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Sommes-nous tous des cobayes ?

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Santé conjuguée n°87 - juin 2019

Smartphones, wi-fi, fours à micro-ondes, Bluetooth, consoles Wii, baby phones, téléphones portatifs « DECT », talkie-walkie, smart TV, objets connectés… Dans le cadre des débats sur la 5G et sur la toxicité des rayonnements électromagnétiques (dits de radiofréquences), nous avons posé quelques questions au Dr Magali Koelman. Avec plusieurs médecins, dont les Drs Vinciane Verly et Sophie Scheffer, elle est à l’initiative d’un appel à la prudence et à l’usage raisonné des technologies sans fil.

Les projets de déploiement de la 5G semblent enfin réveiller une partie de l’opinion publique et des politiques. Mieux vaut tard que jamais ? Dr Kolman : En effet, depuis 2000, des appels et des rapports de médecins et scientifiques, se basant sur les résultats des recherches indépendantes de l’industrie, se sont succédé à travers le monde pour alerter les autorités et les citoyens à propos de la nocivité des champs électromagnétiques (CEM) pour la santé et pour appeler à l’application du principe de précaution, malheureusement en vain. Résolution de Salzburg, Appel de Friburg, Appel d’Helsinki, Rapport Bio initiative, Appel du Parlement européen, Résolution 1815 du Conseil de l’Europe… Nous ne pouvons pas les citer tous, mais notre appel « Hippocrates Electrosmog Appeal Belgium »1 est le trentième de la liste. Ses demandes s’inscrivent dans la lignée de ses prédécesseurs. Qu’en dit l’OMS ? En 2011, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’OMS a classé les champs électromagnétiques de radiofréquence dans la catégorie des cancérogènes possibles pour l’homme (groupe 2B). L’OMS s’est basée sur des études qui laissaient entrevoir des risques de cancer chez les gros utilisateurs de téléphone portable. Or, les gros utilisateurs de l’époque de ces études correspondent aujourd’hui à des utilisateurs moyens ou faibles, ce qui est particulièrement inquiétant… Et les normes censées nous protéger datent de 1998 et ne prennent pas en compte les effets biologiques des CEM sur l’organisme, effets se manifestant pour des valeurs mille fois inférieures aux normes actuelles, basées exclusivement sur les effets thermiques. De plus, ces normes de 1998 sont basées sur des recommandations émanant de deux organismes internationaux étroitement liés à l’industrie (ICNIRP2 et IEEE3), comme largement démontré dans plusieurs publications, notamment celle du Int J Oncol. publiée en 2017 : « World Health Organization, radiofrequency radiation and health-a hard nut to crack ». À noter qu’en 2011, l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe préconisa l’application du principe ALARA (as low as reasonably achievable), c’est-à-dire l’application du niveau le plus bas qu’il soit raisonnablement possible d’atteindre, prenant en compte non seulement les effets thermiques, mais aussi les effets athermiques (biologiques) des CEM. Quels sont ces effets biologiques ? L’ADN ayant les propriétés d’une antenne fractale, les études ont montré qu’il était rapidement endommagé en présence de CEM de faible intensité (survenant à des valeurs mille fois inférieures aux normes en vigueur) : ruptures simples et doubles brins, augmentation de micronoyaux, diminution de sa capacité d’autoréparation, mutation ou mort des cellules, augmentation de la synthèse de protéines de stress, production accrue de radicaux libres, diminution de l’immunité, etc. Lors des expositions répétées, la capacité à produire des protéines de stress (comme la protéine hsp70) diminue par épuisement, ce qui rend plus vulnérable l’organisme aux autres facteurs de stress environnementaux et favoriserait l’émergence de certaines pathologies. Au niveau plus macroscopique, il y a, par exemple, une perturbation de la synthèse de la mélatonine, avec troubles du sommeil, une altération de la motilité des spermatozoïdes, une activation accrue du système adrénergique. Les études NTP et Ramazinni de 2018 sur les rats confirment l’augmentation des gliomes et schwannomes (des tumeurs) après exposition à des ondes GSM telles que nous les subissons. Une étude épidémiologique publiée en 2018 en Angleterre a mis en évidence entre 1995 et 2015 une augmentation de l’incidence des glioblastomes (des tumeurs également) parmi la population, ce qui pourrait être en lien avec l’utilisation du téléphone portable. Toutes ces études sont sur notre site internet. Les ondes touchent-elles aussi le monde animal et végétal ? Oui, et de manière très inquiétante. Les études abondent dans ce sens. Elles ont par exemple montré que l’exposition prénatale de rats au wi-fi provoque un retard de croissance et de puberté, que les ondes GSM affectent la réponse aux phéromones de colonies de fourmis et dégradent la motilité et la membrane cellulaire de protozoaires, que les ondes électromagnétiques affectent la croissance des grenouilles, que les radiations des antennes wi-fi entrainent un ralentissement de la croissance des épis de maïs et provoqueraient une maladie des arbres… Les antennes-relais altèrent la fertilité des cigognes qui nichent à proximité, et augmentent la fréquence des fausses couches chez les bovins. De très faibles niveaux de CEM perturbent la capacité de navigation des oiseaux migrateurs et des abeilles, ce qui a été relié au syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles dans le monde. Pour en revenir aux êtres humains, pensez-vous que certains soient plus sensibles que d’autres ? Les études menées ont démontré que tous les organismes vivants étaient électrosensibles. Il existe, bien entendu, des groupes plus à risque de développer des effets plus rapidement ou pour des expositions moins intenses (enfants, personnes âgées, malades chroniques, organismes déjà fragilisés par d’autres stresseurs). Chaque organisme ayant un seuil de tolérance qui lui est propre et qui est déterminé par de nombreux facteurs. Lorsque l’organisme a dépassé sa capacité à faire face au stress engendré par le CEM, souvent suite à des expositions répétées et/ou intenses, il peut développer ce que l’on appelle le syndrome d’intolérance environnementale idiopathique attribuée aux CEM, ou d’électrohypersensibilité (EHS). Ce syndrome touche un nombre croissant de personnes dans les pays industrialisés et de plus en plus d’enfants. Il ne s’agit absolument pas d’une phobie des ondes. Il comprend différents stades cliniques, qui vont de symptômes légers à insupportables et qui ont tous comme point commun de disparaître lorsque la personne s’éloigne de la source d’exposition. Certaines personnes sont tellement affectées qu’elles se retrouvent privées de leurs droits fondamentaux comme travailler, circuler librement, et même accéder aux soins. Elles deviennent exclues de la société, dans l’indifférence la plus totale. Ce syndrome d’électrohypersensibilité est reconnu en Suède depuis 2002 comme handicap fonctionnel. Sa prise en charge est avant tout une mise à l’écart de toute source d’exposition. Ces patients deviennent beaucoup plus vulnérables aux effets des CEM et doivent s’en protéger au maximum afin de préserver leur santé dans la mesure du possible. Comme médecins, nous rencontrons de plus en plus de personnes qui se plaignent de troubles physiques susceptibles d’être en lien avec cette problématique : maux de tête, acouphènes, troubles visuels, vertiges, insomnies, éruptions cutanées, douleurs, troubles cognitifs, tachycardie, arythmies, etc. Souvent, c’est le patient lui-même qui fait le diagnostic. Il est probable que beaucoup de personnes électrohypersensibles ne soient pas encore diagnostiquées comme telles. Il est donc important que nous puissions apprendre à intégrer ce diagnostic dans notre démarche clinique, car un diagnostic précoce empêche l’arrivée à un stade avancé, souvent irréversible et difficile à prendre en charge dans une société comme la nôtre. Comment l’industrie concernée se positionne-t-elle ? L’industrie met tout en œuvre pour brouiller les pistes. C’est la stratégie du doute, décrite par la sociologue Annie Thébaud-Mony, directrice de recherche à l’Inserm, pour qui les scandales de l’amiante et des pesticides ont dévoilé l’implication active des industriels dans le déni des risques. Pour contrer une suspicion de toxicité d’un de leurs produits, ils agissent en discréditant systématiquement les études scientifiques qui trouvent un impact sanitaire, en dépêchant immédiatement une étude négative en réponse à une étude positive, en mettant en question la compétence des scientifiques ayant mené cette étude ou leurs méthodes. Certaines industries créent des fondations de recherche soi-disant indépendantes, qui conduisent des études ne trouvant systématiquement aucun effet négatif. L’industrie a tendance à demander toujours plus d’études scientifiques, ce qui maintient dans l’opinion publique l’impression d’une incertitude et ce qui permet au consommateur de continuer à acheter sans se faire trop de soucis. Et cette impression de flou arrange bien les consommateurs que nous sommes, car nous préférons ne pas nous passer dudit produit… Par des stratégies de ce type, l’industrie des télécommunications gagne du temps et entretient l’idée qu’il persiste une incertitude quant aux effets des ondes électromagnétiques, ce qui amène les autorités sanitaires à demander toujours plus d’études pour tenter d’accéder à ce haut niveau de preuve, pourtant peut-être inaccessible en raison de la complexité du vivant, ce dont les producteurs tirent profit. Dans sa résolution 1815, datant de 2011, l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe partage cette analyse, puisqu’elle affirme qu’attendre de hauts niveaux de preuves scientifiques avant d’agir pour prévenir des risques bien connus pourrait entrainer des coûts très élevés en termes de santé et d’économie, comme ce fut le cas avec l’amiante, l’essence au plomb et le tabac. Dans ses deux rapports « Avertissements précoces et leçons tardives », l’Agence européenne pour l’environnement retrace les nombreux scandales sanitaires du siècle dernier : amiante, PCB, plomb, rayonnement radioactif… Les auteurs se demandent s’il existe des cas de figure de fausse alerte où les autorités auraient pris des mesures de précaution suite à des soupçons de toxicité et où la substance se serait finalement révélée inoffensive et les mesures de précautions inutiles. Et bien ils n’ont pu trouver aucun exemple de ce type au cours du dernier siècle : il n’a jamais existé de toute l’histoire de l’industrie une situation de fausse alerte où des médecins et scientifiques auraient averti des dangers d’une technologie pendant des années sans qu’elle soit réellement dangereuse. Voici un petit rappel des produits et substances qui étaient autrefois considérés comme inoffensifs, car le niveau de preuve scientifique était limité, alors que des signaux très précoces alertaient sur leur toxicité : l’amiante, le tabagisme actif, le tabagisme passif, le bisphénol A, l’essence plombée, les peintures au plomb, certains pesticides comme le DDT, les polychlorobiphényles, le radium. Comment aller à contre-courant du rouleau compresseur industriel et technologique ? En partie en sensibilisant les citoyens et les politiciens. Proposez-leur la métaphore du champignon inconnu. D’un côté, des scientifiques nous disent qu’il n’y a pas d’effets pathogènes suffisamment prouvés de ce champignon : selon eux, il existe un certain nombre d’études qui trouvent des effets, mais avec un niveau de preuve limité. Et dites-leur que les communiqués qui reprennent ces éléments rassurants nous disent quand même qu’il faut protéger les enfants et les femmes enceintes de ce champignon. Ajoutez que, de l’autre côté, d’autres scientifiques affirment avoir trouvé plusieurs effets pathogènes graves (ruptures d’ADN, cancers, problèmes neurologiques et comportementaux, problèmes de fertilité, etc.), et que de nombreux collectifs de médecins et de scientifiques prennent la peine de faire des appels publics à propos des dangers de ce champignon. Alors, qui serait d’accord que l’on incorpore ce nouveau champignon à nos aliments de base ? Ou que les cantines scolaires servent ce champignon à chacun de leurs repas ? Et bien la même situation s’applique aux ondes électromagnétiques dites de radiofréquence…

Documents joints

 

  1. https://www.hippocrates-electrosmog-appeal.be/.
  2. International Commission on Non- Ionizing Radiation Protection.
  3. Institute of Electrical and Electronics Engineers

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°87 - juin 2019

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