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Hépatite, SIDA, Toxicomanie, quoi de neuf ?


Santé conjuguée n° 43 - janvier 2008

Le huitième congrès THS (Toxicomanie, Hépatite, SIDA) fut un grand cru. Lawrence Cuvelier en a rapporté une pleine besace d’informations intéressantes.

Neurobiologie et toxicomanie, les frustrations d’un chercheur

Pour le professeur Le Moal, chercheur en neuroscience, les modèles expérimentaux, particulièrement animaux, n’apportent qu’une explication limitée aux processus de la toxicomanie. Ces modèles, faisant par exemple appel à des rats et a une substance pour obtenir une situation reproductible, ont mis en lumière bon nombre de neurotransmetteurs mais ne permettent pas de tenir compte de la vulnérabilité d’un sujet à la toxicomanie. Il faudrait tenir compte de l’histoire du sujet, impossible à reproduire dans des conditions expérimentales. Les modèles biologiques permettent quand même de démontrer qu’il n’y a pas récupération de l’innocence antérieure, c’est-à-dire qu’un sevrage n’est pas le retour à la virginité par rapport à un produit. Les récepteurs à la dopamine D2, que l’on voit très bien par imagerie médicale, ne retournent pas à un état « sans drogue » une fois le sevrage réalisé : ce circuit du plaisir reste moins stimulable chez un ex-consommateur abstinent que chez quelqu’un qui n’a jamais consommé. D’où le formidable appel si un sujet abstinent « craque »…

Dominé et dominant, un rapport avec la toxicomanie ?

En examinant par imagerie médicale du cerveau l’imprégnation des sites récepteurs à la dopamine (D2) chez des singes dominants et dominés, on a constaté que les chimpanzés dominants avaient naturellement un taux élevé d’imprégnation à la dopamine et les dominés un taux assez bas. La prise de cocaïne n’était pas appréciée par les dominants alors que les dominés étaient attirés par la cocaïne.

Substances pour combattre les assuétudes, perspectives

Parmi les substances étudiées, une confirmation et un espoir. La confirmation, c’est le disulfiram (Antabuse®) qui semble bien être utile dans le sevrage à la cocaïne, non pas par dégoût mais par d’autres mécanismes. Evidemment si la cocaïnomanie s’accompagne d’une consommation excessive d’alcool, il faut en tenir compte. Voilà une thérapeutique bon marché. Le topiramate est quant à lui très prometteur pour le sevrage de différentes assuétudes, expérimentation en cours.

Prévention contre les drogues, c’est possible !

Il nous reste en tête des résultats désastreux d’actions préventives contre la drogue menées dans les écoles, chez des adolescents, avec une consommation plus importante dans les groupes prévenus que dans les groupes contrôles. Des équipes américaines du National Institute on Drug Abuse (NIDA) ont apporté différentes pistes de réflexions, basées sur des expériences. Le côté normalisant de leurs expériences est quelque peu choquant dans les mentalités européennes. En se basant sur le développement du cerveau, et surtout du lobe préfrontal qui continue à se développer durant l’adolescence et la post-adolescence jusqu’à vingt-cinq ans, ils proposent dix-huit principes de prévention. De façon imagée, ce n’est pas en parlant de crime à des adolescents qu’on prévient leurs tendances à la délinquance, cela entraîne au contraire un appétit pour le risque. Il faut développer une stratégie en deux volets, l’un basé sur la recherche sur les facteurs de risque et l’autre sur des stratégies générales. Les facteurs de risques qui diminuent les capacités de résilience sont par exemple ceux auxquels sont exposés les enfants issus d’une famille hyperrigide ou à l’opposé qui proviennent d’une famille laxiste, ou dont les parents sont toxicomanes ou alcooliques, ceux qui vivent un sentiment de rejet, ou encore dont les familles sont dans de grands conflits ou dans lesquelles la communication est pauvre. Les chercheurs ont sur ces bases établi plusieurs plans à long terme, souvent dix à quinze ans, en comparant des groupes contrôles à d’autres bénéficiant de préventions menées avec acteurs de terrains, à travers les médias, ou la combinaison des deux. Une prévention ciblée sur des adolescentes victimes de viol a montré des résultats probants sur la consommation de marijuana. Dans ce processus basé sur une théorie qui se révise à l’épreuve des faits, le National Institute on Drug Abuse a lancé trois programmes successifs, le premier en 1985. Ces programmes sont souvent établis en trois phases, pour des enfants jeunes, de huit ans. La première phase consiste à faire prendre conscience à l’enfant qu’il produit un comportement répétitif (par exemple la consommation d’un snack), lui faire ensuite réfléchir sur pourquoi il produit ce comportement, est-ce qu’il le fait plus facilement lors d’une frustration, s’il se sent rejeté, et la troisième phase ébauche des conduites à suivre pour maîtriser son comportement. Des résultats convaincants ont étés obtenus non seulement sur la consommation de drogue mais aussi sur le Body Mass Index (BMI) !

Cortisol et groupes à risque

En Californie, des groupes de recherche ont étudié l’impact de programmes préventifs sur le comportement dans des groupes à risque. Ils ont remarqué que la variation nycthémérale du cortisol est tout à fait anormale dans ces groupes à risque, c’est-à-dire qu’au lieu d’être haut le matin et bas le soir, le cortisol est uniformément bas. En mesurant le cortisol salivaire qui semble refléter le cortisol sanguin on a pu constater que l’amélioration du profil de cortisol correspondait au changement de comportement.

Est-ce que l’hépatite C et le SIDA affectent le cerveau ?

La réponse est clairement oui. Les mécanismes sont différents. On sait depuis assez longtemps que le SIDA affecte le cerveau par un appauvrissement des dendrites car l’Human Immune Virus (HIV) est un virus neurotrope. Avant les polychimiothérapies 2% des patients devenaient déments. On s’est intéressé plus récemment au hepatitis C virus (HCV) qui affecte les macrophages et les monocytes et par ce biais atteignent les astrocytes du cerveau. On a mesuré l’atteinte du système nerveux central par différents tests neurologiques aussi bien dans le SIDA que pour l’hepatitis C virus ainsi que pour la méthamphétamine iv utilisée comme stupéfiant dans différents pays. Ainsi, un tiers des donneurs de sangs chinois atteints présentent des troubles neurologiques. Cette atteinte est d’autant plus préoccupante qu’elle survient avant les atteintes hépatiques. Il n’y a pas cependant, d’hepatitis C virus dans le cerveau.

Perspective pour de nouveaux traitements dans l’hépatite C ?

Une série impressionnante de thérapies différentes ont été essayées pour de nouveaux traitement dans l’hépatite C, et ce à tous les stades de la réplication du virus. Les traitements les plus efficaces semblent être les antiviraux antiprotéases. Malheureusement la plupart d’entre eux s’avèrent inutilisables en raison de leurs toxicités. Vu les nombreuses promesses déçues, la plupart des intervenants semblaient fort pessimistes et estiment qu’il ne faut rien espérer d’ici cinq ans.

Regards anthropologiques sur l’hépatite C et les usagers de drogues

L’anthropologie a pour but d’analyser l’ensemble des intervenants (généraliste, hépatologue, psychologue, patients) et de décrire leurs perceptions de la maladie, le but étant d’améliorer la prise en charge des patients. Alors que l’étude anthropologique du SIDA s’est rapidement imposée comme un must de la prise en charge pluridisciplinaire et a permis de réelles avancées dans ce domaine, cette approche débute à peine en France pour l’hépatite C. Sur base d’interviews de plusieurs heures sur un nombre limité de patients, l’anthropologue C. Ennel de Dijon a pu déjà tirer quelques conclusions intéressantes. La plupart des généralistes sont rarement confrontés à l’hépatite C (une à deux fois par an), d’où leurs faibles motivations. Les cas les plus difficiles sont les toxicomanes passés à l’alcool, les délais sont énormes entre le diagnostic et l’arrivée chez le spécialiste, et il semblerait que le parcours d’une hépatite C soit beaucoup plus compliqué quand le dépistage et l’annonce du diagnostic sont faits par un médecin tiers, c’est-à-dire ni le généraliste, ni le gastroentérologue. Les effets secondaires ont quant à eux une représentation épouvantable. Par contre, dans le personnel médical, l’infirmière de référence semble jouer un rôle clé dans la confiance du patient de même que le généraliste. Lorsqu’on examine les comportements d’après les catégories socioprofessionnelles, les patientes les plus réfractaires sont des femmes à responsabilité professionnelle qui diffèrent le traitement et ne veulent pas que l’entourage soit au courant…

Trouble psychologique et traitement hépatite C, faut-il en avoir peur ?

Classiquement, on recommande la plus grande circonspection dans la décision de traiter l’hépatite C d’un patient souffrant de troubles psychiatriques ? Est-ce justifié ? Une belle étude sur les troubles psychiatriques et le traitement de l’hépatite C a été réalisée par JP Lang de Strasbourg, l’étude CHEOPS. Sur une cohorte de 444 patients dont 40% de patient étiquetés psychiatrique, on a constaté que les doses reçues dans les deux groupes étaient comparables, de même que la durée de traitement ainsi que le nombre d’arrêts prématurés et les raisons de ceux-ci. On remarque des troubles psychiatriques en cours de traitement de l’ordre de 40% chez les non-psychiatriques et de 67% chez les patients psychiatriques au départ. Cependant, il semble plus difficile de contrôler des événements psychiatriques chez les patients n’ayant pas d’antécédent de ce type. Les troubles les plus fréquents sont l’irritabilité et les troubles du sommeil qu’il faut pouvoir investiguer. Ces troubles apparaissent le plus souvent au début du traitement. L’infirmière d’éducation est fondamentale dans l’intervention précoce.

Groupes de paroles pour les patients atteints d’hépatite C

Une dizaine de groupes de paroles se sont mis en place en France chez les patients atteint d’hépatite C. Ces groupes rencontrent l’intérêt du patient qui y trouve des réponses à ses questions, du médecin qui gagne du temps et de l’institution qui valorise la multidisciplinarité. Il existe différents groupes, soit associatifs, soit avec éducation thérapeutique soit d’analyse thérapeutique. Ils établissent un lien fréquent avec un lieu et un horaire, concernent le patient comme son entourage, et réunissent animateur, psychologue, infirmière. Les thèmes souvent abordés sont le conjoint, la souffrance, la peur de la contamination, l’évolution de la maladie, quand traiter. Il faut compter sur un pool de trois cents patients pour espérer qu’une dizaine d’entre eux se réunissent une fois par mois, avec des changements dans les effectifs, mais cela permet parfois de soigner des patients qui sinon n’auraient jamais osé le faire.

La baisse du prix de l’héroïne a-t-elle un impact négatif sur les traitements de substitution ?

Plutôt décoiffant le travail qu’a présenté Carlos Nordt de Zurich. En comparant le nombre d’overdose à l’héroïne, le prix de celle-ci, et l’introduction des traitements à la méthadone, on apprend que dans les années 90 il y avait environ deux cents morts d’overdose par an dans le canton de Zurich, que l’introduction de la méthadone a fait chuter le nombre de morts à 0, 1 ou 2 par an dans le même canton et que cela s’est corrélé avec une chute des prix d’un facteur de cinq à dix. Plus fort encore, la police saisit de plus en plus d’héroïne ce qui n’a aucun impact sur la chute des prix, et enfin il ne semble pas avoir d’accroissement du nombre de cas de consommateurs.

Prévention du SIDA et de l’hépatite C, quel programme de prévention ?

Au cours d’une étude fort bien conduite sur 714 patients utilisateurs de drogues par voie intraveineuse, Charlotte Van den Berg a démontré l’efficacité des programmes combinés échange de seringue et prise en charge méthadone. La méthadone seule ou l’échange de seringue seul n’avaient pas une forte influence sur l’incidence des deux maladies. L’intervalle de confiance était plus grand que 95%. Une objection a été soulevée quant à la dose moyenne faible de méthadone qui était utilisée mais cette étude a débuté il y a longtemps…

Alcoolisme et naloxone, une vraie promesse pour certains

Dans les années 80, une étude avait montré que des alcooliques en sevrage diminuaient leurs taux de rechute avec de la naloxone. Cette étude n’avait pas eu beaucoup de succès car une frange importante ne répondait pas du tout au médicament. De nouvelles études ont montré que dans la frange des répondeurs, le succès pouvait aller jusqu’à 90%. Il s’agit de patients qui ont un récepteur particulier à l’endorphine. Identifiables par un test génétique, ce sont des sujets victimes d’alcoolisme familial chez qui l’alcool a un effet euphorisant. La pénétration de ce gène est variable, il concerne un européen sur six, contre 1% de la population africaine et 47% des indiens. Les patients porteurs de ce gène ont aussi une plus grande susceptibilité à la dépendance aux opiacés. Des études prospectives randomisées sont en route pour confirmer ces données. En parallèle avec l’étude citée plus haut, des études d’imagerie médicale assez pointue tenterait à démontrer que le Campral® n’est réellement efficace que chez les alcooliques qui présentent une diminution de l’humeur sur la consommation d’alcool. Le glutamate aurait une action très nette sur le craving, et le Campral® inhiberait cette action. A l’année prochaine pour THS 9 ?

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

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