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Humaniser la société par le logement

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Santé conjuguée n°87 - juin 2019

Depuis 2004, l’asbl Habitat et Humanisme a construit une centaine de logements, permettant à 300 personnes d’être relogées. Grâce à un système de cagnotte, elle aide aussi des familles à revenus modestes à devenir propriétaires.

Trop de gens n’ont pas de toit. Trop de personnes sont mal logées dans des logements insalubres, surpeuplés, trop chers. Trop de quartiers concentrent l’exclusion et la violence. Face à ce triple constat, le mouvement Habitat et Humanisme1 est entré en résistance en Belgique en 2004 (et en France dès 1985) en se fixant pour mission d’humaniser la société par le logement. Sa mission suit trois axes : -Loger les familles aux revenus modestes, c’est-à-dire construire ou rénover des logements à loyer adapté et à haute performance énergétique dans des quartiers facilitant la mobilité. -Créer du lien avec les familles logées afin de leur permettre de développer leur pouvoir d’agir et de vivre dignement. Nous veillons à donner l’opportunité aux familles accompagnées d’en accompagner d’autres à leur tour quand elles en sont prêtes. -Réconcilier l’économie et le social en permettant à chacun de participer, par son temps ou son argent, à la réalisation de logements pour les plus démunis.

Bâtir des logements

L’objectif est de loger cinquante familles par an en Belgique d’ici à 2022. Pour cela, une équipe de six employés, vingt bénévoles administrateurs et trente bénévoles accompagnateurs est au taquet. Car il s’agit pour y arriver de capter davantage de terrains, de lever plus de fonds et de convaincre plus de bénévoles. Les projets se développent en Région bruxelloise et en Région wallonne en partenariat avec des agences immobilières sociales (AIS), des CPAS, des associations de promotion du logement, des maisons de quartier, des entreprises de formation par le travail. À Melreux : rénovation de six logements. À Hautrage, Bâtis-toit : construction de huit maisons neuves de quatre chambres, à basse énergie et ossature bois. Toujours à Hautrage, Maisons potagères : construction neuve traditionnelle et basse énergie de douze logements (trois studios, six appartements de deux chambres et trois maisons de trois chambres). À Charleroi, dans l’attente du permis d’urbanisme, nous avons confié l’occupation temporaire du bâtiment Bethléem à un laboratoire d’initiatives socioculturelles et citoyennes. À Bruxelles, Maison Relais : création de deux logements de transit, un habitat solidaire et un appartement géré par une agence immobilière sociale. À Molenbeek, projet Sambre : construction neuve de vingt-quatre logements basse énergie, dont quatorze avec deux chambres et huit avec trois chambres. À Schaerbeek, maison intergénérationnelle : rénovation en quatre studios pour personnes âgées et trois chambres d’étudiants. À Forest, Leclercq : construction neuve passive de dix logements habités dont un réservé aux personnes sans-abri. À Molenbeek, la Perle : construction neuve passive d’un local associatif et de dix-sept logements dont six pour des personnes sans-abri, deux pour la cohabitation de personnes migrantes, deux pour des personnes âgées et sept pour des familles nombreuses. Un autre projet encore est à cheval sur les deux régions. Il s’agit de Moving Nest, la construction neuve par des jeunes en insertion de studios déplaçables pour des sans-abri (en collaboration avec la campagne 400 toits2). Les terrains occupés se situent à Bruxelles et l’atelier à Erezée. Un premier module est habité par une personne anciennement sans-abri, accompagnée par l’asbl Huneeds. Deux autres Moving Nests sont en cours de construction. Comment le modèle économique s’articule-t-il ? La partie immobilière s’autofinance par la revente de 70 % des logements produits. Depuis deux ans, nous avons aussi développé un outil financier qui nous permet de rester propriétaire d’une partie d’entre eux. La partie sociale est quant à elle partiellement subsidiée et partiellement sur fonds propres. Nos projets reposent sur une formidable chaîne d’acteurs qui contribuent à la lutte contre le mal-logement. Dans cette chaîne, nous comptons sur des propriétaires de terrain ou de bâtiment (qui vendent à des prix permettant d’équilibrer un programme social), des investisseurs solidaires (qui soit achètent un projet immobilier social clé sur porte comprenant un logement, une gestion locative sociale et un accompagnement, soit investissent dans Habitat et Humanisme ce qui nous permet de rester propriétaires d’une partie de ce que nous produisons), des partenaires associatifs (qui accompagnent les personnes logées ; notre public cible est l’ensemble de la population précarisée), et des bénévoles (dont la mission est de créer un lien de confiance avec les personnes que nous logeons pour les aider à rompre leur isolement, développer leur talent).

Bâtir du lien

Habitat et Humanisme propose un accompagnement individuel et/ou collectif aux locataires de tous ces projets immobiliers. Il facilite également l’acquisition de logements décents et abordables à des familles grâce aux groupes d’épargne collective et solidaire (GECS) qu’il organise. Devenir propriétaire d’un appartement, d’une maison, est le rêve de nombreuses personnes. Mais les conditions actuelles pour se porter acquéreur d’un bien immobilier ne sont pas à la portée de tous. Et très souvent, c’est le paiement de l’acompte qui constitue le frein principal pour se lancer dans un tel projet. C’est le CIRé (pour Coordination et initiative pour les réfugiés étrangers), qui est à l’initiative du premier GECS en Belgique. Il fait suite à un certain nombre de constats : loyers trop élevés pour des logements souvent en mauvais état et de plus en plus nombreux, logements sociaux insuffisants, insalubrité, surpeuplement, manque de logement de transit ou d’insertion, discrimination d’accès pour les étrangers, les familles nombreuses… Inspiré du principe de la tontine africaine, le GECS est un groupe de gens qui se mettent ensemble sous la coordination d’une asbl pour épargner et constituer, pendant un cycle de deux ans, un capital commun qui servira à préfinancer les différents acomptes le moment venu. Pour être retenu comme membre d’un GECS, l’obtention d’un bilan auprès du Fond du logement de la Région de Bruxelles-Capitale, du Fonds du logement de Wallonie ou de la Société wallonne du crédit social est un prérequis. Il s’agit de s’assurer de la capacité d’emprunt du candidat acquéreur. Lors de la constitution du groupe, une participation est fixée de commun accord par tous les membres. Dans le groupe qui vient de se clôturer chez nous, elle était de 75 euros par mois. L’objectif de cette épargne est à la fois de créer de la solidarité entre les membres et d’instituer une dynamique d’épargne aux familles, qu’elles deviennent ou non propriétaires par la suite. Pourtant être membre d’un GECS ne garantit pas de devenir propriétaire puisque de nombreux obstacles peuvent être rencontrés lors du parcours d’achat. Une situation professionnelle qui change, des difficultés familiales qui surgissent (dettes, déménagement, décès) ou un bilan financier trop faible peuvent expliquer les raisons d’un rêve non abouti. Des réunions se tiennent mensuellement et sont animées par des intervenants extérieurs ou par les membres eux-mêmes appuyés par la coordination de l’asbl. Les participants sont sensibilisés à toutes les démarches liées à l’acquisition : recherche et visite de logements, budget, copropriété, démarches juridiques, primes énergies, etc. C’est un moment aussi pour partager les difficultés et les succès, et surtout se motiver. Car, au-delà de l’aspect financier, le but à la fin d’un cycle est de voir les membres devenir propriétaires ou avoir suffisamment de connaissances pour le devenir. Un GECS offre la garantie d’être vraiment prêt à contracter un emprunt, et donc à acheter. Ses membres sont conscientisés aux enjeux d’une procédure d’achat et sont accompagnés pendant tout le processus de recherche d’un bien et son acquisition. Un référent bénévole ainsi qu’une asbl coordinatrice leur apportent un soutien au plan administratif et juridique, en collaboration avec des partenaires tels qu’un cabinet notarial, le CIRé, le réseau Habitat. Habitat et Humanisme a la spécificité de recourir à des bénévoles compétents dans toutes les matières touchées par l’achat : architecte, banquier, courtier, ancienne direction d’agence immobilière sociale… Ils sont présents à chaque étape du projet. Ce mode de fonctionnement développe le pouvoir d’agir des familles, des individus, crée des liens entre tous les acteurs. Cela nourrit de riches échanges entre les familles sur leurs besoins respectifs, envies et capacités. Chaque GECS se choisit aussi un nom : « Bâtir ensemble », « Tous pour toit », « La détermination ». Tout ceci dans le but de créer une dynamique vertueuse qui servira au groupe et à chacun. Les GECS d’Habitat et Humanisme sont actuellement organisés à Bruxelles, mais ils permettent aussi de devenir propriétaire en Wallonie. Sur les septante-trois familles qui y ont participé, trente-cinq ont déjà franchi le pas… de leur propre porte.  Apprendre à acheter Rogeria Santos a d’abord consulté sa banque, qui lui a directement opposé un refus vu qu’elle n’avait pas d’argent de côté. « C’est dur à encaisser », dit-elle. Puis elle a eu connaissance du GECS par une amie qui avait acheté un appartement grâce à ce système. « Les loyers sont très chers et j’avais aussi envie de devenir propriétaire, poursuit-elle. Mais avec quatre enfants, c’est compliqué de trouver quelque chose d’abordable. » Sa candidature au démarrage d’un nouveau groupe a été acceptée il y a deux ans. Elle a fait un bilan de revenus au Fonds du logement, qui a estimé son potentiel d’achat à 215 000 euros. Rogeria enchaine les visites. « C’est très compliqué quand on a l’espoir, mais pas les moyens. J’étais seule à chercher cet appartement ; mon mari, lui, il n’y croyait pas. L’aide du bénévole de l’association est très importante. Dans mon cas c’était Natacha, qui est architecte. Quand je flanchais, quand je pensais abandonner, c’est elle qui cherchait pour moi. Et la solidarité d’Habitat et Humanisme est aussi très importante. L’association aide ceux qui n’ont pas les moyens… et parfois pas le courage. On avance ensemble : des membres du groupe parviennent à acheter, d’autres le feront plus tard. L’épargne mensuelle, si ce n’est pas pour moi, c’est pour quelqu’un d’autre. Dans un groupe comme ça, il ne faut pas être égoïste. » Enfin, elle repère un appartement dans ses cordes et qui lui plait. Natacha l’accompagne pour la seconde visite. En professionnelle du bâtiment, elle examine tout. « Elle m’a dit : on va faire une offre et on verra. Et ça a marché ! On a signé le compromis et puis on a attendu l’avis du Fonds du logement… » Rogeria rembourse aujourd’hui un crédit de 830 euros par mois. « On y arrive, assure-t-elle. On est capable d’épargner pour acheter, il faut juste trouver un moyen et le groupe le permet. » En deux ans, elle n’a raté qu’une seule réunion du GECS. « J’y ai appris tellement de choses, dit-elle avec reconnaissance. Même si on ne devient pas propriétaire tout de suite, on se forme pour acheter peut-être plus tard ; c’est de l’éducation à la consommation. » Son conseil ? Rester réaliste. « On a tous des rêves en tête, un quartier idéal… Moi je voulais un rez-de-chaussée avec jardin et bien non, je suis au deuxième étage ! » Son nouvel appartement lui coûte certes plus cher que celui qu’elle louait auparavant, mais il comporte trois chambres, une salle de bains et une salle de douches, un grand hall, un double séjour, une cuisine, deux terrasses et une cave. « Avant, à six, on vivait sur quarante mètres carrés. » 

Documents joints

  1. http://habitathumanisme. be.
  2. 400 toits, https://400toits-daken.com/

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°87 - juin 2019

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