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Quelle place pour l’associatif subventionné en promotion de la santé ?


Santé conjuguée n° 62 - octobre 2012

Comment articuler le terrain associatif et les pouvoirs publics ? Alain Willaert apporte un éclairage sociopolitique aux débats en cours dans le secteur de la promotion de la santé.

En juin dernier, le Cabinet de la ministre Fadila Laanan conviait le secteur de la promotion de la santé à prendre connaissance à la fois des résultats d’une évaluation externe affichant l’ambition d’un scan minutieux du secteur et d’un plan de réforme élaboré en réponse à cette évaluation. La volonté ? Évaluer les différents éléments constitutifs du dispositif de la politique de promotion de la santé en Communauté française, les programmes communautaires quinquennaux et opérationnels, les services agréés et les dispositions décrétales. Ce rapport d’évaluation a cependant suscité un conflit en convoquant ce vieux débat des rapports entre société civile et pouvoirs publics, au travers des mécanismes de concertation sociale et des principes énoncés par la charte associative. Preuve du malaise : celle-ci ne connait toujours pas d’arrêté d’application…

 

Un audit qui ne dit pas son nom…

 

Dans le chef des évaluateurs, i l s’agissai t de cont r ibuer à l’amélioration du dispositif de la politique de promotion de la santé et de la médecine préventive. Pour ce faire, ils se sont focalisés sur la cohérence des compétences en matière de santé, mais aussi sur la transparence et la lisibilité des dispositifs, la transversalité dans l’exercice des compétences, l’organisation et les structures, la pertinence des moyens opérationnels et le pilotage du dispositif dans son ensemble. Prévue par la déclaration de politique communautaire 2009-2014, cette évaluation du décret du 14 juillet 1997 avait aussi été demandée par le Conseil supérieur de promotion de la santé, mais plutôt sur le mode de l’autoévaluation. Une option non retenue par la ministre chargée de cette matière. À la lecture de l’imposant rapport (131 pages), le journaliste extérieur au secteur ne pouvait qu’applaudir le courage du politique de déposer sur la table (mais sans volonté de le médiatiser) un audit (plus qu’une évaluation) qui le malmenait quelque peu. Il en dénonçait en effet avec force le morcellement des compétences institutionnelles, rendant ainsi laborieuse la nécessaire transversalité des actions.

Le but réel de l’évaluation ?

Au sortir de la séance d’information cependant, une question relative au timing demandait approfondissement : présenter un projet de réforme dans la foulée des résultats d’une évaluation. À l’habitude, un rapport d’évaluation est considéré comme base de travail sur laquelle bâtir du neuf, ou à tout le moins améliorer l’existant, en concertation (c’est une bien belle tradition belge) avec les forces vives du secteur concerné et les partenaires sociaux. Point de cela ici. On pouvait donc se poser la question de l’instrumentalisation de la recherche pour légitimer un projet de réforme préexistant. Nous avons appris, par la suite, le désengagement d’experts extérieurs du comité d’accompagnement en raison de divergences de vues sur l’utilisation et l’interprétation des données récoltées. L’ébullition actuelle du secteur de la promotion de la santé montre la pertinence de cette question de timing. Le Collectif des acteurs en promotion de la santé – une fédération en devenir ? – vient de boucler une minutieuse analyse du rapport et du projet de réforme. Que dit-elle ? Que du point de vue de l’échantillon des institutions consultées par questionnaire, le contenu de ce rapport ne peut en aucun cas constituer une base suffisante pour engager une réforme à la hauteur des besoins de la population et des professionnels. Et si, globalement, le collectif s’accorde avec les auteurs de l’étude sur les défis que doit relever le secteur de la promotion de la santé et les leviers qui lui permettent de le faire, il relève que la réorganisation proposée apparaît en totale contradiction avec ceux-ci.

Les objections du Collectif

Pour faire court, le Collectif : • reproche au Cabinet Laanan d’avoir confondu consultation et concertation ; • déplore une planification top down qui risque de faire basculer la promotion de la santé dans un cadre vertical trop rigide pour être opérationnel. « On se dirige vers un modèle de contractualisation des projets par le biais d’appels d ’ o f f res reposant sur des critères économiques. […] La recommandation relative à la mise en place d’un organisme centralisé répondant aux questions priorisées par le politique risque de grever l’autonomie (stratégique et opérationnelle) des acteurs. Cette centralisation est en outre en contradiction avec le fait que l’évaluation et les recommandations prônent la nécessaire autonomie des acteurs et des secteurs. Au final, ce type de planification risque de conduire à un appauvrissement des fonctions telles que par exemple la recherche dont les choix d’étude, la méthodologie et les priorités ne seront plus décidées par les chercheurs et le terrain ».

 

Une Charte associative impunément bafouée

 

Le 30 mai 2008, le Gouvernement conjoint « Communauté française – Commission communautaire française – Région wallonne » adoptait en première lecture la Charte associative qui jette les bases d’une redéfinition des rapports réciproques qu’entretiennent État et associations. Par cette Charte, les pouvoirs publics énoncent un ensemble de principes et prennent une série d’engagements. Nous n’en évoquerons que quatre d’entre eux pour les confronter au mode relationnel qui semble s’être noué entre le pouvoir politique et le secteur associatif de la promotion de la santé : • les associations sont une richesse créatrice de richesses : richesse économique, détection de besoins nouveaux au sein de la population, renforcement de la solidarité et de la cohésion sociale, rôle de relais entre le citoyen et les pouvoirs publics. • les pouvoirs publics reconnaissent et encouragent la liberté d’expression des associations et notamment l’exercice de leur capacité critique. • les pouvoirs publics soutiennent les efforts de structuration et de coordination des associations. • la Charte ne porte pas préjudice au modèle de concertation sociale actuel. Si la Charte a un impact sur ce modèle, il ne peut être que positif. Notamment en encourageant les associations à entretenir le dialogue social interne, mais aussi en systématisant le modèle de négociation tripartite dans les secteurs subventionnés. Si cette charte ne connaît pas encore d’application légale, c’est moins dû à la grande technicité que requiert sa mise en place qu’à une profonde divergence idéologique quant à la place laissée à l’associatif subventionné. Un désaccord perdure depuis les années 1980 entre ceux qui prônent la contractualisation, considérant l’associatif subventionné comme un service public fonctionnel, et d’autres qui parlent de subsidiarité, et donc d’un associatif partenaire dans la réalisation des politiques publiques. Et, sans néanmoins défendre une subsidiarité « hard », à savoir créer un service public aux seuls endroits non investis par l’associatif, la charte reconnaît l’expertise associative et sa capacité d’innovation. Un point de vue qui se marie difficilement avec la mise en place sans concertation d’un modèle top-down. De plus, la réforme inquiète le collectif sur le front de l’emploi. Les associations dans l’expectative seraient contraintes de délivrer des préavis « conservatoires » à nombre de salariés. Voilà qui, à notre avis, demande de prendre langue avec les partenaires sociaux.

 

S’y prendre autrement…

 

Comparaison n’est pas raison, dit le dicton. Il est pourtant intéressant de trouver un contre-exemple légèrement antérieur : les négociations, de mi-2007 à mi-2009, du décret de la Commission communautaire française « relatif à l’offre de services ambulatoires dans le domaine de l’action sociale, de la famille et de la santé » et en application depuis le premier janvier 2010. Il réunit en un seul texte de loi les législations jusqu’alors disparates de 12 secteurs de l’action sociale et de la santé ambulatoire et introduit l’obligation pour chaque association agréée de mener une démarche d’autoévaluation. Dire que l’avènement de ce dispositif fut facile serait un mensonge : il y eut de grandes tensions dont certaines laissent encore des traces aujourd’hui. Mais l’autorité politique a fait ici le choix de la concertation. Il a circonscrit le lieu principal de la négociation au Conseil consultatif ad hoc, composé de représentants des employeurs, des travailleurs, des usagers et d’experts ; il a écouté les parties en présence en restant en retrait, puis est revenu avec des propositions adaptées. Une source d’inspiration pour l’avenir ? Le Conseil bruxellois de coordination sociopolitique asbl (CBCS) constitue une plate-forme de contact entre les principales organisations privées francophones de l’action sociale et de la santé ambulatoire en Région de Bruxelles-Capitale (www.cbcs.be).

Documents joints

 

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 62 - octobre 2012

Les pages ’actualités’ du n° 62

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