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Violence entre partenaires : une urgence récurrente


Santé conjuguée n° 43 - janvier 2008

Depuis quelques années, les violences faites aux femmes sont prises au sérieux ! Mais la révolution des mentalités, la mise en place et le soutien effectif de structures ainsi que la collaboration entre des intervenants très différents prennent du temps…

En Belgique, septante femmes meurent chaque année sous les coups de leur partenaire. Une femme sur cinq sera victime dans sa vie de violences perpétrées par son partenaire. Des drames comme celui de Gosselies, le 17 décembre 2007, ne sont que la partie la plus visible du problème. Chaque jour, des centaines de femmes (et 2 % d’hommes) sont victimes d’actes de violence psychologique, physique, mais également économique et sociale. Au-delà de l’aspect émotionnel que revêt la question des violences entre partenaires, c’est une question de société qui est soulevée, un problème qui relève à la fois de la santé publique, de l’égalité entre femmes et hommes, de l’organisation des systèmes judiciaire et social. Les conséquences des violences intrafamiliales sur la santé des femmes sont multiples. Outre les coups, les fractures et traumatismes divers, des lésions internes peuvent se produire. D’autre part, l’équilibre psychique des victimes est affecté. On constate chez ces femmes un grand déficit de l’estime de soi, des dépressions profondes, le développement des comportements addictifs, des troubles du comportement alimentaire, des épisodes suicidaires. On rencontre ces problèmes chez les enfants, qu’ils aient été témoins ou victimes de ces violences. Tout cela a bien évidemment un coût en matière de santé publique. D’autre part, la violence entre partenaires était reconnue comme un crime, dans les textes, mais souvent considérée comme relevant de la seule sphère privée, dans les faits. Il était nécessaire que des dispositions soient prises pour rendre la lutte sur contre ces maltraitances réellement efficace.

Deux Plans nationaux de lutte contre les violences faites aux femmes

Depuis 2001, deux Plans nationaux de lutte contre les violences faites aux femmes ont été successivement mis en place. Ils ont nécessité, entre autres, de définir exactement ce qu’est la violence intrafamiliale, dans le but d’uniformiser l’encodage des plaintes, ce qui permettrait une meilleure compréhension de l’ampleur du problème, à travers des données statistiques. Cette définition est la suivante : « Les violences dans les relations intimes sont un ensemble des comportements, d’actes, d’attitudes de l’un des partenaires ou ex- partenaires qui visent à contrôler et dominer l’autre. Elles comprennent les agressions, les menaces ou les contraintes verbales, physiques, sexuelles, économiques répétées ou amenées à se répéter portant atteinte à l’intégrité de l’autre et même à son intégration socioprofessionnelle. Ces violences affectent non seulement la victime, mais également les autres membres de la famille, parmi lesquels les enfants. Elles constituent une forme de violence intrafamiliale. Il apparaît que dans la grande majorité, les auteurs de ces violences sont des hommes et les victimes des femmes. Les violences dans les relations intimes sont la manifestation, dans la sphère privée, des relations de pouvoir inégal entre les femmes et les hommes encore à l’oeuvre dans notre société. » A l’heure actuelle, les statistiques sont loin d’être complètes. Et encore faut-il qu’elles soient correctement lues. Ainsi, lorsqu’on constate une augmentation des violences entre partenaires sur base des statistiques actuelles, on fait une erreur d’interprétation. Il s’agit d’une augmentation des plaintes déposées. On compte, par exemple, pour la période comprise entre le 3 avril et le 31 décembre 2006, le dépôt de 37.881 plaintes. Pour combien de cas où aucune démarche n’est faite vers la justice ? Le premier Plan avait pour but de poser les jalons d’une action en termes de sensibilisation, de prévention et de répression. Il s’agissait avant tout de mettre en relation les acteurs de terrain, le monde judiciaire, la police, les travailleurs des secteurs médical et social, dans le cadre d’échanges de bonnes pratiques. Dans ce cadre, le rôle des structures d’accueil n’avait pas été nettement défini. Bien que centres de références -et à ce titre consultés dans la mise en place des formations à destination des magistrats, policiers et médecins – les moyens qui leur avaient été affectés par la Région s’avéraient insuffisants. Depuis lors, le rôle prépondérant des associations a été reconnu, et leur financement devait être revu. Mais nous manquons d’informations sur ce sujet à l’heure actuelle. La prise en charge des victimes, du point de vue sanitaire, social, économique, relevait de niveaux de pouvoirs différents. L’action seule de l’échelon fédéral avait ses limites. Le second Plan, courant de 2004 à 2007, mettait en oeuvre la collaboration entre Etat fédéral, les Communautés, Régions et Provinces, pour une plus grande cohérence. Bon nombre des aspects de la prise en charge des victimes, en première ligne, relève en effet de niveaux de pouvoir différents. Il en est de même pour les campagnes de sensibilisation qui peuvent être menées auprès de différents publics, et des formations dispensées aux professionnels de la santé, des travailleurs sociaux, mais également des enseignants. Il s’agissait avant tout de coordonner les acteurs compétents aux différents niveaux de pouvoir : savoir qui fait quoi, qui est compétent pour quoi, qui finance quoi et à quel niveau ?

Sur le terrain, on avance sûrement mais lentement…

Une circulaire conjointe de Laurette Onkelinx (ministre de la Justice) et Christian Dupont (ministre en charge de l’Egalité entre les Femmes et les Hommes) a été émise à destination des parquets, afin d’étendre les procédures de Tolérance zéro en vigueur à Liège et Anvers. Un procès verbal doit immédiatement être dressé pour toute plainte en matière de violence intrafamiliale, et l’auteur des faits reçoit une semonce. Pour bon nombre de victimes, cela est insuffisant. En effet, cette semonce semble être sans réelle influence sur le comportement de certains conjoints violents. Ce fut le cas dans l’affaire de Gosselies : l’ancien compagnon de la victime avait fait l’objet d’une plainte suivie d’une semonce. Ce qui ne l’a pas empêché de continuer à harceler son ex-compagne, puis de l’assassiner. On peut ajouter que le suivi psychologique des conjoints violents n’est pas encore généralisé, bien que la demande en soit faite, et que des associations oeuvrant dans ce sens soient subsidiées à la fois par l’Etat fédéral et les entités fédérées. On constate également que, lors de l’attribution du domicile à la victime, le maintien à l’écart de l’auteur de violences n’est en fait pas contrôlé. Souvent, les conjoints maltraitants sont conduits à la porte de structures d’hébergement, mais ne sont pas obligés d’y séjourner. De même, comme il est noté précédemment, leur suivi psychologique dans des structures appropriées (parfois liées à des centres d’hébergement) n’est pas obligatoire, et dépend donc du bon vouloir de la personne. Toutefois, un point positif est que les collectifs d’aide aux victimes et les associations prenant en charge les partenaires violents travaillent maintenant de manière concertée pour un meilleur suivi des dossiers. On voit donc que les choses avancent, lentement mais sûrement. Que des ajustements sont bien évidemment à prévoir, certains de façon urgente, principalement concernant l’attribution de logements décents aux femmes ayant quitté leur domicile (ce qui n’est pas toujours le cas dans des situations d’urgence), le traitement des partenaires violents, une réelle prise en considération des victimes non seulement par la justice, mais également par la police. Trop peu nombreux sont encore les policiers ayant reçu une formation en la matière : c’est une formation qui est suivie sur base volontaire, mais des modifications dans le cursus des aspirants policiers sont prévues. Ce qui est nécessaire, c’est avant tout un changement profond dans les mentalités. Les violences entre partenaires nous regardent toutes et tous. Chacun de nous connaît au moins une personne ayant été victime des ces violences. Il nous appartient de les faire sortir de la sphère privée. Ou plutôt de se réapproprier ce slogan qui fit florès dans les années 1970 : le privé est politique. .

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Cet article est paru dans la revue:

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