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Chemsex : les jeux de l’amour et du risque


Santé conjuguée n°86 - mars 2019

La consommation de produits psychotropes lors de relations sexuelles n’est pas un phénomène particulièrement nouveau ni même réservé aux publics HSH. Plusieurs recherches menées au cours de ces dernières années montrent cependant une augmentation de certaines pratiques parmi ce public spécifi que1.

Des études tendent à montrer des prévalences de consommations de certaines substances psychoactives – tels que les produits stimulants (illicites, médicaments, alcool) – plus élevées chez les homo- et bisexuels masculins que dans la population générale. Les raisons de consommer de l’alcool, des drogues ou du tabac peuvent être liées des fins récréatives, à un besoin de rompre l’isolement, de se socialiser en faisant partie d’un groupe, à la recherche d’une certaine désinhibition. La fréquentation de certains lieux festifs (bars, boîtes de nuit…) y est aussi propice.

Un phénomène qui prend de l’ampleur

Le chemsex – contraction de chemical et sex – fait référence à des usages de drogues combinés à des pratiques sexuelles parmi les HSH. Les sessions de sexe peuvent être organisées en groupe ou à deux et peuvent durer jusqu’à plusieurs jours. Les buts recherchés de la consommation de produits dans ces situations sont la désinhibition, la prolongation de l’acte sexuel ou de la session (plusieurs heures, plusieurs jours), la stimulation du désir et du plaisir, l’éveil des sens. Même si l’ampleur du phénomène reste difficile à mesurer, il remonte du terrain et de nos partenaires que celui-ci a tendance à se développer2. Au cours des dix dernières années, internet (via le dark web ou le deep web) a pris une place importante sur le marché des produits psychoactifs, notamment dans l’émergence et l’accès des nouveaux produits de synthèses ou research chemicals3. L’accès aux applis et sites de rencontre gay a également un impact sur le développement du chemsex.

Des risques cumulés

Les personnes qui pratiquent le chemsex sont confrontées à de nombreux risques : -Risques liés aux effets et aux modes de consommation des produits psychoactifs, d’autant plus dans le cas de la pratique d’injection, le slam qui, bien que marginale, amène à considérer l’accentuation des risques par le contexte de consommation en groupe. -Risques de transmission de virus (VIH, hépatites) liée au matériel (adapté, stérile…), à son utilisation (qui injecte ?), à la gestion des effets (dosage, risque d’overdose) et aux risques qu’entraine l’injection (abcès, veinites, irritations…). -Risques liés à certaines pratiques sexuelles (rapports non protégés, pratiques hard…) avec risque accru de contaminations par le VIH, le VHC-VHB (hépatites virales B et C) et autres IST. -Risques médicaux liés à l’arrêt, la suspension ou l’irrégularité du suivi des traitements en cours (HIV, PreP…). Risques sociaux (perte de relations affectives, problèmes professionnels, désocialisation…). -Risques divers liés au contexte (sentiment de culpabilité post-session, angoisses liées aux prises de risque, abus sexuels, consommation en groupe, contexte festif, sentiment d’appartenance, peur de solitude, dépassement de ses limites…). En termes d’intervention, cela nécessite une approche intégrée, concertée et multisectorielle.

Les risques liés aux produits

Ce qui caractérise le chemsex en matière d’usages de produits relève notamment de la polyconsommation, de l’éventail de produits psychoactifs consommés et de la variété de modes de consommation (inhalation, sniff, injection et ingestion). Quatre produits sont fréquemment consommés ou associés avec le chemsex4. -Méthamphétamines (crystal meth, tina, ice, glass ou crank). Ce sont des dérivés amphétaminiques aux effets plus intenses et euphorisants qui agissent sur l’humeur et la confiance en soi. Lors de la descente, on peut voir apparaître un état d’abattement avec irritabilité, dépression, lassitude et, parfois, réactions d’agressivité ou d’instabilité émotionnelle. Les amphétamines ont tendance à augmenter la température du corps. En cas de consommation répétée, peuvent s’installer des problèmes d’insomnie, d’anxiété, d’irritabilité, d’agressivité, d’érection, d’asthme, de paranoïa, etc. -Cathinones de synthèses (Méphédrone, 3MMC, 4MEC…). La cathinone est un alcaloïde du khat, une plante aux effets stimulants. Parmi les effets recherchés : grande désinhibition, envie de parler, euphorie, résistance au sommeil et désir sexuel (très) accru. La descente peut être particulièrement désagréable et éprouvante tant physiquement que psychologiquement : épuisement, anxiété voire paranoïa, sensation de fourmillement et tachycardie. -GHB/GBL. Le GHB (gamma-hydroxybutyrate) est un dépresseur du système nerveux central. Le GBL (gamma-butyrolactone) est un précurseur du GHB, qui peut être transformé par l’organisme en GHB. Le GHB/GBL augmente la confiance en soi et l’envie de parler, il réduit les inhibitions sexuelles et intensifie les perceptions. Il entraine des effets euphorisants et relaxants. A forte dose, il induit sommeil profond, inconscience, coma. -Kétamine (spécial K, K, Keta…). C’est un produit d’usage vétérinaire et médical détourné à des fins récréatives, un produit dissociatif avec des effets anesthésiants et hallucinogènes. A dose modérée : sensation de flottement, euphorie, modification de la perception de l’environnement. A forte dose : perte de l’équilibre, indifférence à la douleur, perte des repères spatio-temporels, perte de mémoire, troubles de la vision. A très forte dose : un phénomène de décorporation, qui peut être traumatisant. D’autres produits psychoactifs peuvent aussi être utilisés dans le chemsex : poppers, ecstasy/MDMA, alcool, etc. En outre, pour contrebalancer les effets de certains produits sur l’érection et l’éjaculation ou pour augmenter les performances sexuelles, les médicaments favorisant celles-ci (par exemple le Viagra®) sont fréquemment utilisés, avec un risque certain de problèmes cardiovasculaires. La personne, son état (santé, humeur, bien-être…) et le contexte dans lequel elle se trouve influencent également la durée, la puissance et les différents effets recherchés ou non du produit. Une personne ne ressentira donc pas les mêmes effets avec le même produit d’une fois à l’autre. Le dosage doit être particulièrement précis – parfois de l’ordre du millilitre ou du milligramme -, dans une situation où la composition des produits consommés n’est pas connue. D’autres effets peuvent apparaitre tels que vertiges, nausées, contraction ou incoordination musculaires, endormissement voire coma dans le cas du GHB/GBL. Des troubles neurologiques peuvent également se présenter : paralysie temporaire, agitation importante, paranoïa et autres troubles de la personnalité et du comportement en cas de consommation de GHB/GBL, de cathinones ou de kétamine notamment. L’accoutumance peut être très rapide pour certains produits. Si la dépendance physique peut varier d’un produit à l’autre – elle est particulièrement élevée dans le cas des méthamphétamines –, la dépendance psychique est quant à elle très importante. Enfin, le risque d’overdose est très présent. Il est aujourd’hui urgent de développer des actions et des outils de réduction des risques répondant aux besoins de ce public ainsi qu’une prise en charge thérapeutique spécifique.

Documents joints

  1. En Belgique, J. Van Acker, Les plans ‘sous prod’. Une recherche exploratoire sur le chemsex, Observatoire du Sida et des sexualités, 2017.
  2. Op cit.
  3. Les appellations research chemicals (RC) ou nouveaux produits de synthèse (NPS) désignent un nombre incalculable de drogues synthétiques aux eff ets très variés : psychédéliques, stimulants, empathogènes, dissociatifs, etc. Elles se présentent sous toutes les formes (pilule, poudre, cristaux très purs). Voir à ce sujet, Drugs and the darknet: Perspectives for enforcement, research and policy, EMCDDA/Europol Lisbonne, 2017.
  4. Plusieurs sites fournissent des informations détaillées sur les produits consommés lors de plans chem : www.modusvivendi-be.org, www.infordrogues.be, www.psychoactif.org, www.psychonaut.fr, www.exaequo.be. Un site spécifi que destiné aux personnes pratiquant le chemsex et aux professionnels en contact avec ce public sera prochainement accessible : www.chemsex.be.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°86 - mars 2019

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