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La prévention : une affaire de santé globale


Santé conjuguée n°86 - mars 2019

Aujourd’hui, la prévention du VIH et des autres infections sexuellement transmissibles ne se résume plus au port du préservatif. On parle de « prévention combinée », c’est-à-dire la possibilité d’associer plusieurs stratégies afi n de se protéger effi cacement. Celles-ci touchent-elles effi cacement les personnes LGBTQI+ ? Parmi elles, les hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes (HSH) demeurent l’un des groupes les plus exposés.

La prévention du VIH a pris un coup de jeune ces dernières années. En 2008, un avis à l’usage des médecins paraît dans le Bulletin des médecins suisses1, affirmant que la mise sous traitement des personnes séropositives permet de maintenir la présence du virus à un niveau suffisamment faible pour qu’il ne soit plus transmissible. Une découverte qui fait l’effet d’une bombe et révolutionne le paradigme de la prévention. Des traitements pourront en outre désormais être utilisés lors d’une suspicion de contact avec le virus (traitement post-exposition, TPE), mais aussi avant une prise de risques afin d’en empêcher la transmission (PrEP, prophylaxie pré-exposition).

Désacraliser le dépistage

Cette avancée renforce l’importance du dépistage car plus tôt les personnes sont au courant du diagnostic, plus vite elles seront en bonne santé et intransmissibles. Les HSH appartiennent à l’un des deux plus importants groupes à risques d’infection au VIH (avec les migrants originaires d’Afrique subsaharienne). Ils en ont conscience et se font dépister plus fréquemment ; les diagnostics tombent donc plus tôt que chez la population hétérosexuelle. Entre les moments de la séroconversion et du diagnostic s’écoulent en moyenne deux ans et sept mois chez les HSH contre quatre ans et quatre mois chez les autres. Pour Stephen Barris, coordinateur de l’association Ex æquo à Bruxelles, « il faut continuer à désacraliser le test pour que les dépistages soient plus fréquents. Les centres de planning familial refusent de donner les résultats par téléphone ou par écrit. Aller chez le toubib, attendre une semaine, puis y retourner peut être source de beaucoup d’angoisse, la peur du VIH restant très présente dans la communauté. Tout cela participe au fait que les gens ne se testent pas assez souvent. » La multiplication des modalités de dépistage répond à cette nécessité : chez le médecin, dans un centre de planning familial, dans un centre de dépistage spécialisé ou dans une association. Les associations, souvent organisées autour de groupes de bénévoles pairs, se déplacent aussi dans les lieux de rencontre gays (bar, sauna, parking d’autoroute…) où elles proposent un dépistage démédicalisé et délocalisé. En outre, des autotests peuvent être achetés en pharmacie ou envoyés, via internet, par l’association Ex Aequo dans le cadre d’une expérience pilote en Wallonie, ce qui participe à baisser le seuil d’accès au dépistage. Avant le dépistage : la protection et les traitements préventifs Le préservatif est connu de tous, même s’il n’est pas sûr à 100%. En cas d’oubli ou de pépin, on peut prendre – jusqu’à 72 heures après une prise de risques – un traitement post-exposition (TPE) réduisant le risque d’infection par le VIH. Il est délivré dans les services d’urgences hospitaliers et dans les centres de référence sida aux « publics clés » (à risques) et selon le type de risque pris. Bien que son accès ait pu poser problème (certaines personnes s’étant vues refuser le traitement), la situation semble s’être améliorée, au moins dans les grandes villes : « Il y a encore en Wallonie de plus petits hôpitaux plus périphériques qui n’ont pas le kit de démarrage », précise Simon Englebert, infirmier à l’association SidaSol, attachée au Centre de référence Sida de Liège. Mais c’est surtout la PrEP, remboursée par l’INAMI depuis juin 2017 aux personnes particulièrement exposées au risque d’infection, qui suscite beaucoup d’espoir. Cette bithérapie prise avant une prise de risques (deux heures avant pour les hommes, pendant les sept jours précédant pour les femmes) prévient la transmission. Aujourd’hui, les « PrEPEURs » seraient au nombre de 2.000 en Belgique, dont 99% de HSH. « La PrEP reste encore méconnue, commente Simon Englebert. Beaucoup d’HSH savent ce que c’est, mais il y a encore certains freins : les effets secondaires, la lourdeur du suivi… Ceci dit, si au début seules des personnes avec un certain niveau d’éducation l’utilisaient, désormais les profils sont plus variés. » Avec ce traitement préventif subsiste néanmoins chez certains la crainte de voir les PrEPEURs se passer de préservatifs, au risque de participer à la recrudescence d’autres IST, déjà observée actuellement. Simon Englebert tempère : « La prise de la PrEP implique un suivi trimestriel, ce qui entraine de fait que les IST sont détectées et traitées plus rapidement ». Pour Sandrine Detandt, de l’Observatoire du sida et des sexualités, nous manquons encore de recul pour évaluer l’impact de la PrEP. « Il faudra cinq à dix ans pour cela, dit-elle. Mais cette peur relève sans doute aussi d’un discours moralisateur et normatif s’appuyant sur des fantasmes. » À l’image de ceux véhiculés à l’époque des débats sur des projets de loi autorisant la pilule contraceptive, celle-ci étant alors suspectée de pouvoir provoquer « une flambée inouïe d’érotisme » (Jacques Hébert, député de la Manche, France, 1967)2. Une chose est sûre, c’est la combinaison de ces stratégies, auxquelles il faut ajouter la vaccination (contre les hépatites A et B, mais aussi contre le papillomavirus chez les filles et prochainement chez les garçons) et la mise sous traitement rapide des personnes diagnostiquées séropositives, qui montre son efficacité. « À Los Angeles, les autorités ont mis en place un programme de prévention combinée, illustre Simon Englebert : le traitement est mis en place trois jours après le dépistage, tous les HSH sont sous PrEP et le nombre de dépistages a été accru. Résultat : une diminution de 33% de l’incidence. »

Homosexualité et prises de risques

La forte prévalence du VIH chez les HSH s’explique par plusieurs facteurs. Biologiques tout d’abord : sexe anal et alternance entre le fait d’être sexuellement actif et passif augmentent le risque en matière de transmission. Sociale, ensuite : le nombre de HSH étant largement inférieur à celui des hétérosexuels, les réseaux de propagation infectieuse sont plus rapprochés. Même constat pour les migrants d’Afrique subsaharienne, et encore davantage pour les migrants HSH, qui cumulent les vulnérabilités et les risques. Se pose aussi l’épineuse question des pratiques et comportements à risques. « Effectivement, dans une approche bienveillante et non jugeante, on peut s’interroger sur les prises de risque et les modes de vie », affirme Stephen Barris. « Les HSH ont plus de partenaires sexuels, ce qui peut s’expliquer par plusieurs choses : les discriminations, la stigmatisation, le fait de vivre caché, de ne pas avoir d’enfants par exemple », explique Simon Englebert. Parmi les comportements à risques, la consommation de produits en contexte sexuel (chemsex). 17% des HSH qui se rendent chez SidaSol expérimentent le chemsex, un chiffre qui monte à 25% chez les PrEPEURs. Si ces pratiques ont toujours existé et ne sont probablement pas l’apanage des personnes homosexuelles, le phénomène semble s’intensifier, notamment sous l’influence des applications de rencontres géolocalisées, qui facilitent les rencontres sexuelles rapides, mais aussi par l’accessibilité de plus en plus grande sur internet à de nouvelles drogues de synthèse, dont des stimulants sexuels. Au-delà de ces facteurs très contemporains, Sandrine Detandt, qui vient d’entamer une recherche qualitative sur le sujet, avance l’hypothèse que le chemsex émerge dans un contexte où il existe une possibilité de ne plus contracter le VIH, avec des traitements qui empêchent la transmission, et où la sexualité est médicalisée. « Avant le VIH était un traumatisme constant. Aujourd’hui, on est dans une logique de contrôle sanitaire de cette sexualité, dit-elle. Il y a quelque chose qui concerne le rapport de chacun à la transgression. Pour moi cette dimension subversive existe au sein de chacun de nous et dépend de beaucoup de facteurs. L’humain est mu par des pulsions, des paradoxes. Les homosexuels n’ont pas de structure psychologique type. Même si bien sûr, ils partagent une histoire commune où exister passe par désobéir aux ‘lois sociales’, à ce qui structure et organise une société où l’homosexualité n’est pas encore socialement admise dans la réalité. » Une histoire commune qui se caractériserait par un plus grand isolement et de bonnes doses de stress. Selon John Pachankis, chercheur sur le stress à Yale3, une forme de stress constant s’enracine au cours des cinq années entre la découverte de son homosexualité et le moment où l’on commence à en parler aux autres (coming out) : « Durant cette période, même de tout petits facteurs de stress prennent des proportions immenses – pas qu’ils soient directement traumatiques, mais parce qu’on les anticipe. » Certaines études ont d’ailleurs révélé que les personnes homosexuelles étaient davantage touchées par divers problèmes de santé (maladies cardiovasculaires, cancers, mais aussi dépressions, suicide ou alcoolisme), y compris dans les régions les moins homophobes. « Le fait de grandir homo et donc sous un certain stress fait que tu traînes un certain rapport à ta santé toute ta vie, explicite Stephen Barris. Pendant cette période de ‘mise au placard’ il n’y a pas vraiment d’éducation sentimentale. Au moment où les hétéros commencent à expérimenter la séduction, cela n’existe pas chez les homosexuels. Ceux-ci, une fois jeunes adultes, débarquent dans le monde de la nuit, un milieu commercial et qui tourne autour de la rencontre sexuelle. » Les questions liées à la santé de ces publics s’élargissent et se complexifient. « Au moment où le VIH est de plus en plus considéré comme une maladie chronique, en tout cas dans notre pays, les associations sont amenées à déplacer le curseur de la lutte contre le VIH vers la santé sexuelle et la santé globale », poursuit le coordinateur d’Ex Aequo. Des réflexions qui amènent certaines associations à travailler sur le mieux-être au travers d’activités de loisirs et culturelles afin de favoriser le lien social.

Publics hors champ ?

Certains HSH, plus vulnérables, échappent à la prévention. Différents facteurs, individuels et sociaux, sont en cause et se cumulent : la façon dont on vit son homosexualité et dont on peut la dire (les bisexuels par exemple ne se définissant pas comme homosexuels, seraient moins informés et se feraient moins souvent dépister), l’âge (les jeunes sont moins informés), le niveau éducatif, l’origine ethnique notamment. À côté des HSH, les personnes trans et lesbiennes seraient les parents pauvres de la prévention malgré le travail actif de certaines associations. « Chez le public trans, il y a une méconnaissance totale de ces questions, qui demeurent taboues. Ils/elles sont souvent focalisé·e·s sur leur transition ou sur leurs soucis économiques. Pendant la transition, ils/elles mettent d’ailleurs souvent leur sexualité de côté », explique Simon Englebert. Et si certaines campagnes de prévention sont spécifiquement destinées aux femmes ayant des relations sexuelles avec des femmes (FSF) (comme le projet Go to gyneco, de l’association SidaSos), elles demeurent complètement invisibilisées. « Très peu de recherches et d’accompagnements spécifiques les concernent, constate Sandrine Detandt. Il existe aussi cette idée qu’elles n’ont pas de sexualité. Ce discours est internalisé par les lesbiennes elles-mêmes : elles se considèrent comme moins à risques. Or, elles le sont plus pour certaines IST et pour certains cancers… »

Documents joints

  1. « Les personnes séropositives ne souff rant d’aucune autre MST et suivant un traitement antirétroviral effi cace ne transmettent pas le VIH par voie sexuelle », Bull Med Suisses, n°5, 2008.
  2. É. Lanez, « 50 ans de contraception : et de Gaulle fi t passer la pilule… », Le Point, 30 décembre 2012.
  3. M. Hobbes « L’épidémie de la solitude gaie », Huff Post Québec, http:// projects.huffi ngtonpost.ca/ epidemie-solitude-gay

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°86 - mars 2019

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