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Les questions soulevées par l’influence des nouvelles technologies dans le secteur de la santé, et en particulier l’impact des nouveaux outils informatiques sur le soin sont une des raisons de l’émergence et du développement de la bioéthique au niveau international et européen1. Ces liens entre réflexion éthique et évaluation des technologies sont encore peu transparents, peu explorés, parfois limités à la seule expertise technique et économique. L’équipe du Centre d’éthique médicale de Lille anime une formation universitaire dont l’objectif est de permettre aux professionnels de santé de devenir des « praticiens réflexifs »2 et de repenser l’exercice de leur responsabilité à partir des nouveaux éléments qui structurent leur pratique. Une des options, « éthique et soins infirmiers » accueille des infirmières et des cadres de santé : c’est avec ce groupe qu’ils ont réfléchi, à partir de situations effectivement vécues, aux enjeux de l’introduction des différents outils informatiques dans le domaine du soin.

II s’agit de comprendre les tensions dont chaque situation de soin est le lieu, de permettre au soignant de reconquérir l’espace de liberté nécessaire pour répondre aux besoins des personnes souffrantes dont il a la responsabilité et de créer les conditions d’une « créativité professionnelle »3 (capacité à élaborer et à mettre en place des actions, des gestes, des outils, des paroles qui répondent de manière appropriée aux difficultés et aux contraintes de la situation), en vue de préserver au mieux l’humanité du soin4. Les professionnels que nous rencontrons sont confrontés à la présence permanente (survalorisée par la dimension d’innovation performante) des outils informatiques, sous toutes leurs formes : dossier individuel du patient, plan de soins, résumé infirmier, planning informatique, etc. Ces instruments bouleversent les habitudes de travail, modifient les rôles de chacun, obligent à des apprentissages nouveaux, ouvrent des possibilités inédites… et occasionnent beaucoup d’interrogations, de perplexités, de résistances et parfois de souffrances. La formation nous a donné l’occasion de délibérer ensemble autour de ce thème : cet article en est la synthèse. De la neutralité supposée de la technique Le rapport général à la technique nous oblige d’abord à réfléchir à la neutralité supposée de l’outil. Depuis un demi-siècle, les progrès des sciences et des techniques ont modifié profondément les structures de nos sociétés, nos manières de vivre et de penser. Il convient de réfléchir aux enjeux éthiques de ce développement technique. La sphère technologique, comme dimension de l’agir humain, possède une orientation que nous pouvons formuler de façon générale comme étant « la construction de moyens de plus en plus performants pour réaliser certaines fins »5. Dans l’élaboration et la mise au point de ces moyens, il y a toujours place pour des décisions, des choix. Ces choix effectués par les ingénieurs apparaissent comme dictés par la pure rationalité technologique et donc neutres sur le plan des valeurs morales. Les conséquences de leur application font l’objet parfois de débats éthiques ou politiques, mais plus rarement le processus de conception et de construction des outils, lui-même. L’attitude la plus courante, et sûrement la plus confortable est d’invoquer la neutralité de la technique pour laisser la décision de la création et le contrôle de l’outil aux experts qui calculent la solution la plus rentable, selon leurs propres critères.

De l’intérêt d’analyser l’outil de soin

Or les conceptions techniques ne sont pas déterminées par les seuls critères de l’efficacité instrumentale, mais par un processus social qui sélectionne entre les alternatives techniques possibles, selon une grande variété de critères spécifiques (économiques, sociaux, culturels, politiques, esthétiques…). Les conceptions en concurrence reflètent des visions sociales conflictuelles de société moderne incarnées dans des choix techniques différents. Nous pouvons ainsi considérer de manière complémentaire la compétence scientifique de l’ingénieur, de l’informaticien, de l’expert ; leur projet est élaboré sur base d’une représentation technoscientifique du monde et les savoirs de l’ensemble des commanditaires, des usagers, des clients et leurs attentes. Évaluer un outil n’est donc pas simplement mesurer l’efficacité opératoire d’un instrument, c’est aussi apprécier les objectifs qu’il vise et la manière dont il permet de le faire. Que devient cette problématique à propos des outils de soin : le soin peut-il être une affaire de technique et d’outil ? Au delà de la relation à l’autre, la situation de soin repose sur deux dimensions technique et organisationnelle qui sont, en elles-mêmes, constitutives du soin6. L’outil de soin est un exemple d’outil technique, au sens large puisque « la technologie comme système inclut aussi l’organisation, la planification des procédures, etc. »7. Le groupe a élaboré une grille pour analyser ces outils qui sont à la fois des instruments de travail (documents, dossiers,..), des procédures (protocoles, guide de bonnes pratiques) et des dispositifs organisationnels. Cinq thèmes sont abordés : la description de l’outil, l’utilisation de l’outil, les difficultés rencontrées, l’évaluation de l’outil, l’appréciation éthique de l’outil. Nous avons appliqué cette grille d’analyse à des outils de soins classiques avant de l’utiliser pour évaluer un outil informatisé. Trois exemples révèlent l’intérêt de cette démarche. Un protocole de soin concernant les précautions à prendre en cas d’infection nosocomiale Elaboré et conçu par l’équipe soignante, les médecins et l’hygiéniste, il permet d’unifier les modalités de dispensation des soins, d’améliorer l’efficacité opérationnelle notamment en l’absence de médecin, d’accélérer la réactivité des équipes, de favoriser l’évaluation des processus de lutte contre les infections nosocomiales. Effets positifs non prévus : cet outil permet et oblige à passer plus de temps avec les patients pour les informer, il fournit une aide appréciable dans les relations avec les familles en dédramatisant les situations et en les impliquant comme de vrais partenaires. Une grille d’évaluation du personnel, support objectif d’entretiens d’évaluation des nouveaux embauchés Cette procédure vise à apporter une aide au personnel, à réorienter les besoins en formation, à contribuer à l’attribution des contrats définitifs. Pour éviter que cet outil n’ajoute des éléments d’incertitude pour le personnel et un moyen de pression supplémentaire pour les cadres, il paraît intéressant de réfléchir à la place des néo-professionnels dans le processus d’évaluation et le réajustement de la procédure. Un modèle de planification murale, programmation des soins et d’organisation du travail L’élaboration et les réajustements de cet outil se font au niveau du service. Parce que cet outil est développé au niveau du service, il améliore l’homogénéité de l’équipe et lui procure les moyens de réfléchir aux limites rencontrées et aux corrections possibles. Les conclusions de cette première phase sont les suivantes : la qualité du processus d’élaboration de l’outil se reflète dans la valeur accordée à cet outil ; l’affichage des objectifs, la transparence des modalités de la négociation, le nombre et la qualité des professionnels qui prennent part à la décision, les étapes et les critères de l’évaluation sont des éléments indispensables. Spécificité de l’outil informatique Au-delà de ces premiers résultats acquis par l’analyse d’outils de soins « classiques », l’importance prise depuis quelques années par l’informatisation des outils de soins nous conduit à mener une réflexion spécifique. Les différentes étapes de l’introduction des outils informatiques illustrent les diverses postures spontanées que prennent les soignants. Le premier constat est celui d’une sorte d’émerveillement devant l’efficacité, la puissance et les promesses de ces outils. A ce moment là, l’intention de bien faire (de faire au mieux) est entièrement incarnée dans une solution informatique qui a son efficacité, sa dynamique et ses propres critères d’évaluation. Les conséquences positives paraissent évidentes : gain de temps, accroissement des données recueillies et capacité plus grande de les conserver en ordre, évaluation en continu des stocks, accès facilité et contrôlé aux informations en temps réel, esthétique et convivialité des outils, meilleures possibilités d’une collaboration interdisciplinaire. L’intuition de disposer, en permanence, d’une information complète, pertinente et fiable renforce le sentiment de maîtrise et de perfectionnement de son métier. Le deuxième moment est celui de la mise en pratique : elle se heurte à des difficultés, des résistances de toutes sortes, la mise en place de stratégies de contournement, d’évitement. Les utilisateurs mettent à l’épreuve l’efficacité opératoire de l’outil : permet-il de faire convenablement ce pour quoi il a été élaboré ? Ils questionnent aussi l’avantage comparatif de cet outil : assure-t-il une amélioration de la qualité des prestations, les efforts consentis en valent-ils la peine ? Les utilisateurs, enfin, prennent conscience de la nouvelle structuration de leur travail et des conséquences induites : que deviennent les relations avec les patients, que deviennent les rapports en équipe ? A cette étape, deux écueils guettent le professionnel, celui – côté utilisateur souvent néophyte ou peu formé – d’un rejet et d’une condamnation de la technologie et des technocrates ; celui – en réaction – d’un optimisme et d’un enthousiasme croyant à l’amélioration naturelle toujours possible du logiciel ou des machines. Dans un troisième moment, l’évaluation est souvent limitée à la mesure de l’efficacité, principalement en termes quantitatifs (gain de temps, gain de productivité) et parfois qualitatifs (critères d’amélioration de la qualité des prestations…) du point de vue des concepteurs de l’outil. La modification des conditions de travail des professionnels utilisateurs et leurs conséquences sont rarement prises en compte ; de même il est encore plus rare que le bilan que pourraient tirer les patients soit sollicité. L’évaluation reste donc limitée, en particulier dans sa dimension éthique. Poser les bonnes questions sur l’usage de l’informatique Or, nous pensons qu’il serait possible d’interroger l’usage d’un outil informatique au moins à trois niveaux : en quoi son usage a-t-il favorisé l’accès à l’autonomie des patients et consolidé la responsabilité des soignants, en quoi a-t-il amélioré les relations avec les patients et au sein de l’équipe, en quoi a-t-il renforcé la juste répartition des soins, la qualité de la collaboration dans l’institution et le bien vivre dans la société ? Un exemple sur lequel nous avons travaillé durant notre module de formation permettra d’illustrer la méthode que nous avons utilisée et d’examiner quelques résultats auxquels nous sommes parvenus. Un groupe de pilotage multidisciplinaire d’un centre hospitalier général du nord de la France est profondément investi dans l’informatisation du dossier du patient, avec l’appui de la direction qui en a fait une priorité de l’établissement et a mobilisé les moyens humains et budgétaires nécessaires. L’infirmière qui participe à notre groupe de réflexion partage les motivations du groupe de pilotage auquel elle participe : elle est convaincue de son intérêt et de son efficacité. Elle accepte de soumettre le projet à la discussion, en groupe autour de la grille d’analyse. Le logiciel est adaptable aux besoins des équipes. II est sécurisé par une signature électronique et organise un accès différencié en fonction des niveaux de compétence et de responsabilité. Il est composé de plusieurs parties, articulées entre elles. La partie que nous allons étudier plus précisément est celle qui concerne particulièrement l’équipe soignante (cadre de santé, infirmières et aides-soignantes). Cette partie du dossier informatique contient les renseignements administratifs du patient ; les synthèses effectuées par l’équipe à l’entrée, en cours d’hospitalisation et à la sortie ; les transmissions ciblées accompagnées d’une aide à la rédaction, un espace pour les transmissions linéaires, le bilan infirmier, des diagrammes de soins et de surveillances, le suivi et l’évaluation de la douleur, les diagrammes de prise en charge des patients par d’autres équipes, (unité transversale d’alcoologie entre autres) ; les interventions des différents partenaires associés (assistante sociale, diététicienne, kinésithérapeute, secrétaire) ; le relevé des paramètres, les prescriptions médicales et infirmières sous forme de tableaux à cliquer. Les « + » La grille met en évidence plusieurs aspects positifs : ajustement des méthodes de travail de l’hôpital aux développements de l’usage de l’informatique dans la société ; centralisation des informations pluridisciplinaires ; amélioration de la continuité de la prise en charge ; limitation des risques d’erreur dans la prescription médicale, retranscrite directement sur la planification ; gain de temps dans la réception et la retranscription des résultats d’examens biologiques, radiologiques et des consultations ; information et repérage faciles des changements de prescription, de traitements, des modifications des cibles de soin ; meilleure articulation entre soignants : les infirmières peuvent voir si les médecins ont pris connaissance des résultats ; diminution du risque d’oubli et d’erreur ; mise à disposition de plus d’informations au lit du patient ce qui peut aider à optimiser la qualité de la prise en charge et à rassurer les proches. Les « – » Mais la discussion révèle aussi les contraintes et les limites de l’outil : obligation de rester en connexion permanente à l’ordinateur ; pour les nouveaux, les stagiaires, les remplaçants : grande difficulté d’atteindre rapidement le niveau requis de connaissance du logiciel ; nécessité de bien maîtriser la manipulation de l’outil, sinon perte de temps ; nouvelles habitudes de travail à adopter : niveau de concentration accrue et nécessité d’une bonne vue ; obligation de travailler en temps réel, notamment pour cocher les examens faits ; grande difficulté à corriger les heures prescrites par anticipation ; forte contrainte dans la programmation, les infirmières doivent programmer les soins rapidement sinon les aides soignantes ne peuvent pas valider les leurs. II n’y a pas d’affichage immédiat de la globalité des soins du service et des transmissions, qui restent très dispersées ; difficulté à avoir une vision synthétique des différentes rubriques pour un patient : procédure longue, surtout dans le cas d’un patient ayant un gros dossier ; difficulté de suivi et d’évaluation sur un thème particulier (la douleur par exemple) : les données sont dispersées et difficilement associables. Impossibilité de certaines prescriptions (le logiciel n’a pas prévu de prescription hebdomadaire, il n’y a pas de signal spécifique à la fin d’un traitement) ce qui augmente le risque d’oubli ; grande difficulté à intégrer la variété des réactions humaines des soignants, du patient et de ses proches. L’informatique et le petit bonhomme Lors de cette réflexion collective, l’infirmière du centre hospitalier nous fait part d’une initiative prise par ses collègues. Nous l’intégrons à notre analyse parce qu’elle représente un exemple symbolique des stratégies de contournement et d’évitement : les équipes rencontrent de nombreuses difficultés pour repérer les informations pertinentes et utiles dans le dossier informatisé. Dans un souci d’amélioration de la qualité de la prise en charge des malades douloureux ayant des troubles de la communication verbale, une infirmière d’un service de long séjour a proposé l’idée de dessiner un bonhomme qui est affiché au lit du malade. Sur ce support, les zones douloureuses sont indiquées à l’aide de gommettes de couleur. Cet affichage permet de repérer les patients douloureux, d’éviter les manipulations intempestives, d’informer tous les intervenants, y compris ceux qui n’ont pas accès au dossier de soins informatisé. II permet à certains patients qui ont des difficultés à mettre en mot la localisation de leur douleur de colorier la zone douloureuse. Il s’agit de suppléer aux insuffisances de l’outil informatisé. La négociation qui s’engage alors montre comment les différents acteurs argumentent, les logiques avancées et les valeurs invoquées. L’administration qui ne souhaite pas un retour au support papier veut maintenir sa priorité autour du dossier informatisé et objecte le non respect de la confidentialité par affichage au pied du lit du malade. Mais elle accorde un temps d’essai de ce dispositif dans certains services. Ces essais laissent aux familles la possibilité de réagir : elles s’interrogent sur l’utilité et la nécessité de ce bonhomme. Mais elles sont très satisfaites de l’intérêt des soignants pour la prise en charge de la douleur et se mobilisent en signalant aux soignants les changements qu’elles peuvent repérer. Face au succès de cette initiative, un audit est réalisé dont les résultats sont significatifs, parce que ce dispositif « artisanal » a eu des répercussions sur le dossier informatisé lui-même : 100 % de prise en charge – avec évaluation – sont dorénavant notées dans le dossier de soins informatisé y compris lors d’un changement de comportement. Suite à ces résultats, le directeur des soins décide d’officialiser l’utilisation du bonhomme. L’idée n’est pas d’opposer une technologie de haut niveau et des moyens artisanaux, mais de comprendre que la créativité professionnelle répond au souci de bien faire de tous les acteurs (au sens le plus large possible, ici, les familles et les proches). Elle devient un élément de garantie de la validité des outils informatisés eux-mêmes. S’approprier l’informatique Avant d’être informatisé, le dossier de soin existe. L’étape de son informatisation doit être réfléchie, pas simplement pour vérifier que les professionnels ont des intentions communes, mais parce que l’outil informatique décuple les possibilités, ouvre à des usages nouveaux, modifie la portée et l’essence même de ce qu’est le dossier de soin (possibilité de croiser des informations, de donner des réponses adaptées à des difficultés insurmontables du dossier papier ; le suivi des transmissions ciblées, pour lequel des codes couleurs et des procédures n’avaient jamais donné de solutions satisfaisantes, est aujourd’hui facilement assuré par l’informatique, etc.). Cette discussion / négociation doit refléter la pluralité des points de vue possibles dont le système élaboré sera la résultante provisoire. L’outil informatique va contribuer à remodeler le réel dans lequel les professionnels évoluent. Leur donner la possibilité d’agir sur les contours de cette réalité est la garantie que ce système ne se substitue pas complètement à eux. Cette approche n’est pas à la portée de l’acteur singulier, elle est de l’ordre d’un travail pluridisciplinaire effectif. L’importance du niveau de réappropriation de l’outil détermine le degré d’implication des acteurs qui peuvent faire valoir leur satisfaction, signaler les obstacles rencontrés, évoquer des solutions possibles. La détermination de ces niveaux et de ces possibilités d’implication est une partie importante de la conception des outils : tenant compte des impératifs juridiques, déontologiques et techniques, elle permet de spécifier les degrés de responsabilité des différents acteurs et leur capacité d’initiative et d’autonomie par rapport à l’outil. Elle dessine les contours d’une « communauté d’action8 ».

Pour une évaluation éthique

Nous sommes conscients des limites de notre démarche – amorcée lors d’une formation à l’éthique d’un groupe de soignants – mais nous pensons que quelques pistes de réflexion pourraient constituer un « programme de recherche » autour du thème de l’évaluation éthique des outils de soins informatisés. Comment mettre en place les conditions d’élaboration et de mise en oeuvre de ces outils en termes de conception, de contrôle, d’ajustement ? Nous soulignons l’importance de réfléchir sur la place des utilisateurs, leur domaine de responsabilité, leur capacité d’initiative, etc. Les objectifs visés, les attentes des commanditaires, les demandes des utilisateurs doivent faire l’objet d’arbitrage : la qualité, la forme et les instances de cet arbitrage sont en eux-mêmes les enjeux éthiques de cette réflexion. Comment rendre compte de l’articulation des trois pôles (organisation, technique et relation) qui structurent toute situation de soin ? II s’agit de comprendre l’impact de l’outil informatique à ces différents niveaux : une technique sophistiquée au service d’objectifs organisationnels peut devenir un obstacle ou constituer une aide aux exigences de la dimension relationnelle. Comment peut-on donner une légitimité aux oppositions, implicites ou explicites, qui apparaissent lors de l’implantation de nouveaux outils ? Nous devons considérer les différentes logiques à l’oeuvre, au même titre que celle de la rigueur et de l’efficacité supposée de l’outil. Une mauvaise interprétation de ces résistances peut être révélatrice d’une incapacité à maîtriser les retombées éthiques du projet. Pour progresser sur cette voie, ces premiers éléments d’une réflexion montrent qu’il serait possible d’élaborer des critères éthiques qui trouveraient leur place à côté des critères économiques, techniques, informatiques (d’efficacité, efficience, coût, qualité…) : un outil qui n’améliorerait pas la qualité des soins et l’émergence de l’autonomie des soignants et des soignés ne serait pas un outil performant. Une telle grille permettant d’analyser la portée éthique de l’outil informatique peut structurer une démarche réflexive au niveau d’une équipe, d’un service, d’une institution. Face à la rationalité technique, celle en particulier des technologies de l’informatique, qui nous oblige à accepter comme critère unique des comportements et des conduites la logique de l’efficacité des moyens, il convient de ne pas se laisser transformer en simple « opérateurs » d’un système technique, mais de garder la maîtrise du praticien sur l’instrument technique. La discussion collective met en évidence le fait que l’outil informatique ne se résume pas à un instrument que l’on pourrait isoler et analyser indépendamment des conditions qui l’ont fait naître et qui ont permis sa mise en place. C’est un dispositif qui reflète un processus complexe (conception, mise au point, expérimentation, mise en oeuvre, évaluation, ajustements) avec l’intervention de multiples acteurs et dans des organisations de travail qui ont permis son implantation et qui se sont transformées avec son utilisation. Il est donc illusoire de penser que ce système puisse être susceptible d’un discours unique qui serait sa vérité. Parce que l’outil informatique est riche de potentialités inconnues et inexplorables avant qu’il ne soit utilisé par des acteurs divers, dans des situations variées et face à des tâches multiples, le souci éthique nous invite à associer l’ensemble des acteurs parties prenantes à réfléchir aux enjeux et aux conditions de son utilisation.

Documents joints

  1. Henk ten Have, “Ethical perspectives on health technology assessment”, International Journal of Technology Assessment in Health Care, 20 :l (2004). 1-6.
  2. Schon DA., The reflective practitioner : how professionals think in action, New-York. Basic Book. 1783. Article paru dans Ethica clinica sous le titre Des critères éthiques pour les TIC : l’évaluation éthique de l’outil informatique est-elle possible ? en mars avril 2009.
  3. De Bouvet A. et Sauvaige M. (sous la dir), Penser autrement la pratique infirmière, De Boeck Universités, 2005.
  4. Cette réflexion a été menée avant que le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) ne publie l’avis 91 : « Avis sur les problèmes éthiques posés par l’informatisation de la prescription hospitalière et du dossier du patient » le 2 mai 2006.
  5. Tom Dedeurwaerdere, « La dimension éthique dans la sphère de la rationalité technologique : normes, contextes et arrières plans », Les carnets du centre de philosophie du droit, Louvain-la-Neuve n°82, 2000.
  6. A de Bouvet, M Sauvaige (sous la dir.),id., 2005.
  7. Tom Dedeurwaerdere, id., 2000.
  8. Manuel Zacklad, Transactions communicationnelles symboliques et communauté d’action : réflexions préliminaires, Archive ouverte en sciences de l’information et de la communication, 2004.

Cet article est paru dans la revue:

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