De l’hypothèse d’une société égalitaire à l’inévitable reconnaissance de l’alté rité : l’autogestion comme fil d’Ariane d’une pratique en maison médicale.
Pourquoi le mot autogestion me laisse-t il un goût amer dans la bouche alors que depuis plus de vingt-cinq ans je travaille selon un modèle qui est proche. J’ai l’impression tenace que le discours autogestionnaire a souvent mal résisté à l’épreuve du réel car les maux qu’il prétendait combattre étaient le meilleur terreau pour son épanouissement. Quels sont les problèmes que l’autogestion est censée résoudre : • L’absence de démocratie au sein d’une entreprise ; • L’inégalité de pouvoir des membres qui la constituent ; • La possession des moyens de production par ceux qui détiennent la richesse au détriment de ceux qui la produisent. Par cette analyse un peu sommaire, on voit bien que le renversement des concepts crée l’hypothèse que l’autogestion va produire une société plus égalitaire par la suppression de la hiérarchie, l’égalité des membres qui constitue une entreprise autogérée, et la prise de responsabilité partagée par un morcellement du capital. La notion d’autogestion reprise après mai 68 mais avait connu différents développements à la fin du XIXème siècle. Les syndicats et surtout les mutuelles se sont clairement inscrits dans la même perspective. Les coopératives agricoles ou ouvrières ont été aussi conçues dans le même esprit. Des concepts très idéalistes ont vu le jour à cette même époque et impliquaient une autogestion du lieu de vie. On construisait en commun un lieu de vie où se trouvait l’école, le magasin et tous services possible. Cela s’appelait les phalanstères1. Il est à remarquer que la plupart de ces réalisations ont soit disparu soit se sont transformées en entreprise ordinaire avec un mode décisionnel tout à fait classique. Le Boerenbond en est exemple, un autre est celui d’une banque ouvrière reprise par une banque spécialisée en gestion de fortune. Ce sont là des exemples anciens mais des entre prises de copains des années 70 ont vu le jour sur des bases un peu semblables. Si la plupart ont vite disparu, certaines sont cotée en bourse de nos jours.Alors qu’est-ce qui cloche ?
Alors qu’est-ce qui cloche ? L’idée de l’autogestion postule au départ que l’entreprise autogérée aura pour horizon lointain une suppression de l’inégalité sociale par une sorte de contamination sociale. La performance de l’entreprise autogérée serait telle qu’elle surclasserait de façon naturelle les entreprises à structures plus classiques. Cette société de type égalitaire ferait l’économie des conflits sociaux et des luttes d’influences pour se mouvoir dans une sorte d’éther paradisiaque où chacun n’aurait comme souci que l’intérêt collectif au détriment de toute idée individualiste. Mieux encore, l’individu n’aurait comme horizon de bonheur que le développement collectif. Le bien-être de son entreprise serait la source de son bonheur personnel. Il y a lieu de remarquer ici que le projet autogéré se rapproche d’autres idéaux qui se sont épanoui à la même époque c’est-à-dire un besoin de vivre en communauté et de s’identifier à un groupe pour pouvoir se définir soi-même. Cette vision des choses avait un caractère communautaire et convivial qui évoque une nostalgie des temps anciens où la communauté villageoise du Moyen-Age était le point de repère de chaque individu qui la composait. Cette structure maternante qui a depuis longtemps disparu reste dans l’inconscient collectif une forme de paradis perdu face à l’anonymat individualiste de la société urbaine occidentale. On voit bien ici que le postulat de base est trop irréaliste pour pouvoir aboutir en tant que tel. Globalement une entreprise structurée de façon hiérarchique a beaucoup plus de chance d’aboutir, elle aura probablement un univers nettement moins conflictuel. Parfois une décision arbitraire sera plus efficace qu’un laborieux compromis. Par boutade, je dis souvent que dans une maison médicale les murs sont verts, non parce que quelqu’un aime le vert mais parce que c’est la seule couleur pour laquelle personne n’a émis un veto. Un autre présupposé qui caractérise l’autogestion est que le conflit ne naît que pour des raisons économiques et que le partage des ressources est résolutif des conflits. C’est largement surestimer la grandeur de l’âme humaine. C’est aussi supposer qu’en mettant des individus ensemble, chacun aura par nature les mêmes ressources au sein du groupe en ignorant le passé et les capacités de chacun. Bref, cette méconnaissance de l’autre dans sa diversité et dans ses potentialités a finalement quelque chose de profondément injuste et inéquitable. Cela s’apparente souvent à une comédie, où l’on prétend à chacun qu’il est l’égal de l’autre, mais à l’épreuve des faits le plus faible se rend compte qu’il n’a pas les mêmes ressources… On peut avoir alors des conséquences perverses, soit un groupe qui marche sur sa tête, c’est-à-dire la prise du pouvoir par le moins compétent ce qui est souvent une catastrophe soit un groupe pseudoégalitaire où le chef n’est pas nommé, une société où chacun est égal mais certains plus que d’autre. Cela implique beaucoup de souffrances pour les participants car ils ne peuvent souvent pas faire l’analyse institutionnelle de ce qu’ils vivent. Cette grille d’analyse peut permettre à certains de mieux appréhender la difficulté qu’ils rencontrent en vivant dans des modèles autogérés. Enfin, il reste toujours assez compliqué de vivre dans des structures de nature égalitaire dans un monde qui ne l’est pas du tout. Cette dualisation n’est pas toujours facile à vivre. J’ai commencé cet article en décrivant mon malaise face à l’autogestion alors que je vis dans une structure, maison médicale, de nature autogérée. J’ajoute même que je ne voudrais pas en changer. Cependant cette structure ne peut fonctionner que dans un partage des tâches et des aptitudes et en assumant les inégalités fonctionnelles des chacun de ses membres. Ce n’est que moyennant cette reconnaissance de l’altérité qu’une structure pas trop grande peut survivre dans un modèle autogéré. .Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 45 - juillet 2008
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