mieux comprendre petit à petit ». Affecter les ressources nécessaires – en temps, en moyens humains et financiers (en complétant éventuellement les subsides). Ceci en tenant compte des disponibilités. Différents modes d’organisation sont décrits par les travailleurs présents : un groupe « santé communautaire » se réunissant toutes les deux semaines, la désignation d’un coordinateur, des groupes par projets…

Une approche subversive ?

Comme on l’a souligné ci-dessus, l’approche communautaire reste « contre-culturelle » voire subversive, et elle n’est que très peu soutenue dans le domaine de la santé – notamment au niveau des formations médicales qui restent largement centrées sur la maladie et la relation individuelles : les praticiens sont très peu préparés à considérer, à pouvoir agir au niveau collectif, sur les déterminants de la santé, à se positionner comme acteurs de santé publique et de promotion de la santé. Du côté politique, l’approche est méconnue, ainsi que l’impact qu’elle pourrait avoir si la promotion de la santé prenait la place qu’elle mérite… La première brochure évoquée ci-dessus proposait d’ailleurs une série de recommandations aux politiques, restées en grande partie lettre morte… Au-delà des approches communautaires menées en maison médicale, il s’agirait de soutenir aussi d’autres secteurs. En effet, si nous avons centré ici nos réflexions sur l’interdisciplinarité des équipes, le déploiement des approches communautaires nécessite la mise en réseau d’acteurs appartenant à d’autres secteurs. Une mise en réseau qui demande du temps et des moyens pour décoder les différents langages et comprendre les perspectives de chacun, construire des visions et des projets qui puissent se rencontrer et s’optimaliser réciproquement. «Décider ensemble» des actions communautaires à mener (Gaëlle Chapoix, Fédération des maisons médicales) L’approche communautaire et interdisciplinarité… Ces deux terrains riches et complexes semblent constituer un terrain propice à l’expérimentation de la décision collective7. Une démarche de clarification, pour sortir des trop fréquents malentendus ou non-dits sous prétexte d’évidence, constitue un préalable à la co-construction d’une vision commune globale. Celle-ci inspire les missions et objectifs spécifiques que l’équipe se donne pour cheminer. Le tout gagne à être remis sur le métier tous les trois ou cinq ans, afin de s’adapter aux changements (dans l’équipe, la patientèle, les acteurs et actions du réseau local, la population ou l’aménagement du quartier, le contexte socioéconomique et politique…). L’évaluation annuelle collective permet quant à elle les ajustements intermédiaires nécessaires. L’« entraînement mental » recommande, pour l’analyse de situations complexes, de veiller à distinguer les multiples points de vue sur la question. Chacun est alors invité à clarifier d’où il exprime une opinion. Du point de vue du médecin généraliste ou de celui de citoyen militant ? De l’infirmière en santé communautaire ou de la mère de famille ? Du travailleur de la maison médicale ou du membre du conseil d’administration ? Et pour faire exister le point de vue des absents dans la discussion, celui des « tiers exclus », il est précieux de se demander quel serait le point de vue des patients, celui des membres du comité de quartier, d’autres associations partenaires ou des pouvoirs subsidiants. Cela ne dispense pas bien entendu de collecter activement ces points de vue. Cette démarche permet d’éclairer la complexité des situations et les contradictions à l’œuvre. Plutôt que de les nier ou de les camoufler – et qu’elles resurgissent par un échec du projet (les patients ne viennent pas, les collègues ne diffusent pas l’information…) ou d’en faire l’objet de rapports de force, ces contradictions entre différents points de vue peuvent alors devenir des leviers, des tremplins vers des solutions créatives. Plus besoin d’enlever sa casquette de soignant, ni de la garder vissée sur la tête. Il s’agit de valoriser les compétences, spécificités et regards multiples de chacun des protagonistes. Plus besoin non plus de participer à tout pour apporter sa contribution. « Décider ensemble », cela passe aussi par la délégation collective de responsabilités à des (groupes de) travailleurs et la détermination de leurs marges de manœuvre. C’est ce qui permettra par exemple aux travailleurs en santé communautaire de mettre en pratique la décision collective dans les partenariats développés avec les usagers et autres partenaires associatifs.

Documents joints

  1. Baudrillard, Nouv. manuel forest., t. 1, 1808, p. 254.
  2. Centre national de ressources textuelles et lexicales CNRTL (CNRS).
  3. Voir la brochure Action communautaire en santé : un observatoire international des pratiques de novembre 2009 du Secrétariat européen des pratiques en santé communautaire : www.maisonmedicale.org/Action-communautaire-en-sante-un-2119.html
  4. Voir la brochure Action communautaire en santé : un outil pour la pratique du Secrétariat européen des pratiques en santé communautaire, 2013 : www.maisonmedicale.org/Action-communautaire-en-sante-un-3909.html
  5. Voir la brochure de Santé Communauté Participation, n°3, Le diagnostic communautaire de la collection Santé communautaire et promotion de la santé de 2000 : www.maisonmedicale.org/Sante-communautaire-et-promotion,220.html
  6. Voir la brochure Action communautaire en santé : un observatoire international des pratiques de novembre 2009 du Secrétariat européen des pratiques en santé communautaire : www.maisonmedicale.org/Action-communautaire-en-sante-un-2119.html ainsi que la brochure Action communautaire en santé : un outil pour la pratique du Secrétariat européen des pratiques en santé communautaire, 2013 : www.maisonmedicale.org/Action-communautaire-en-sante-un-3909.html
  7. voir « Décider ensemble, oui et comment » dans Santé conjuguée n°63 et les formations organisées par l’équipe éducation permanente de la Fédération des maisons médicales.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 74 - mars 2016

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