Les maisons médicales rappellent l’importance des déterminants de la santé
Coralie Ladavid, Marianne Prévost
Santé conjuguée n° 62 - octobre 2012
Contexte : un nouveau décret en gestation. L’évaluation récemment faite sur le secteur de la Promotion Santé à la demande de la Ministre, réaffirme : d’une part l’adhésion à la définition large de la promotion de la santé telle qu’établie dans la Charte d’Ottawa ; d’autre part, que beaucoup d’axes de cette stratégie dépassent les seules compétences du ministère de la santé. Malgré ces principes, la crainte des acteurs exprimée dans le plaidoyer est que le nouveau décret mette en place des dispositifs renforçant des stratégies médico-centrées au détriment de celles qui visent les déterminants de la santé : notamment l’action communautaire qui exige du temps et des moyens tant humains que financiers.
Une telle vision médico-centrée prédominait avant le décret actuellement en vigueur, qui a fait évoluer beaucoup de pratiques. Perdre les acquis du chemin parcouru serait extrêmement dommageable en termes de santé et d’équité. C’est en tant qu’acteurs de santé travaillant dans une optique globale, que nous souhaitons ici rappeler l’importance fondamentale des stratégies axées sur les déterminants non médicaux de la santé.Pourquoi les maisons médicales soutiennent-elles la promotion de la santé ?
Les maisons médicales sont des équipes de soins de première ligne, pluridisciplinaires et proches de la population. C’est à partir de cette place que nous voulons souligner l’importance des stratégies, des activités, qui améliorent la santé sans être de l’ordre du soin curatif ou préventif. Certaines de ces stratégies et activités sont d’ailleurs depuis toujours menées par nos équipes, parce que notre mouvement est basé sur une juste perception des limites des services de santé traditionnels. Ces services sont évidemment nécessaires pour soigner les malades et prévenir certaines pathologies ; leur accessibilité et leur qualité peuvent, et doivent, être améliorées en Belgique. Mais ils sont loin de pouvoir améliorer de manière significative le niveau de santé de la population. En effet, il est aujourd’hui parfaitement démontré que la plupart des problèmes de santé sont inextricablement liés aux conditions de vie : càd à des facteurs socio-économiques, culturels, environnementaux, qui se renforcent mutuellement et sur lesquels les soignants ont peu de prise. Certaines études internationales montrent d’ailleurs qu’à accessibilité égale des services de santé, les inégalités sociales en matière de santé persistent. Ce n’est pas nouveau : si la mortalité par maladies infectieuses a fortement diminué au cours du 19è siècle en Europe, les services de santé n’ont eu qu’un rôle marginal dans cette évolution1. C’est avant tout l’amélioration des conditions de vie qui a eu un impact déterminant. C’est pourquoi, dès le début de leur création, les maisons médicales ont inscrit leurs activités de soins dans la perspective plus large de la promotion de la santé.Prévenir la maladie ou promouvoir la santé ?
Nous tenons à rappeler que ces deux stratégies se différencient et n’appartiennent pas au même niveau. La prévention est un des axes de la promotion de la santé : elle intervient en synergie avec les autres axes de la Charte d’Ottawa pour améliorer le niveau de santé des populations. La prévention vise à empêcher l’apparition d’une maladie (prévention primaire : vaccination par exemple), à en freiner le développement (prévention secondaire : dépistage par exemple) ou à en limiter les complications (prévention tertiaire, intriquée au curatif : suivi des patients diabétiques par exemple). La prévention primaire et secondaire intervient avant que la maladie apparaisse ou soit perçue : Il s’agit de lutter contre des facteurs de risque (agent infectieux, tabagisme, HTA, alcoolisme, surpoids, exposition au plomb,…) associés, de manière relativement directe et causale, à une ou plusieurs pathologies spécifiques. Ces stratégies constituent, en intégration avec les soins curatifs, un « paquet global » indispensable en première ligne. La promotion de la santé ne fait pas nécessairement référence à des facteurs de risque ou à des pathologies précises : elle vise, plus globalement, à agir sur les éléments favorisant l’émergence, le maintien, le développement de la santé : càd sur les déterminants de la santé.Il est difficile d’avoir une alimentation saine lorsque l’argent manque ; de faire de l’activité physique dans les quartiers où il n’y a pas d’espaces verts ni d’infrastructures sportives accessibles ; d’avoir des rythmes de vie réguliers si les conditions de travail ne le permettent pas ; d’éviter le stress et l’isolement lorsque l’insécurité est quotidienne ; de prendre soin de soi si l’on n’a pas accès aux soins, au logement, au travail, etc.Différentes stratégies s’adressent à ces déterminants, elles sont proposées dans la Charte d’Ottawa de l’OMS :
- Elaborer une politique publique saine ;
- Créer des milieux favorables à la santé ;
- Renforcer l’action communautaire pour la santé ;
- Renforcer l’acquisition d’aptitudes utiles à la vie ;
- Réorienter les services de santé.
Les maisons médicales ont besoin de collaborer avec d’autres acteurs
Toute notre expérience montre que les soignants qui prennent en compte les aspects sociaux de la santé quand ils proposent des soins (préventifs et curatifs), souhaitent pouvoir s’appuyer sur et faire alliance avec d’autres acteurs…- pour renforcer le sens de leur travail ;
- pour pouvoir, en concertation, mener des projets et des actions à long terme visant les déterminants de la santé ;
- pour que la situation de leurs patients s’améliore dans les domaines essentiels de leur vie.
En conclusion
La Fédération souhaite vivement…- que le nouveau décret promotion santé et le dispositif en cours d’élaboration restent clairement cadrés par le concept global de la Promotion de la santé. Les 5 axes de la Charte d’Ottawa (cf ci-dessus) doivent structurer le programme et les dynamiques de l’ensemble des acteurs du secteur ;
- que les limites bien réelles des compétences du Ministre de la Santé en Communauté française n’entraînent pas pour autant une vision réductrice de la promotion de la santé ;
- que le secteur Promotion de la Santé ne soit pas réorganisé d’une manière médico-centrée au détriment des axes concernant l’amélioration des conditions de vie : ces axes fondamentaux doivent être particulièrement soutenus ;
- que la transversalité des thèmes et des acteurs soit soutenue dans les dispositifs ; que le secteur ne soit pas réorganisé de manière morcelée, ce qui freinerait l’approche systémique qui est au cœur de la promotion de la santé ;
- que le lien avec les réalités de terrain soit structuré et soutenu en continu; la réelle concertation entre et avec les professionnels est incontournable pour mieux connaître et agir sur les réalités concrètes locales : par essence, la Promotion de la santé s’accommode mal d’une planification venue d’en haut, elle doit être alimentée par des dynamiques de « bottom up » ;
- que la promotion de la santé puisse être mise en œuvre aux niveaux les plus pertinents en fonction des objectifs visés, et que le dispositif en cours d’élaboration permette une réelle complémentarité entre le niveau central et le niveau du terrain, en ce qui concerne l’identification des besoins, les choix stratégiques et l’évaluation.
Recommandations concrètes pour conclure, et en cohérence avec tout ce qui précède. La Fédération des maisons médicales estime :La Fédération des maisons médicales estime également :
- qu’au niveau du ministre responsable de la politique de la santé en Communauté française, le plan d’action et le dispositif en cours d’élaboration devraient comprendre :
- un renforcement de l’action communautaire pour la santé ainsi que le développement des compétences et moyens d’action du public et des professionnels de tous les secteurs concernés par les déterminants de la santé ;
- des concertations formalisées avec les ministères responsables de compétences (domaines) ayant un impact majeur sur la santé (environnement, santé, enseignement, mobilité, logement…).
Cette loi serait mise en œuvre au minimum au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles ; idéalement, elle devrait également s’appliquer à tous les niveaux de pouvoirs, du fédéral au communal. Une disposition « d’impact de développement durable » existe en Wallonie, ce qui montre bien que l’idée n’est pas irréaliste malgré des contraintes institutionnelles importantes.
- que la promotion de la santé, approche par définition transversale, devrait être considérée dans un cadre interministériel. Elle souhaite dès lors que soit déposée une proposition de résolution parlementaire préconisant une « loi santé »2 : c’est-à-dire un système attribuant au ministre de la santé la responsabilité de garantir une politique transversale en matière de santé ; chaque nouvelle mesure étant soumise à l’approbation du ministre de la santé dans une perspective de bien-être global et de lutte contre les inégalités pour la population.
- que le conseil d’avis doit avoir une vision transversale de la Promotion de la santé. Il doit veiller à ce que la Promotion de la santé soit traduite sur le terrain dans le respect de la Charte d’Ottawa. Il doit représenter l’ensemble du secteur.
Documents joints
- Réduire les inégalités en matière de santé par une action sur les déterminants sociaux de la santé, Déclaration OMS 2009. Un appel à l’action pour prévenir les maladies non transmissibles à partir des approches de la promotion de la santé, Union Internationale de Promotion de la Santé et d’Éducation pour la Santé et du Réseau francophone international pour la promotion de la santé (messages clés), 2011. Efficacité de la promotion de la santé, actes du colloque organisé par l’Inpes avec la collaboration de l’UIPES, hors-série, International Union for Health Promotion and Education, 2004.
- Rapport explicatif relatif à la loi fédérale sur la prévention et la promotion de la santé (loi sur la prévention, LPrév) 25 juin 2008 – Office fédéral de la santé publique OFSP Confédération suisse. « L’état de santé de la population suisse, actuellement meilleur que la moyenne en comparaison internationale, ne pourra être maintenu qu’en renforçant les principes de prévention et de promotion de la santé au niveau politique, et en les ancrant plus solidement non seulement dans le système et la politique de santé, mais aussi dans d’autres secteurs politiques (p. ex. politique de l’éducation, politique économique et sociale, politique de l’environnement ». – extrait de l’introduction, page 2.
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 62 - octobre 2012
Les pages ’actualités’ du n° 62
Quelle place pour l’associatif subventionné en promotion de la santé ?
Comment articuler le terrain associatif et les pouvoirs publics ? Alain Willaert apporte un éclairage sociopolitique aux débats en cours dans le secteur de la promotion de la santé.
La santé partout et pour tous. Plaidoyer pour une politique exigeante – Le Collectif des acteurs de promotion de la santé de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Le texte qui suit, écrit et diffusé en décembre 2011 émane d’un large collectif, d’environ 120 acteurs issus du secteur de la promotion de la santé. Réagissant à un projet ministériel visant à réorienter le secteur,(…)
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