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Introduction

Santé conjuguée n° 79 - juin 2017

Notre précédent dossier était intitulé
Contexte. Il proposait une analyse des
enjeux qui déterminent les systèmes et
les pratiques des soins de santé. Nous ressentons,
expérimentons, constatons que « quelque
chose ne va pas ». Qu’est-ce qui fait que ça ne va
pas ? L’angle d’approche du néolibéralisme nous
a permis une formulation. C’est dans l’article de
Renaud Maes paru dans la Revue nouvelle que nous
en avons trouvé la synthèse : « Ce qu’il faut précisément
noter, c’est […] la mise en place de la fabrique
d’une subjectivité particulière, subjectivité qui n’est
absolument pas réductible à la seule dimension économiste
: il s’agit en effet d’étendre une logique de
concurrence à l’ensemble du monde social, quitte à ce
que l’État puisse servir de vecteur de légitimation de
cette logique ». De là, disions-nous, « la conception
de l’individu entrepreneur de lui-même, l’obsession
de la quantification et de la responsabilisation ».
Dans la suite du dossier, nous avons pu montrer
combien cette logique de concurrence était en
opposition avec notre conception humaniste
des soins de santé et combien elle avait pénétré
la conception les systèmes de santé, les structures
de soins, les pratiques et nos mentalités.
Dans ce dossier Transition, il s’agit de penser une
sortie de cette situation. Une manière d’échapper
à la logique de concurrence, à la contamination
qu’opère le néolibéralisme.

La fin du XXe siècle a été un moment charnière
en ce qui concerne les sciences, la manière de
voir le monde et les voies pour le transformer.
Une série d’évolutions ont amené ce tournant.
Il s’agit avant tout de la prise en compte de la
complexité. Le monde et les problèmes sont
complexes, multiformes. Les causalités des phénomènes
sociaux sont multiples et les acteurs
ambivalents, hétérogènes, interdépendants. Le
changement ne pourrait donc pas être envisagé
de manière linéaire, en dessinant une stratégie
en ligne droite où, partant de constats, « on »
détermine un objectif, « on » fixe les étapes,
« on » détermine le calendrier, « on » organise
les moyens, et hop ! Et d’abord, quel ce « on » ?
Nous proposons de réfléchir autrement.

La théorie de la transition nous aide à penser
le changement à partir du monde tel qu’il se
présente à nous. Nous ne prétendons pas avoir
découvert la clé du paradis. D’ailleurs, nous
n’avons rien découvert du tout. Nous vous proposons
de partager notre itinéraire de réflexion.
Et nous revenons à un texte publié en 2011 par
Gaëlle Chapoix dans le dossier consacré aux
alternatives1. Nous estimons qu’il y a là matière
à formuler non pas une solution miracle qui va
nous guider tout droit à la victoire finale et au
bonheur universel, mais plutôt une perspective
qui peut orienter nos actions, nos stratégies,
nos alliances, dans la direction souhaitable.
Sortir de ce sentiment d’impuissance, de défaite,
d’impossibilité de changement, sans tomber
dans le cynisme, la contemplation béate, le
renoncement, l’espoir aveugle ou le désir de
destruction. Retrouver l’énergie vitale. Penser !

Il faut sans doute préciser que nous choisissons,
en toute conscience, d’écarter la voie révolutionnaire,
parce qu’elle n’emporte pas l’adhésion
de tous. Nous ne nous tournons pas vers
des stratégies de conquête préalable du pouvoir.
Ce choix peut être discuté. C’est aussi une
manière d’assumer notre position spécifique
d’acteur de changement. A la Fédération des
maisons médicales, nous avons des objectifs
d’ordre politique, mais nous nous ne sommes
pas un parti politique. Et nous ne souhaitons
pas attendre que les partis politiques réalisent
nos objectifs. Nous avons un rôle à jouer comme
d’autres, et avec d’autres.

On peut définir la transition comme un processus
de transformation d’un système complexe
d’un état d’équilibre dynamique vers un autre.
Tous les mots comptent dans cette définition, et
pratiquement tout est dit. Il s’agit d’une transformation,
mais dont tous les éléments ne sont
pas sous contrôle, n’obéissent qu’en partie à la
volonté. Pour partie, ses progrès sont tributaires
d’éléments de contexte favorables. On ne peut
donc pas planifier le rythme du changement,
mais s’organiser en vue d’exploiter au mieux les
fenêtres d’opportunité, en organisant des processus
d’apprentissage entre acteurs différents,
sur plusieurs niveaux.

Dans le management de transition, on identifie
trois niveaux :

• Le niveau macro des paysages, des tendances
lourdes, des phénomènes économiques, démographiques,
idéologiques. C’est lieu stratégique
des changements de paradigme.

• Le niveau méso du régime dominant, des structures,
acteurs et infrastructures, technologies,
pratiques, normes, systèmes de croyance. Lieu
tactique du changement.

• Le niveau micro des niches de transition, acteurs
locaux et pratiques individuelles. C’est le lieu
opérationnel de l’innovation.

L’image qui vient naturellement est celle des
océans. En surface, des phénomènes météorologiques
locaux et l’activité humaine provoquent
des modifications de la température et des courants.
Plus bas, de grands courants constants
transocéaniques comme le Gulf Stream déterminent
l’équilibre du système, notamment le
régime météorologique général. Enfin, dans les
grandes profondeurs circulent des courants thermohalins
lents, très stables. Les travaux sur le climat
mettent en évidence les ruptures d’équilibre
que provoque l’explosion des rejets de l’activité
humaine dans ce système, en plus des phénomènes
volcaniques et tectoniques sous-marins.

Des paysages aux niches, le degré de stabilité et
d’inertie est décroissant, et le degré de vulnérabilité
au changement croissant. Les niveaux macro
et méso renferment la possibilité de crises systémiques
ouvrant les fenêtres d’opportunité. On
peut établir une typologie des innovations en
fonction de leur maturité et de leur intégration
dans le régime dominant. L’innovation dans des
niches très intégrées, qui ont de nombreuses interactions
dans le système, a un impact potentiel
plus grand de transformation du régime. Et, bien
sûr, seules les innovations suffisamment au point
peuvent devenir des références. En associant
toutes ces caractéristiques, on met en évidence
plusieurs stratégies complexes, ou formes de la
transition. La théorie de la transition affirme que
le changement est possible quand il y a convergence
entre les processus aux trois niveaux, sur
le court et le moyen terme. Pour favoriser ces
convergences, il importe de mettre les initiatives
en réseau et se concerter dans ces réseaux sur les
stratégies.

Nous allons prendre quelques exemples dans
notre action et autour de nous qui traduisent dans
la pratique ces concepts et ces processus. Nous
verrons comment ils s’éclairent et éclairent notre
action, lui donnent sens. Enfin, nous verrons si ce
sens est bien celui que nous souhaitons. Revenant
au précédent dossier Contexte, et à l’enjeu
des logiques de concurrence, nous tenterons de
déterminer si l’innovation en maison médicale
peut, et à quelles conditions, transformer la société
dans un sens souhaitable à l’occasion des
déstabilisations de notre système.

  1. « La théorie de la transition, comme éclairage pour les
    alternatives », in La face cachée du changement, Santé conjuguée
    n°57, juillet 2011.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 79 - juin 2017

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