Pénurie de médecins et consommation de soins : et Bruxelles dans tout ça ?
Drielsma Pierre
Santé conjuguée n° 62 - octobre 2012
Comme vous l’avez sans doute déjà lu ou entendu, on observe en Belgique une diminution progressive de l’offre relative1 en médecine générale. Un phénomène qui s’observe par ailleurs quasi partout dans le monde. Cette pénurie conduit à une diminution du nombre de contacts par patient, une diminution des visites à domicile et un plus grand nombre de patient par médecin. Paradoxalement, le nombre de patients qui ne fréquente aucun généraliste sur l’année diminue, mais il s’agit probablement d’un effet de la généralisation de la couverture des petits risques à l’ensemble de la population2. Comment donc pallier cette situation et permettre à la première ligne de reprendre sa place ? En particulier en Région de Bruxelles-capitale, où la problématique revêt un habit encore différent…
Le diagnostic de l’INAMI est connu depuis longtemps. Nous pensons même que la situation réelle est encore pire que prévue. En 2008 déjà, le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) avait remis un rapport alarmant sur la faible attractivité de la médecine générale1 et un autre sur les défis démographiques2.Un journaliste du Soir a écrit :« L’INAMI a chiffré la pénurie de médecins généralistes qui s’annonce… (…) Dans 5 ans, 34% des généralistes atteindront l’âge de la pension. Les nouveaux venus dans la profession ne suffisent pas à compenser l’hémorragie (…) 350 à 400 (en moins) par an, alors que l’université en forme de moins en moins (…). De moins en moins d’étudiants s’engagent dans la médecine générale. ». Malheureusement, les deux pistes de solutions proposées sont très en dessous des enjeux de la crise majeure (et internationale) de cette merveilleuse profession : assouplir les quotas (le numerus clausus) afin d’agréer davantage de généralistes et permettre de déléguer certaines tâches aux infirmières. Comment peut-on penser que l’assouplissement des quotas améliorera la situation alors que ceux-ci ne sont pas remplis, du fait de candidats spécialistes (déjà trop nombreux) qui s’insinueront dans le système. Les professeurs de médecine générale en Flandre sont d’ailleurs intervenus dans ce sens3. Le graphique ci-dessous est démonstratif ! On aimerait savoir en quoi une remontée des quotas (ligne horizontale) permettrait à la médecine générale (ligne brisée) de mieux se porter. La situation est encore pire en Flandre ! Les solutions se situent ailleurs ! Le KCE y a pensé, nous aussi. Un enjeu essentiel est de revaloriser la médecine générale au sein même des facultés de médecine. Pour ce faire, il est nécessaire de revoir le contenu des cours, d’organiser des stages de qualité dès les premières années d’étude et de cibler les étudiants avec une affinité pour la médecine générale. On pourrait multiplier par dix les chaires de médecine générale ainsi que le financement à la recherche en médecine générale pour s’aligner sur la médecine spécialisée ; le statut de la première ligne de soins à l’université doit être égale à celui de la seconde ligne.
Tout passe par une revalorisation de la médecine générale
La revalorisation de la médecine générale va devoir également passer par une amélioration des conditions de travail. Aujourd’hui, beaucoup trop de médecins généralistes quittent la profession après quelques années de pratique. Des possibilités d’interruption de carrière sont à envisager, mais qui financera ? Des possibilités de temps partiels pourraient éviter les burn-out, mais en pratique solo ce n’est pas facile. L’organisation en maison médicale permet plus facilement de le faire. Des services de garde bien organisés sont progressivement mis en place. Aujourd’hui, des mesures de soutien aux pratiques en association et à l’installation dans des zones en pénurie de médecins généralistes existent. Mais ces financements sont en danger suite à la réforme institutionnelle et aux transferts de compétences vers les communautés (surtout du côté francophone). Soulignons également la nécessité d’analyser et d’adapter les différences de revenus entre spécialités. Les données dont nous disposons permettent de penser que le revenu moyen du médecin généraliste est proche du psychologue salarié alors que son temps de travail est sans doute plus élevé. Par ailleurs, les comparaisons de revenus effectuées avec les pédiatres et les psychiatres ne sont pas pertinentes. En effet, aucun de ceux-ci ne réalisent de visites à domicile et le plateau technique du psychiatre en cabinet est symbolique. Les frais professionnels du médecin généraliste sont bien supérieurs. On pourrait dès lors proposer de porter les revenus de la médecine générale au niveau de la médiane des revenus spécialisés. On propose aussi le partage du travail avec d’autres professionnels. Ce processus est déjà avancé dans d’autre pays. Mais outre le fait que la faible attractivité/rétention de la profession infirmière a déjà été questionnée, il faut veiller à ne pas trop fragmenter le travail de la première ligne. Quoiqu’il en soit, les diététiciens, psychologues, assistants sociaux, accueillants, éducateurs en santé, etc. seront les bienvenus…
La situation particulière de Bruxelles
À Bruxelles, non seulement la pénurie relative existe mais l’offre ne correspond pas parfaitement avec la demande4. La Mutualité chrétienne de Bruxelles s’en est d’ailleurs inquiétée : « Les Bruxellois consomment moins de soins de santé que les autres régions. Un déficit qui atteint les 20%. Un Bruxellois sur 4 renonce à des soins médicaux (visite chez le médecin, achat de médicament) ou les postpose pour raison financière. Ce taux n’est que de 14% au niveau national. 17% des Bruxellois ne fréquentent carrément pas de médecin. Et seuls 54% des habitants de la capitale se considèrent très satisfaits de leur médecin généraliste. ». La Mutualité chrétienne souligne que la situation bruxelloise est particulière : « Plus jeune, plus de naissances, plus de variabilité culturelle, plus de pauvres, plus de chômeurs, plus de peu diplômés, plus de reports de soins, une moins bonne santé globale, une vie plus courte, plus de maladies chroniques, plus de problèmes psychologiques, moins d’activités préventives. Un quart de la population bruxelloise vit sous le seuil de pauvreté. Tous les patients qui rentrent dans les critères pour obtenir le statut OMNIO ne le possèdent malheureusement pas. ». Il est donc important d’abaisser le seuil administratif, par exemple en réalisant une attribution automatique de ce statut sur base fiscale. Si les Bruxellois sont moins satisfaits, cela correspond bien au rôle dégradé de la médecine générale dans la capitale plus encore qu’ailleurs. Pléthore d’hôpitaux, pléthore de spécialistes, accessibilité excessive à la deuxième ligne alors que la première se raréfie. En particulier, le nombre important de généralistes qui ont des pratiques différenciées et qui ne jouent plus le rôle de la médecine générale. Ainsi, le paradoxe bruxellois voit des spécialistes tenir le rôle de généralistes et des généralistes restreindre leur champ d’action.
Les maisons médicales contre la bruxellisation des soins de santé
Il est clair que les maisons médicales et les pratiques forfaitaires améliorent l’accès aux soins. Cela est encore noté dans le récent Plan fédéral de lutte contre la pauvreté5 remis à la ministre Maggie de Bock. Un rapport6 de la Mutualité socialiste a bien démontré que les maisons médicales s’installaient dans les quartiers paupérisés, mais qu’en plus, elles accueillent la part la plus pauvre de ces habitants. Comme nous le démontrons cidessous, la consommation de médecine générale dans les maisons médicales est supérieure à la moyenne des pratiques (3,79 contacts/an en maisons médicales contre 2,6 dans la Région). La consommation de soins de médecine générale est effectivement plus faible à Bruxelles qu’en Wallonie (2,6 contacts/an à Bruxelles contre 3,9 en Wallonie), tant au forfait qu’à l’acte. Cela a été observé de façon récurrente. A contrario, on peut dire que les maisons médicales bruxelloises parviennent à rapatrier une partie du soin en première ligne et du coup occasionne un moindre coût en deuxième ligne. La meilleure preuve en est que les médecins généralistes bruxellois de maisons médicales comptabilisent le même nombre de contacts que l’ensemble des médecins généralistes wallons (3,8 contacts dans les maisons médicales bruxelloises et 3,9 contacts de médecine générale en Wallonie). La troisième ligne du tableau démontre que le pourcentage de patient pris en charge est de 7% plus élevé (76 contre 69). Malheureusement, l’agrément de nouvelles maisons médicales est quasi stoppé alors que l’outil semble efficace. La situation budgétaire est difficile, certes, mais une première ligne efficace économise des soins plus coûteux. Le lancement sur fonds propres d’une nouvelle maison médicale est plus délicat. Donc, la crise de l’agrément en Région bruxelloise freine une réponse appropriée au défi de la première ligne à Bruxelles.
La région en panne, les communes à la rescousse ?
Les communes et les CPAS sont en première ligne pour connaître les besoins de leur population. Elles connaissent la précarité et le report de soins. Suite aux carences du budget régional, les communes pourraient transitoirement se substituer à la Région pour faciliter l’implantation de nouveaux centres là où des besoins se font sentir. En Wallonie, les communes de Liège, Frameries, Charleroi, Libin, Aubange et d’autres se sont impliquées en procurant des locaux et certaines facilités. On observe un phénomène similaire à Bruxelles, par exemple dans les communes d’Etterbeek, Saint-Josse et Forest. Les communes bruxelloises ont là un terrain d’action profitable à tous. Cela est évidemment valable pour les communes wallonnes où cela se fait sentir.
Documents joints
- B. Geerts Ch, Lorant V, & al. Médecine générale : « comment promouvoir l’attraction et la rétention dans la profession ? » KCE reports 90B.2008.KCE reports 90B.
- C. Roberfroid D, Stordeur S, Camberlin C, Vande Voorde C, Vrijens F, Leonard Ch, L’offre de médecins en Belgique Situation actuelle et défis.72B. 2008.Federaal Kenniscentrum voor de Gezondheidszorg/Centre fédéral d’expertise des soins de santé. KCE reports.
- Guttierez R, Demaeseneer J. « Imposer le généraliste avant le passage chez le spécialiste », Le Soir 2012 ;5.
- Il ne faudrait pas sacraliser la demande (subjective) par rapport au besoin (objectiviste), mais la satisfaction des usagers est un des critères de qualité des soins.
- Page 41 du dit rapport.
- h t t p : / / w w w. m u t s o c . b e / N R / r d o n l y r e s / 4 E B E 9 8 0 2 – 2 6 D 2 – 4 8 0 E – A 6 1 B – E415EAC40567/0/EtudeUNMS_ Accessibilitedesmaisonsmedicales. pdf
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 62 - octobre 2012
Les pages ’actualités’ du n° 62
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