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Vers une Université Ouverte en Santé


Santé conjuguée n° 39 - janvier 2007

En 1981, Monique Vandormael a publié dans les Cahiers du GERM un travail relevant les deux obstacles majeurs au développement des soins de santé primaires : le mode de financement à l’acte et la formation des professionnels qui est technicisée, segmentée et hospitalo-centrée. Depuis cette analyse, malgré quelques modifications apportées dans les processus de formation, l’inadéquation de la formation des professionnels de la santé aux réalités sociales et au contexte d’exercice, surtout extra hospitalier, demeure flagrante. Suite au congrès de février 2006 de la fédération des maisons médicales, la question de la formation a été remise en avant et considérée comme priorité.

Le mal être de toutes les professions de santé, avec la crise des vocations en médecine générale, les infirmières dans la rue, les kinésithérapeutes en explosion identitaire, la réaction des stagiaires et assistants (en bon nombre dans les maisons médicales) et le retour des maîtres de stage, tout converge vers ce constat : « on n’a pas été formé pour aborder ce qu’on est amené à rencontrer ! »
C’est vrai pour la nature des pathologies.
C’est vrai pour le rapport a leur prévalence.
C’est vrai pour le contexte de leur émergence.
C’est vrai pour la place des questions relationnelles, sociales, culturelles environnementales qui les conditionnent. L’irruption de la question sociale dans le champ de la santé, qui est une réalité forte de ces vingt dernières années, surprend, déroute, voire énerve plus d’un jeune praticien.
Déjà à la fin des années 70, des pédagogues médicaux comme Engel (dans Médecine et Hygiène) avaient attiré l’attention sur la nécessité de changer de paradigme et d’aller vers un modèle plus holistique qui articule les facettes psycho-medico sociales. Peu après, M. Van Dormael analysait la qualité de la formation en fonction d’un modèle moderne des soins de santé primaires qui met en tension l’approche individuelle et collective, les aspects curatifs-biologiques et psychologiques, la démarche de santé publique et les dimensions culturelles et anthropologiques. Ces analyses sont renforcées par celles des économistes de la santé, comme Evans ou M.Renaud (Etre ou ne pas être en bonne santé) qui, depuis les années 90, suggèrent d’investir particulièrement dans les dispositifs sociaux et éducatifs pour améliorer la santé des populations (ce qui n’empêche pas d’optimaliser l’activité des systèmes de soins de santé). Le lien entre formation, pratique et développement d’une politique est une dimension essentielle de la perception du problème. Dans l’Unité pour la santé, publication de l’Organisation mondiale de la santé 2002, Charles Boelen souligne « l’incohérence entre formation et pratique est une profonde source de désillusion qui érode le potentiel d’innovation de nombreuses institutions de formation…
C’est le problème des initiatives éducatives qui, quelle que soit la qualité des méthodes, ne s’accompagnent pas de mesures incitatives pour les professions de santé ».

Pour une evidence based organisation

Ces arguments nous confortent dans une lecture mais donc aussi une stratégie qui allie des aspects pédagogiques, des développements de la pratique et une mobilisation politique. Loin de nous l’idée que rien n’a évolué depuis trente ans ; dans le domaine de la médecine générale, les centres et départements universitaires de médecine générale représentent sans doute l’avancée la plus significative dans le curriculum, de même que les Groupes locaux d’étude de la médecine et l’accréditation dans la formation continue ou, dans les professions infirmières, la transformation des études d’infirmière sociale vers l’infirmière communautaire, ou la réforme des études d’assistants sociaux. Il reste que le paradigme dominant est encore construit ailleurs. Si, au niveau primaire, une approche pluridisciplinaire et globale de la santé a du sens, alors ne faut-il pas envisager une transversalité des formations des professionnels, la création dès le curriculum de base de passerelles et de travaux en équipe pluridisciplinaire qui préfigurent les pratiques de terrain ? Pas comme des exceptions, mais avec autant d’intensité que le travail d’équipes hospitalières avec d’autres spécificités. On pourrait dire comme une evidence based organisation ! Cette réflexion pourrait fournir quelques points d’ancrage à un chantier auquel nous souhaitons donner une certaine ambition. Rarement nous avons travaillé l’interprofessionalisation, la transversalité nécessaire de la construction du savoir des différentes disciplines. Jamais nous n’avons envisagé cette construction en y intégrant les résultats de la confrontation des disciplines et des savoirs expérimentaux, profanes mais riches de leur racines sociales. Et pourtant cette démarche nous paraît, au vu de notre travail sur le terrain, essentielle pour soutenir une approche globale de la santé.
Cela se conçoit sans doute facilement pour les démarches communautaires et collectives qui sollicitent la participation de tous les acteurs d’un milieu de vie pour une intervention sur les déterminants de santé. Mais la globalité est aussi mise en perspective du soin individuel, de la tension sur la représentation des différents professionnels autour de la santé, de la maladie, de la mort ou de la souffrance. De la reconnaissance de ce conflit, de la qualité de ses acteurs et de leur capacité à « dire » le réel et leur perception experte et/ou expérimentale peut naître un savoir renouvelé, mobilisateur de comportement et de pratiques renouvelés.

Trois pistes

C’est dans cet état d’esprit que nous proposons trois pistes conjointes qui ont des temporalités et des faisabilités différentes. 1. La piste de l’éducation permanente. La santé n’est pas que le fait des activités des professionnels, elle est le fruit d’acteurs multiples d’autres secteurs professionnels et non professionnels. La population dispose et produit un savoir profane lié à l’expérience, à la vie, à sa fonction citoyenne ; ce savoir social est généralement éclairant des problématiques et, reconnu comme tel, mérite d’être confronté à la connaissance experte. Il s’en dégage une lecture de la réalité sociale qui est régulièrement critique mais aussi mobilisatrice.
C’est un premier type de démarche et de ressources que nous souhaitons mettre en œuvre ; c’est le cheminement qui sera ébauché lors de l’Université d’automne que nous avons ouvert en octobre 2006, en nous souvenant de la phrase de Bourdieu : « Si le social m’est supportable c’est parce que j’ai gardé la capacité de m’indigner. » 2. La seconde piste mettrait en perspective la mise en place d’une Faculté Ouverte, sorte de FOPES du social et de la santé qui ouvrirait à une formation qualifiante pluridisciplinaire, transversale pour des adultes au travail dans ces secteurs, à partir de la confrontation de la pratique et de sa lecture critique. 3. Et enfin l’exploration et des revendications pour une réforme des programmes de base vers davantage de transversalité et de globalité, vers davantage de spécificité tant au niveau du contenu que de la méthode. De notre point de vue, ces trois pistes sont synergiques et l’enjeu stratégique est de travailler à leur renforcement réciproque, même si sous certains aspects elles se contestent et se critiquent.

L’Université d’automne, un premier pas…

L’Université d’automne organisée par la Fédération des maisons médicales les 20 et 21 octobre 2006, ouverte aux professionnels et aux profanes, a voulu être l’occasion d’explorer des savoirs expérimentaux des uns et des autres dans les champs du social et de la santé, pour en reconnaître la pertinence et en faire une force de savoir social mobilisateur. La cohérence du canevas méthodologique des ateliers est au centre du processus qui en a fait une démarche d’éducation permanente ; au centre pas sans lien avec des approches culturelles, théâtrales, musicales (création de l’Orchestre Mélangé de la Santé), réseaux d’échange de savoirs dont les finalités convergent. Les thématiques des ateliers proposés se faisaient l’écho des préoccupations émises par les travailleurs : représentation de la mort, de la santé, place du médicament dans la relation de soins, question de l’exclusion et du système social, scénographie de la rencontre interpersonnelle, souffrance au travail ou encore identification des catalyseurs et des freins dans les projets locaux. La technique mise en œuvre dans les ateliers a reposé sur une approche à dimension culturelle, anthropologique visant à provoquer l’expression inattendue de ce qui appartient en propre à la personne, des savoirs inscrits en elle.
Le partage de ces savoirs et leur confrontation avec une autre connaissance du même contenu, « experte » devait permettre de dégager des pistes de travail, des hypothèses susceptibles d’alimenter la réflexion pour la poursuite du travail sur les thématiques abordées ou sur d’autres sujets que l’atelier a fait émerger. La matière qui ressort de ces ateliers est importante. Il reste à la traiter au mieux avant la session prochaine de l’Université Ouverte. La Fédération ne souhaite pas mener seule ce projet. Elle veut s’entourer de partenaires qui expérimentent des démarches similaires, que ce soient des chercheurs, des formateurs, des enseignants de diverses disciplines (infirmiers, assistants sociaux, kinésithérapeutes, médecins généralistes, etc.) et également des travailleurs de terrain.
Avec eux, elle souhaite partir des savoirs issus de cette Université et les traduire en propositions de travail pour les universités prochaines et également interroger et affiner la méthodologie utilisée. Parfois surpris, souvent interpellés, les participants sont globalement satisfaits de la démarche proposée. Des questions persistent sur la finalité du projet et la méthodologie proposée.
Ils ont apprécié les rencontres nouvelles mais souhaitent plus d’ouverture vers l’extérieur et ont regretté le peu de participation des patients.
C’était une première étape d’un vaste projet dans lequel nous souhaitons vous maintenir engagés.

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 39 - janvier 2007

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