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Namur, Saint-Ghislain, Etterbeek. Trois maisons médicales (parmi de nombreuses autres…) consacrent une partie de leur énergie à améliorer les conditions de logement de leurs patients et des habitants de leur quartier.

Michèle Parmentier est assistante sociale à la maison médicale du Maelbeek, à Etterbeek. Dans ses consultations, elle voit bien que la situation des locataires se détériore. Des bailleurs qui n’acceptent pas de faire les travaux ou les réparations nécessaires, qui font pression sur les locataires pour qu’ils s’en aillent – et pouvoir ensuite augmenter les loyers – et qui ne procèdent pas toujours de manière très légale. « On est confronté au mal loger, dit-elle. Des familles qui vivent dans des logements trop petits et qui ne trouvent pas mieux dans le privé, des démarches terriblement longues pour obtenir un logement social, des personnes âgées fragilisées qui ont besoin d’un soutien juridique, des gens mal informés de leurs droits et qui sont prêts à déménager pour éviter la confrontation… » Depuis une quinzaine d’années, la maison médicale du Maelbeek fait partie de la coordination sociale d’Ixelles dont le territoire jouxte le sien. Cette coordination est portée par plusieurs associations sous la houlette d’Habitat et Rénovation, une asbl dont les objectifs sont l’insertion par le logement, l’amélioration de l’habitat et l’aménagement de l’environnement urbain. C’est aussi une agence immobilière sociale (AIS). Ensemble, ces partenaires gèrent cinq logements de transit. « Ils sont réservés à des personnes seules ou à des couples avec un enfant en bas-âge qui se retrouvent sans logement, et parfois à la rue, qui sont hébergées à gauche et à droite, qui n’ont parfois plus de documents d’identité en ordre, qui n’ont plus d’adresse officielle et qui ont des difficultés à faire valoir leurs droits. » L’AIS met en location des studios pour une durée de quatre mois, voire un de plus si leurs démarches pour trouver un logement pérenne sont sur le point d’aboutir. « Les critères d’attribution ont été déterminés ensemble », précise Michèle. L’AIS verse le loyer aux propriétaires et, de leur côté, les associations lui garantissent que les locataires la paieront en retour. Michèle assure l’accompagnement social de ses candidats durant leur séjour. « Je les aide à se remettre en selle, explique-t-elle, à mettre leurs papiers en ordre, à tout faire pour retrouver des revenus réguliers, à constituer leur garantie locative… » La maison médicale du Maelbeek porte aussi un autre projet d’envergure : un GECS, un groupe d’épargne collective et solidaire. Les candidats à l’acquisition d’un logement sont regroupés dans une association de fait, ils doivent avoir la capacité d’épargner régulièrement (en versant sur le compte de l’association un montant qui servira à compléter l’acompte en cas d’achat, ou qu’ils retrouveront à la fin du projet s’ils ne sont pas devenus propriétaires). Le GECS d’Ixelles, mis en place dans le cadre d’un contrat de quartier durable a permis à la maison médicale de faire sa première expérience. « On a proposé à des patients d’entrer dans le groupe et de les accompagner pendant les deux ans et demi que dure ce projet. Nous avons participé à toutes les réunions avec les familles, nous les avons accompagnées dans leurs démarches de prospection, de visite, de contact avec le notaire, avec les banques. » Il y a quelques mois vient de se terminer un second GECS, le GECSEtt, que la maison médicale du Maelbeek a elle-même mis en œuvre au sein d’un autre contrat de quartier durable, à Etterbeek cette fois. « Nous avons reçu des moyens financiers pour engager un animateur et l’accompagnement des familles était assuré par des bénévoles, explique Michèle Parmentier. Pour ma part, j’étais chargée des guidances budgétaires. » Des partenaires extérieurs complétaient l’offre d’encadrement, d’information et de service : le CPAS a mis à disposition sa table du logement permettant aux membres de prospecter et rechercher des biens, Habitat et Rénovation des architectes pour éclairer les bénévoles et les membres sur la qualité du bien immobilier en vue et sur les règlements d’urbanisme, la maison de quartier Chambéry son service de petits travaux à petit prix. Le GECSett s’est clôturé en septembre 2018 : « 30 à 50 % des familles ont acheté un logement. Ce n’est pas mal, commente Michèle Parmentier, sachant que ça devient difficile de devenir propriétaire à Bruxelles. » En matière de logement, les actions sont individuelles, mais aussi éminemment communautaires. « On fonctionne avec les moyens du bord, dit-elle. Quand une opportunité se présente, on tente de s’en saisir. Travailler au cas par cas est nécessaire bien entendu, mais je pense aussi que les maisons médicales ont une place en tant qu’intervenant sur un territoire. »

Mon quartier, ma vie

Quand la maison médicale du quartier des Arsouilles s’est ouverte en 2000 à Namur, l’équipe s’est vite rendu compte que les problèmes rencontrés par les patients débordaient du domaine strict de la santé. L’habitat (conditions de logement, environnement urbain, social, culturel) paraissait délabré, insalubre et générateur d’une sorte d’état dépressif collectif. L’hypothèse était que ces conditions de vie empêchaient les habitants de se soucier correctement de leur santé. En 2005, le projet « Logement, santé et développement » est lancé. « Il s’agit d’élaborer collectivement un diagnostic communautaire à propos des conditions d’habitat dans le quartier et d’impulser un début de mobilisation de toutes les catégories d’acteurs du quartier : population, monde associatif, politique », explique Mathilde Hubermont, animatrice en santé communautaire à la maison médicale. La porte d’entrée choisie pour mener ce diagnostic est l’habitat au sens large et ses liens avec la santé. Si la population accueille assez favorablement la démarche, on constate qu’elle n’est pas prête à se mobiliser sur les liens, hypothétiques ou avérés, entre logement familial et problèmes de santé. « Reconnaitre l’insalubrité n’est pas facile, de même que ses effets sur leur santé, poursuit Mathilde Hubermont. Par contre, les habitants montrent un réel intérêt à analyser les problématiques liées à la vie sociale et associative dans le quartier et se montrent plus enclins à se mobiliser sur cet axe-là. » Des groupes de travail mixtes se mettent en place et des premières actions communautaires sont menées dans pour tenter d’améliorer les conditions de vie collective et l’image du quartier. La démarche ayant amené à penser le développement communautaire dans une perspective de long terme, le développement d’un organe de concertation de quartier permanent se révèle nécessaire, et une asbl (Coquelicot, pour Concertation Quartier Lien Coordination) est créée pour la faire fonctionner. « Elle rassemble aujourd’hui plus d’une trentaine d’associations, des pouvoirs publics et des habitants. La maison médicale y a sa place au même titre que les autres acteurs du quartier. De nombreux partenariats y sont nés, de nombreuses actions communautaires y sont réfléchies et menées, la mobilisation et la participation des habitants se sont également renforcées. » Récemment, la question du logement a réapparu. De nouveaux aménagements (rénovation des anciennes casernes, installation du palais de justice), l’apparition de nombreux kots et une augmentation des loyers ont poussé des habitants à déménager. À la question d’un logement de qualité s’est ajoutée celle de l’accessibilité pour les familles et les personnes à bas revenus. « Trois niveaux d’actions ont été envisagés, développe Mathilde. Le premier est politique : le logement est une problématique collective qui relève de choix politique. Il est essentiel de mobiliser la population pour porter un discours collectif : plaidoyer, ralliement à un mouvement plus global de revendication pour un logement accessible à tous, mais aussi rencontre avec des échevins pour transmettre nos préoccupations et attirer l’attention sur le quartier. » Le deuxième est collectif : comment s’organiser ensemble pour favoriser l’accès à un logement décent, voire l’accès à la propriété ? Rachat de bâtiments par des associations, habitats groupés, Community land trust (les habitants sont propriétaires des briques, pas du terrain), etc. Le troisième axe est individuel : l’idée est de créer une permanence logement dans le quartier qui puisse recevoir les demandes et les questions des habitants. « Bien qu’il existe une offre de services à Namur pour renseigner la population en matière de logement, elle est sous-exploitée constate l’animatrice. Les hypothèses sont nombreuses. Certains ne sont pas au courant ou ne savent pas où aller, d’autres se méfient ou sont défaitistes – administrativement, c’est souvent le parcours du combattant et les personnes préfèrent abandonner surtout si elles ne sont pas accompagnées. » Il y a donc un travail important à faire pour informer, relayer et accompagner les personnes dans le domaine du droit au logement. « Cette permanence répondrait principalement à des demandes individuelles, mais, et c’est très important pour nous, aurait aussi une dimension collective : lieu d’expression, d’échange, de mise en commun, etc. »

Faire débat

Gaspard a vécu galère sur galère, trouver un logement avec ses enfants n’a pas été facile, Édith possède une maison ouverte à tous, elle héberge ceux qui sont dans le besoin, Mme Marjolaine est assistante sociale et, comme elle dit, « elle fait ce qu’elle peut », M Armand dirige Les Capucines, les résidents ont l’air d’y être heureux, Dodo la Clé est un propriétaire véreux, il ne veut surtout pas d’ennuis avec ses locataires… Ces quelques situations sortent tout droit du spectacle « Un p’tit coin de parapluie » animé par le Théâtre du Copion, avec qui la maison médicale l’Atlante est lancée depuis quelques années dans une collaboration, au même titre que le plan de cohésion sociale de la ville de Saint-Ghislain et le Réseau social urbain de Mons-Borinage (RSUMB). C’est un projet de théâtre-action qui met le logement en débat. Orchestré par les animateurs du Théâtre du Copion, il est construit à partir des témoignages de personnes ayant été confrontées aux difficultés de logement ou vivant dans la précarité (maison d’accueil, logement de transit, hébergement d’urgence, etc.), ainsi que des services impliqués dans la problématique du logement. « Cher et en mauvais état », c’est le constat que fait Sandra Cocchiola, assistante sociale à l’Atlante, de la plupart des logements sociaux alloués aux personnes bénéficiaires. Avec son équipe de soignants, elle dresse ainsi le tableau des pathologies fréquemment rencontrées : « Tout ce qui est lié au froid, et surtout à l’hygiène. Un gros manque d’installations sanitaires, qu’il faut partager avec d’autres locataires. Des infections respiratoires, des affections dermatologiques… sans oublier des troubles en santé mentale comme le stress, la dépression, etc. Ce sont des situations fréquentes que les médecins rencontrent dans notre patientèle et dont on a eu l’occasion de discuter pour alimenter les échanges – avec d’autres acteurs du réseau local – qui ont suivi la représentation du spectacle. » D’autres éléments interviennent aussi, comme les facteurs environnementaux. « On n’a pas la même santé en zone rurale ou en zone urbaine, dans une tour ou une cité tranquille avec son petit jardin. Près de la moitié des personnes que je reçois en service social évoquent une difficulté liée à leur logement. Souvent, il est mal entretenu par le propriétaire : humidité et champignons qui recouvrent les murs, trous dans les châssis et courants d’air permanents, chasse des toilettes qui ne fonctionne pas, arrivée d’eau chaude chaotique… »

Agir individuellement et collectivement

La pratique quotidienne de Sandra Cocchiola met en lumière les liens entre la santé et les déterminants non médicaux de la santé. « La santé est l’état global de bien-être, rappelle-t-elle. Et tout élément a une incidence. Le logement, c’est un cocon. On ne peut rien faire si on n’a pas un endroit pour se poser. » Elle remarque aussi qu’il n’est pas facile de reconnaitre qu’on est mal logé. « Les gens tirent sur la corde et ça ne se voit pas, et puis ils ont leur fierté. » Elle souligne encore la difficulté de travailler sur cette problématique. « Clairement, dit-elle, ça ne dépend pas de nous. On n’est pas détenteur des décisions, du pouvoir de gestion des logements publics ou privés. Le sujet est complexe, mais il devient urgent de faire quelque chose… » Et pourquoi pas au départ d’une maison médicale ? « Les patients viennent chez nous depuis des années, ils ont confiance en nous et nous, nous avons d’eux une vision globale, dit Michèle Parmentier. Un assistant social en maison médicale peut être une interface entre les différents services et permettre aux habitants de renforcer leurs droits. Ce n’est pas si facile de s’en sortir tout seul. »

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°87 - juin 2019

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