Les déclinaisons de l’accueil en social-santé
Isabelle Dechamps, Laurent Bernard, Martin Cauchie
Santé conjuguée n°81 - décembre 2017
Le 6 octobre 2017, par hasard ou par miracle, plus de 350 personnes se sont réunies pour penser les déclinaisons de l’accueil dans ce qu’il reste d’État, ou plutôt son pacemaker, ce qu’on appelle le social-santé. Une journée comme les autres ?
S’il y eut victoire, ce n’est pas tant dans le nombre de nouveaux alliés ou dans la variété de leur fonction que dans la poursuite des nombreux objectifs que le GAF s’est fixé, il y a trois ans, après la bataille des « Assises de l’accueil en maison médicale »1. Ces dernières furent déjà un important moment de partage autour des positions du GAF, fruits de nombreuses années de dynamisme interne et de réflexions tous azimuts en faveur d’une reconnaissance de la fonction, de sa polyvalence, de ses différents rôles et de sa contribution active dans la prise en charge du patient. Suivant Monique Formarier, il était déjà évident qu’il fallait différencier accueil banal et accueil professionnel : « L’accueil n’est pas un acte isolé. Il débute la prise en charge, dans une continuité de soins »2. La matinée s’est déroulée comme un colloque : en ouverture, une présentation éclairante du professeur honoraire de psychopathologie et psychanalyste Roland Gori sur le désenchantement du monde, suivie par une table ronde inter-fédérations sur le commun et les différences de l’accueil chez chacune d’elles, avant une conclusion dialogique entre Pascal Kayaert (Télé-Accueil Bruxelles) et Philippe de Leener (Inter-Mondes) sur les causes des difficultés toujours croissantes de l’accueil, dans et hors les murs de nos institutions. L’après-midi était composé de dix ateliers, ou conférences pédagogiques, destinés à explorer de manières diverses comment penser l’accueil en mettant l’usager au centre de nos questionnements. L’accueil décliné en autant de thématiques était un pari audacieux ; la diversité des contenus a généré de grandes tendances convergentes, au-delà des spécificités et des richesses inhérentes à nos pratiques particulières. Ces recherches feront l’objet de synthèses et de textes pour laisser des traces les plus fidèles possible de tout ce qui a été dit. Nous y avons exploré tant de choses ! Comme les questions autour du genre, autour des valeurs fondamentales et du sens de l’action. Comme les questions autour de la mobilisation pour reconnaître la pratique du care à l’accueil. Comme les caractéristiques de l’accueil en Flandre. Comme la nécessité d’un accueil pensé et partagé par les équipes dans nos institutions et, plus largement, dans une société de plus en plus excluante, un accueil qui fonde un tant soit peu une relation d’aide émancipatrice, bien loin, si loin de l’assistanat ou du fatalisme dans lequel, si nous n’y prenons garde, il pourrait étroitement se confiner compte tenu de nos moyens de plus en plus fragiles, des besoins de plus en plus criants. La journée a produit beaucoup de matière nouvelle. Des défis sont maintenant à notre portée ! Des défis, mais aussi des combats. Car malgré tous ces apports, la première ligne de la première ligne – l’accueil – n’est pas pour autant reconnue à sa juste valeur. Au contraire. Ne serait-elle pas plus que jamais malmenée ? Elle cherche encore des armes pour ne pas tomber dans l’oubli, pour ne pas être remplacée par des machines. Si rappeler le rôle central de l’accueil était le point de départ obligatoire de la journée d’étude, faire advenir l’accueil comme central sur le terrain, autrement dit dans nos vies, est dès lors avant tout une bataille, éthique autant que politique ou professionnelle. Une bataille contre notre civilisation, contre ses lois d’efficacité et de gestion rentable, de mesure et d’évaluation de chaque étant, contre l’individualisme possessif possédé. Peut-être que nous dérangeons ? Le contraire aurait été inquiétant. Mais aujourd’hui, si nous connaissons nos adversaires, nous voyons aussi où sont nos forces.Quatre objectifs mobilisateurs
Tout d’abord, il faut continuer à définir la fonction d’accueillant(e), autrement dit tout faire pour qu’elle ne soit pas définie en trois lignes ou en quelques indicateurs, nous organiser pour l’écrire à la fois dans ce qu’elle a de spécifique et dans ce qui la relie aux autres secteurs, en intégrant les questions et pistes issues de la journée. En voici quelques-unes : qu’entend-on par inconditionnalité de l’accueil, ou plutôt l’assume-t-on entièrement ? Peut-on encore parler d’autogestion alors que de plus en plus d’accueillant(e)s ne sont même plus invité(e)s aux réunions de coordination clinique ? Comment accueillir la non-demande, ou plutôt comment recevoir adéquatement ceux qui ne souhaitent pas être intégrés, réinsérés ? Comment accueillir et donner quelque force à ceux qui ne rentrent dans aucune case ? Comment réussir le difficile équilibre entre qualité de la démarche et quantité de tâches à accomplir ? Autre objectif à poursuivre, celui de poser les contenus minimaux (gestes, dispositifs, pratiques et paroles) en vue de la création d’une formation d’accueillant(e). Créer cette formation est assurément désirable et en même temps extrêmement difficile parce qu’il ne faut pas réduire cette fonction d’une polyvalence rare à un simple référentiel. Comment définir la fonction sans négliger les innombrables pratiques difficilement évaluables et pourtant essentielles : identités professionnelles en acte et donc en évolution, art de l’argumentation dans les situations sociales difficiles, art de la juste critique des normes éthiques et déontologiques ou tout autre débordement des savoirs refroidis3. Il faut ne laisser personne de côté : nous nous attachons à l’écrire en fonction du désir des accueillant(e)s des différentes fédérations, pour garder le lien si précieux avec le travail de terrain, mais aussi en concertation avec les différentes instances concernées. Du point de vue théorique, l’atelier sur le care constitue l’un des points névralgiques de cette éventuelle formation et tâche de répondre principalement à la question : faut-il traiter tout le monde de la même manière ou faut-il traiter chacun dans et à partir de ses différences ? Est-ce possible de faire les deux en même temps ? Nous ne savons pas, nous ne sommes pas d’accord entre nous. Si nous ne cessons d’apprendre, c’est avant tout que le concept de care n’a pu naître que dans un monde où la maltraitance est devenue la norme, monde où les hommes ne prennent plus assez soin les uns des autres, même de leurs proches, principalement parce qu’ils considèrent leurs semblables comme des instruments pour se valoriser, et par là même pour s’augmenter eux-mêmes en tant qu’instruments. Au sein de ces rapports sociaux, nous posons que nous sommes tous vulnérables et malades, que nos maladies mentales sont incurables. À partir de là, aucun soin n’est absolu, la guérison ne peut plus être l’objectif. À partir de là, prendre soin c’est aussi soigner. Oui, les accueillantes soignent aussi, bien entendu pas comme un médecin ou un kinésithérapeute. Le geste d’accueillir, en puissance, soigne. Accueillir désirablement, selon nous, n’est pas seulement recevoir et écouter l’autre, mais l’écouter et le recevoir en tant qu’autre, autrement dit, non pas à partir des règles, principes et idéaux de nos institutions, mais bien à partir du récit de sa vie. Il n’y a qu’en laissant les patients se raconter en mondes que nous les considérons avec un minimum de dignité. Même si ce geste s’apparente à une disposition chez certains, nous sommes persuadés, pour tous les autres, qu’il s’apprend et par là même qu’il est le cœur de cette future formation. Accueillir serait laisser le temps aux patients de dessiner plusieurs souffrances en mondes auprès d’un non-expert, l’accueillant(e). Et si ce n’est pas à proprement parler accomplir la santé globale, c’est assurément un moyen pour s’en approcher. Ne pas mettre de point final après le dévoilement du premier symptôme, ne pas imposer directement le traitement ou le professionnel adéquat, tout faire pour que les usagers décident par eux-mêmes, deviennent autonomes, reprennent peu à peu du pouvoir sur leur vie, leurs projets de monde, leur fragile destinée. Notre troisième objectif fut et est encore d’améliorer la pensée, la solidarité, les pratiques en matière d’accueil des différents secteurs de l’ambulatoire grâce aux rencontres inter-fédérations, plus particulièrement grâce aux partages de récits et de travaux de chaque fédération. Cet objectif ne cesse de s’accomplir et nous le poursuivrons. Notre dernier objectif, le plus important, c’est de revaloriser la fonction, de la faire reconnaître par les autres professionnels de la santé, de leur rappeler leur tâche d’accueil (inhérente à chaque rencontre), en d’autres termes opérer une transformation subjective des travailleurs et de leurs équipes, touchés de près ou de loin par ce processus. La journée du 6 octobre fut importante, car elle a pu mettre en évidence la nécessité de partager entre « collègues » des équipes et ce, dans tous les secteurs. Mais c’est avant tout au quotidien que cela se passe.D’où nous venons, vers où nous allons
Cette journée d’étude, nous l’avions conçue et préparée comme un processus, au départ d’un parcours historique de plus de vingt ans de regards croisés sur l’accueil en maisons médicales. Il fallait avancer, il fallait surtout s’ouvrir aux autres acteurs du monde de l’ambulatoire en social-santé pour partager et sublimer en quelque sorte nos démarches respectives, empiriques ou pragmatiques, mais toutes ambitieuses. La journée d’étude du 6 octobre nous laisse aujourd’hui avec des défis communs, la plupart passionnants, qui touchent à nos savoir-faire et à nos savoir-être. Nos objectifs sont plutôt des éléments d’un processus infini, toujours déjà partiellement accompli et en même temps toujours déjà à renouveler, pour peu que l’on décide de lutter contre le devenir cybernétique de ce système-monde. Là, et seulement à partir de là, la santé globale, l’accompagnement, l’autonomie redeviennent des valeurs assumables dès la première ligne de la première ligne. Là, et seulement à partir de là, ce geste, cette pratique, cet espace qu’on appelle encore l’accueil peut être émancipateur, tant pour le travailleur que pour le patient-usager. Puisse l’avenir lui réserver à lui aussi un espace de parole et de proposition. Peut-être l’occasion d’une prochaine journée, dédiée à ce que le patient-usager a à nous en dire ?Les partenaires -Fédération bruxelloise francophone des institutions pour toxicomanes (FEDITO Bruxelles) -Maison d’accueil socio-sanitaire (MASS) -Ligue bruxelloise francophone pour la santé mentale (LBSFM) -Fédération des maisons d’accueil et des services d’aide aux sans-abri (AMA) -Fédération des centres pluralistes de planning familial (FCPPF) -Centre bruxellois de coordination sociopolitique (CBCS) -Fédération wallonne des institutions pour toxicomanes (FEDITO Wallonie) -Fédération des services de santé mentale bruxellois francophones (FSSMB) -Fédération des services sociaux (FdSS) -Fédération laïque des centres de planning familial (FLCPF) -Fédération des maisons médicales (FMM)
Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n°81 - décembre 2017
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Les pages ’actualités’ du n°81
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