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Ça y est ! Après les avoir considérées comme des maladies puis comme des facteurs
de risque, depuis quelques années le monde de la santé commence à s’intéresser
aux préférences sexuelles et aux identités de genre marginalisées (souvent
reprises sous l’acronyme LGBTQI+) comme à des variantes des vécus humains
pouvant jouer de manière spécifi que sur certains déterminants de santé. C’est un
changement heureux qui ne devrait pas être sans conséquence sur les pratiques.


Comment se passe pour moi l’abord de la vie affective et sexuelle dans les soins ? Et en particulier si elle concerne une minorité ? Que fait-on de cette information ? Et au fond, pourquoi se poser ces questions ? N’est-ce pas inutilement intrusif ?

La vie affective et sexuelle :
un déterminant de santé

Accompagner des usager·ère·s LGBTQI+, c’est d’abord et surtout accompagner des patient·e·s comme les autres, pour qui les premiers facteurs de morbi-mortalité restent l’alimentation, le tabac et l’alcool. Comme d’autres, ces usager·ère·s, consulteront pour un rhume, une lombalgie ou un soin de plaie. Leur suivi nécessite donc aussi une approche bio
psychosociale au sein de laquelle la vie affective et sexuelle est un déterminant de santé essentiel (projets de vie, infections sexuellement transmissibles, violences conjugales, etc.). Ceci implique de s’intéresser à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre.

C’est la première raison d’aborder ce sujet. Avec les personnes hétérosexuelles et cisgenres, cela se fait souvent très spontanément : lorsqu’un patient parle des vacances avec son épouse ou lorsqu’une jeune femme demande une contraception par exemple. Avec les personnes LGBTQI+, la situation est un peu différente. La tendance à présumer l’hétérosexualité et l’identité cisgenre d’une personne implique une annonce explicite (coming out). Le contexte social fait que l’usager·ère a parfois peur de parler. Il faut donc créer les cadres qui permettent cette parole, au risque de manquer des éléments essentiels de son vécu et de sa santé.


Le « Plan LGBTQI+ » des centres de planning familial

La Fédération laïque des centres de planning familial (FLCPF) a lancé un projet visant la santé
des personnes LGBTI. Cette initiative se fonde sur les constats de la recherche : un état de
santé général moins bon que dans la population générale. En particulier, les personnes trans
et intersexes sont plus sujettes à l’anxiété, à la dépression, aux agressions et aux risques suicidaires.
La faible propension à fréquenter les centres de soins est liée à une prévalence de certains
états morbides : plus d’IST et de cancers du col de l’utérus chez les FSF, plus de cancers
du côlon chez les HSH… Dans son rapport Health 4 LGBTI de 2017, la Commission européenne
appelait à une formation adaptée pour les professionnel·le·s de santé.

Le projet de la FLCPF est mené en association avec Ex Æquo, Tels Quels, SIDA’SOS, Genres
Pluriels et Plan F. Il se fonde sur la collaboration avec les professionnel·le·s psycho-médico-
socio-juridiques afi n de répondre au mieux aux réalités de terrain. Il vise à améliorer les
connaissances liées aux besoins, spécifi cités et réalités de vie des personnes LGBTI.

Au programme : un workshop sur les orientations sexuelles et identités de genre, deux cycles
de formation et une brochure-outil pour les professionnel·le·s, l’organisation d’un colloque sur
la santé des LGBTI.

Contact : Julie Minders, chargée de mission à la FLCPF. Rue de la Tulipe 34 à 1050 Bruxelles,
tél. : 02 505 60 69, courriel : ten.l1710848062ailim1710848062afgni1710848062nnalp1710848062@sred1710848062nimj1710848062.


Des besoins de santé spécifiques

Une deuxième raison d’aborder ce sujet est que les personnes LGBTQI+ présentent pour plusieurs raisons des besoins de santé et des vulnérabilités spécifiques. Certains de ces besoins découlent d’aspects purement physiologiques (les demandes de traitements hormonaux des patient·e·s transgenres ou les projets de parentalité, par exemple), d’autres découlent de la culture existant dans certains groupes (comme les stratégies de réduction de risques sexuels appropriées suivant les lieux de rencontre, les pratiques sexuelles, etc.). Enfin, beaucoup de ces spécificités en santé naissent du cadre sociétal. Encore aujourd’hui, les LGBTQI+ sont invisibilisé·e·s, grandissent avec peu de modèles, sont plus que d’autres isolé·e·s socialement et subissent des discriminations et des violences verbales, économiques, physiques et sexuelles. En Belgique, 35% des LGBTQI+ déclaraient avoir été discriminé·e·s ou harcelé·e·s en 2012 sur base de leur identité1. Dans ce contexte, ces personnes présentent plus de risques de problèmes de santé mentale (dépression, anxiété, troubles alimentaires, risque suicidaire), de consommations problématiques de substances (drogues diverses, mais surtout tabac et alcool). L’accès aux soins leur étant rendu plus difficile, elles présentent également plus de risques d’infection sexuellement transmissible (IST) et un moindre suivi préventif, comme pour le frottis de col de l’utérus chez les femmes qui ont des relations sexuelles avec des femmes (FSF)2.

Garantir l’accès aux soins

Alors qu’elles ont des besoins de santé spécifiques, l’accès aux soins des personnes LGBTQI+ reste difficile à toutes les étapes du trajet. Avant même le contact avec le système de soins, des liens familiaux fragilisés (rejet, absence d’enfants) peuvent limiter les soutiens potentiels en cas d’accident de parcours. En cas de problème, de nombreuses personnes hésitent à consulter, craignant le jugement ou une attitude inappropriée imaginée ou vécue et se retrouvent parfois à consulter à des stades avancés pour des problèmes de santé qui, pris à temps, auraient été bénins.

Pour celles et ceux qui atteignent les structures de soins, d’autres obstacles subsistent. Présumer les patient·e·s hétérosexuel·le·s et cisgenres reste encore la règle, ce qui résulte souvent en des soins inappropriés. Encore trop de femmes lesbiennes ou transgenres se voient proposer de manière automatique une contraception. Encore trop peu d’hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes (HSH) se voient proposer un dépistage des IST quand il est indiqué, alors qu’ils sont plus exposés, ce qui entretient alors l’épidémie.

Sur le terrain, on constate encore un manque de connaissances par rapport aux besoins spécifiques. Ce manque peut être purement technique, comme pour les traitements hormonaux ou l’accompagnement administratif des transitions des patient·e·s transgenres, qui se retrouvent alors à consulter de nombreux·ses professionnel·le·s différent·e·s avant de trouver le bon ou la bonne. Mais ce manque peut également être culturel, comme pour la prise en compte des parcours de vie spécifiques ou pour la compréhension de certains termes ou pratiques propres à un groupe, ce qui peut finalement amener l’usager·ère incompris·e à ne plus aborder certains sujets. Enfin, il reste des cas de violences explicites. Encore trop souvent, des usager·ère·s se font moquer sur leur mode de vie ou sermonner sur leurs pratiques sexuelles. Tous ces obstacles, au-delà de leurs conséquences directes sur l’accompagnement de problèmes spécifiques, finissent par altérer leur confiance dans les soignant·e·s puis dans le système de soins en général, ce qui finit de limiter l’accès aux soins.

Devenir soignant·e LGBTQI+ friendly

Nous pouvons améliorer l’accès aux soins auxquels les patient·e·s LGBTQI+ ont droit. La première chose est de s’interroger : « Qu’est-ce que je pense des orientations sexuelles et des identités de genre ? Pour moi ? Pour mes collègues ? Et avec mes patient·e·s ? Dans les soins qui me concernent, les besoins spécifiques trouvent-ils une réponse ? ».

En pratique, les premiers changements peuvent se faire dès l’accueil. Mais il ne suffit pas que l’accueil soit neutre… La neutralité dans nos sociétés étant hétéronormée, il faut être réellement inclusif, c’est-à-dire citer explicitement les vécus marginalisés. Ceci peut se faire par quelques affiches sur le sujet dans la salle d’attente. Cette inclusion est aussi dans l’abord des patient·e·s et de leur vécu : ne pas présumer, garder en tête la manière dont on interagit avec eux/elles et, une fois cette ouverture créée, toujours partir de leur parole. Pour le genre, par exemple, il est préférable de partir de leur définition plutôt que d’une carte d’identité et, en cas de doute, de demander respectueusement.

Ensuite, aborder de manière inclusive la vie affective et sexuelle avec les usager·ère·s. Simplement, à l’occasion du suivi ou lorsque l’occasion se présente, lors d’une prise de sang ou d’un bilan de plaintes psychosomatiques. Plutôt que de demander à un homme s’il a une épouse, par exemple, on lui demandera s’il a un ou une partenaire ou les deux. Les patient·e·s ne sont pas gêné·e·s par ces questions et s’attendent même à ce qu’elles soient posées : dans une enquête réalisée en 2015 aux États-Unis dans des services d’urgences, 80% des soignant·e·s considéraient que demander l’orientation sexuelle était offensant pour les patient·e·s. Pour les patient·e·s, ce chiffre n’était que de 10% 3!

Les soins de santé primaires des LGBTQI+ relèvent de la première ligne de soins, mais encore rarement des formations de base. L’information sur les moyens de prévention des IST, quelle que soit la sexualité, ou sur les parcours administratifs des patient·e·s transgenres devrait pouvoir être dispensée dans toute structure de soins. Pour plusieurs professions, un supplément de formation technique sera souvent nécessaire pour pallier les insuffisances actuelles. Plusieurs associations en proposent (voir les différents encadrés p. 13, 14 et 16).

Enfin, un accueil et un accompagnement adaptés des personnes LGBTQI+ nécessiteront de pouvoir comprendre une partie de la diversité culturelle de nos sociétés. On gagne à aller vers ces personnes, à parler de leur vécu et à côtoyer parfois le milieu, ses publications, ses évènements culturels et militants. Les usager·ère·s le sentiront.


Go to gyneco !

Ce projet participatif et collaboratif est destiné aux femmes ayant des relations sexuelles avec
des femmes, dans le but d’améliorer leur bien-être et leur santé sexuelle ainsi que de réduire
les infections sexuellement transmissibles. En eff et, les lesbiennes ne se sentent pas ou peu
concernées par ces thématiques, en particulier par la transmission d’IST comme l’herpès, la
chlamydia et le papillomavirus (qui peut dégénérer en cancer du col de l’utérus).

Le monde médical manque souvent lui aussi d’informations concernant leurs besoins et leurs
spécifi cités. Les associations SIDA’SOS et Tels Quels gèrent conjointement ce projet mis sur
pied avec des femmes. Il propose des brochures (à destination des lesbiennes et des professionnels
pratiquant la gynécologie), un site internet participatif (www.gotogyneco.be, qui permettra
dès avril 2019 à la communauté de recommander ou de trouver des professionnels lesbofriendly
et regroupera diff érentes informations concernant leur santé sexuelle) ainsi qu’un
module de formation pour une prise en charge inclusive par les professionnel·le·s de la santé.

Contact : Tels Quels, rue Haute 48 à 1000 Bruxelles (eb.sl1710848062euqsl1710848062et@es1710848062selli1710848062ted.e1710848062niram1710848062) et
SIDA’SOS, square de l’Aviation 7A à 1070 Bruxelles (eb.so1710848062sadis1710848062@noit1710848062never1710848062p1710848062 ).

  1. European Union Agency
    for Fundamental rights,
    Enquête sur les personnes
    lesbiennes, gays, bisexuelles
    et transgenres dans l’Union
    européenne. Les résultats en
    bref. 2014.
  2. L. Zeeman, N. Sherriff ,
    K. Browne, N. McGlynn,
    S. Aujean, N. Pinto,
    A. Pierson. State-of-theart
    study focusing on the
    health inequalities faced by
    LGBTI people: State-of-the-
    Art Synthesis Report (SSR),
    European Union, 2017.
  3. A.C. Maragh-Bass,
    M. Torain, R. Adler,
    E. Schneider, A. Ranjit,
    L.M. Kodadek et al.
    « Risks, Benefi ts, and
    Importance of Collecting
    Sexual Orientation and
    Gender Identity Data in
    Healthcare Settings:
    A Multi-Method Analysis
    of Patient and Provider
    Perspectives »,
    LGBT Health, avril 2017.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°86 - mars 2019

Introduction

Ce dossier de Santé conjuguée est dédié à la santé des personnes lesbiennes, gays, bis, transgenres, queer et intersexes (LGBTQI). Si ce sujet n’est pas nouveau dans la littérature scientifique ou comme enjeu de santé publique,(…)

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Les enjeux de la lutte contre le VIH/sida se sont drastiquement transformés ces dernières années. D’une part, les progrès médicaux et thérapeutiques consacrent le nouveau paradigme du « traitement comme prévention » : une personne séropositive(…)

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Le concept de syndémie, récent dans la recherche scientifi que, demeure largement méconnu. Il possède néanmoins énormément de potentiel pour envisager les disparités de santé touchant la communauté LGBT ainsi que pour mettre au point des(…)

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Aujourd’hui, la prévention du VIH et des autres infections sexuellement transmissibles ne se résume plus au port du préservatif. On parle de « prévention combinée », c’est-à-dire la possibilité d’associer plusieurs stratégies afi n de se(…)

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La communauté LGBT est composée de personnes de tous âges et de tous les horizons, qu’ils soient sociaux, culturels, ethniques, etc. Il n’y a pas une seule manière de vivre sa sexualité. Malgré cette composition hétéroclite,(…)

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le coming out ou la pédagogie perpétuelle

On s’entend généralement pour défi nir le coming out par le processus volontaire de révélation de son orientation sexuelle à autrui. Ce processus est mis en place par les personnes dont l’orientation sexuelle est diff érente(…)

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En 2016, sur 504 demandes d’asile de personnes subissant des persécutions dans leur pays en raison de leur orientation sexuelle, 212 ont abouti à l’obtention du statut de réfugié. Un taux de reconnaissance qui a doublé(…)

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« Les jeunes passent tout leur temps sur les smartphones et les jeux vidéo ». « Les jeunes ne s’intéressent plus à la politique. » « Quand j’étais jeune, on s’engageait vraiment. » Autant de lieux(…)

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Un trajet de soins qu’est-ce que c’est ? Et qu’est-ce que ça devrait être ? Commençons par l’idéal : c’est l’organisation planifi ée d’une répartition du travail entre première et deuxième lignes pour des situations cliniques(…)

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Récit de la création de la fonction de coordination intégrée et intégrante à la maison médicale Bautista Van Schowen (Seraing).

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