Reprise d’entreprise par les travailleurs : se réapproprier notre avenir ?
Adam Fabrice
Santé conjuguée n° 57 - juillet 2011
Réappropriation, émancipation, citoyenneté : la reprise d’entreprise par le personnel… une possibilité pour les salariés de reprendre leur destin en main et une solution pour les patrons transmettre leur entreprise.
Idée farfelue ? Doux rêve ? Mise en oeuvre difficile voire impossible ? Et pourtant 376 sociétés de ce type représentant plus de 6.600 emplois ont été transmises à leurs salariés en France ces dernières années. D’ici 10 ans, la moitié des dirigeants d’entreprise va remettre son entreprise. Parce qu’âgés de plus de 55 ans, ces entrepreneurs doivent préparer leur succession. Bien souvent, ils ne pensent pas à des repreneurs potentiels, qui sont pourtant très proches d’eux : les salariés. La transmission d’entreprise au personnel peut répondre à des préoccupations concrètes : trouver un repreneur, préserver l’emploi, maintenir l’indépendance de l’entreprise, assurer la continuité du business. Dans le même temps, certaines entreprises sont liquidées ou démantelées car jugées trop peu rentables. Si l’entreprise est en bonne santé, que le marché est porteur et que l’outil est fonctionnel, pourquoi les salariés ne pourraientils pas reprendre eux-mêmes l’activité ? Que ce soit une démarche de transmission, réfléchie et voulue par le chef d’entreprise, ou une reprise dans l’urgence, suite à une décision juridique brutale, le personnel est toujours à la croisée des chemins. Comment se positionne-t-on face à ces évènements ? Est-on prêt, individuellement et collectivement, à se mobiliser pour (re)prendre les choses en main ? Cette démarche trop peu souvent envisagée en Belgique peut être intéressante à mener. C’est en effet une opportunité pour se réapproprier l’entreprise. Quelle forme cela peut-il prendre ? La transmission d’entreprise vers les salariés peut s’envisager de différentes manières. D’abord, la transmission peut être soit complète, quand les salariés reprennent seuls l’entièreté de l’entreprise, soit partielle, quand les membres de la famille, des invests ou des actionnaires « conventionnels » sont également de la partie. Ensuite, les salariés deviennent directement actionnaires de la société ou créent ensemble une coopérative qui devient actionnaire de la société reprise. Quels sont les avantages ? La transmission d’entreprise aux membres du personnel est une solution qui présente cinq avantages. • Le repreneur est bien connu, puisque le patron connait ses salariés, ce qui permet de travailler en confiance sur les conditions de la reprise. • Ce mode de transmission permet de maintenir l’indépendance de gestion de la société, de préserver son projet industriel, de conserver le centre de décision en Belgique. Cela peut donc contribuer à maintenir l’emploi. Pour un patron d’entreprise, transmettre son « bébé » à ses salariés sera peut-être plus facile que de le céder à un concurrent de longue date… • Un changement de point de vue s’opère chez les salariés qui, de « presse-boutons », peuvent devenir de réels « intrapreneurs » Santé conjuguée – juillet 2011 – n° 57 35 vers un monde en santé La face cachée du changement (entrepreneurs au sein de l’entreprise). Ils peuvent ainsi se réapproprier leur entreprise. Une dynamique nouvelle se développe pour redéfinir l’organisation du travail, le processus de production, etc. • L’entreprise pourra disposer d’arguments supplémentaires dans le cadre de recrutement de personnel, notamment dans les secteurs en pénurie de main-d’oeuvre. • La qualité du dialogue social est accrue au sein de l’entreprise. Est-ce toujours une bonne solution ? La transmission d’entreprise au personnel est une option possible, parmi d’autres. Elle n’est pas toujours la meilleure solution. Mais elle mérite d’être étudiée, sachant qu’il est assez difficile aujourd’hui de trouver un repreneur externe, qui présente toutes les garanties, autant au niveau financier que pour la pérennité de l’activité. Pour que l’option soit valide, certaines conditions doivent être réunies au niveau du personnel, du modèle d’activités, de l’actionnariat actuel. Conditions qui peuvent être vérifiées par des professionnels. Le site web réalisé par l’équipe REDDI propose quelques questions-réponses pour déterminer la manière dont la thématique peut être abordée. Qui peut accompagner cette démarche ? Quatre agence-conseil en économie sociale (Credal Conseil, Fédération belge de l’économie sociale et coopérative – Febecoop, Solidarité des Alternatives Wallonnes et Bruxelloises – SAW-B, SYNECO) se sont rassemblées pour porter le projet REDDI, qui propose d’accompagner les entreprises (patrons et/ou travailleurs) dans le processus de reprise/transmission d’entreprise. Ces bureaux de conseil agréés par la Région wallonne sont reconnus pour leur expertise dans la création de coopératives de salariés. L’équipe REDDI peut ainsi informer, outiller et accompagner les patrons cédants ou salariés candidats intéressés par la formule.À voir : « Entre nos mains », un film de Mariana Otero (2010) Pour sauver leur emploi, des femmes décident de reprendre le pouvoir dans leur entreprise de lingerie en créant une coopérative. Au gré des épreuves et des rebondissements, elles découvrent avec bonheur et humour la force du collectif, de la solidarité et une nouvelle liberté. http://diaphana.fr/film/entre-nos-mains
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Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 57 - juillet 2011
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