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Le cadre pluriannuel des pharmaciens signé par la ministre de la Santé, l’Association pharmaceutique belge (APB) et l’Office des pharmacies coopératives de Belgique (OPHACO) fixe, entre autres, la mise en œuvre de la fonction de pharmacien de référence.

Depuis le 1er octobre, les patients souffrant de maladies chroniques peuvent choisir leur pharmacien de référence. De quoi s’agit-il ? Il y a 5 000 pharmacies en Belgique et on estime que 500 000 personnes en franchissent le seuil chaque jour, soit 1 Belge sur 20. « Cela fait de nous les professionnels de soins les plus accessibles », dit Alain Chaspierre, vice-président de l’APB. Une disponibilité peu valorisée jusqu’à présent. « Mais nous sommes aujourd’hui dans une dynamique transversale, poursuit-il. Tous les acteurs de santé doivent travailler ensemble dans l’intérêt du patient. » Et ces acteurs sont parfois nombreux, notamment dans le cas de patients atteints d’une maladie chronique : médecin de famille, spécialistes, infirmiers… Le pharmacien n’est pas à leur chevet, mais la fonction de référent améliorera ses interactions avec le médecin prescripteur et les autres professionnels de la santé dans le but commun de maintenir le plus longtemps possible l’autonomie des patients chroniques. Cette nouvelle fonction cadre parfaitement avec les objectifs de la LUSS, la Ligue des usagers des services de santé, qui défend l’accessibilité à des soins de qualité pour tous et l’autonomie des patients. « Un patient mieux informé peut mieux participer aux décisions médicales, il peut se prendre en main, suivant ses capacités, au niveau de sa santé et il est aussi plus satisfait de la prise en charge », dit Sophie Ingels, chargée de projets, soutenant le principe d’un patient co-acteur de sa santé. Cela demande idéalement une participation active du patient : comprendre sa maladie et ses implications dans la vie de tous les jours, adapter son mode de vie autant que possible et saisir le bien-fondé de son traitement. Ce n’est hélas pas toujours le cas… C’est ce rôle d’accompagnement et d’information qui est renforcé par la mise en œuvre de la fonction de pharmacien de référence.

Une relation de confiance

Le pharmacien bénéficie d’une forte relation de confiance avec les patients. Selon une étude de Test Santé parue en juin 2015, 86% des gens fréquentent toujours la même officine et, pour 82,5% d’entre eux, la plus proche de chez eux. C’est sur base de tels constats qu’est bâtie la notion de pharmacien de référence : en tant que centre de soins le plus accessible, il a une bonne connaissance du patient, de ses maladies, de son environnement social, culturel et économique. « Discuter avec son pharmacien se fait dans un contexte moins stressant qu’une consultation, où le patient peut se trouver dans un état d’appréhension, effrayé par le diagnostic que pourrait lui donner le médecin et, de ce fait, ne pas se sentir dans les conditions optimales pour comprendre les explications ou poser les questions sur son traitement », ajoute Sophie Ingels. Le rôle du pharmacien est de deux ordres : assurer les soins pharmaceutiques de base (délivrer un médicament, vérifier les interactions) et assurer le suivi (avoir une vue sur l’ensemble du traitement). « Il arrive qu’une personne qui souffre d’ostéoporose prenne bien le médicament prescrit, mais pas le calcium sans lequel l’efficacité du traitement n’est pas garantie, illustre Alain Chaspierre. Le pharmacien peut facilement le constater par l’historique des dispensations et en expliquer l’intérêt au patient. » Le pharmacien peut aussi mener des entretiens d’information dans une pièce dédiée de son officine et garante de la confidentialité des propos échangés. Il a une vue globale sur la médication du patient. Il le conseille sur le bon usage de son traitement, il lui apporte un suivi individuel, le renvoie le cas échéant vers son médecin de famille. « Aujourd’hui, les professionnels de la santé doivent mieux collaborer et tirer parti des compétences de chacun et ainsi travailler en synergie dans l’intérêt des patients », commente le vice-président de l’ABP. Selon la LUSS, ce rôle de pharmacien référent est très bien accueilli par les patients. « Ce statut officiel fait aussi que l’on passe d’un pharmacien distributeur de médicaments à un pharmacien prestataire de services de proximité ; ce qui était déjà une réalité pour beaucoup de patients chroniques, observe Sophie Ingels. On voit mieux aussi la complémentarité entre le pharmacien et le médecin : l’un étant identifié comme le spécialiste du médicament et l’autre comme le spécialiste des pathologies. » Le pharmacien de référence peut et pourra apporter des compétences spécifiques dans trois domaines : -La polymédication : un nombre important de patients reçoivent des traitements relativement complexes et une multitude de médicaments ; -L’eHealth litteracy, l’information en santé : la bonne compréhension par le patient de la maladie et de l’intérêt du traitement ; -L’adhésion thérapeutique : elle pose parfois problème dans les maladies chroniques. Ne pas prendre régulièrement ses médicaments peut avoir un impact néfaste sur la santé. Pour A. Chaspierre, quelles que soient les raisons de ce déficit d’adhésion, qu’il soit volontaire ou pas, le pharmacien de référence peut fournir des outils pour aider le patient, renvoyer un feed-back à son médecin traitant pour recourir éventuellement à d’autres formes médicamenteuses, à des versions à action prolongée qui lui conviendraient peut-être mieux ou lui fournir, par exemple, un semainier ou d’autres supports qui puissent l’aider. Il existe déjà un entretien de bon usage des médicaments pour les patients asthmatiques. Ce service entièrement pris en charge par l’Inami aide le patient à bien (ou mieux) utiliser son traitement, à en comprendre l’intérêt et à adopter les bonnes attitudes afin d’en augmenter l’efficacité et d’en minimiser les effets indésirables. « Des études ont démontré que l’action du pharmacien avait un impact très positif sur ces patients, sur la bonne utilisation de leurs traitements et donc sur la qualité de vie et sur les coûts en santé », ajoute-t-il.

Un rôle d’accompagnement

La mission essentielle du pharmacien de référence est d’assurer un accompagnement, un suivi du patient et de l’aider au bon usage de ses médicaments en toute sécurité. Pour ce faire, il va éditer un schéma de médication complet : c’est le reflet fidèle des médicaments utilisés par le patient. Ce schéma donne une vision globale du traitement en reprenant les doses et les posologies prescrites. Quel que soit le médecin prescripteur et même quand les médicaments sont achetés dans une autre officine – de garde notamment –, les informations arrivent, via le dossier pharmaceutique partagé (DPP), chez le pharmacien de référence qui les centralise. L’automédication à laquelle le patient a recours est également mentionnée (à moins qu’il demande explicitement au pharmacien de ne pas le faire). « Ces médicaments sans ordonnance sont une source d’information utile, note Alain Chaspierre. Certains sont sans danger s’ils sont correctement utilisés, mais, même dans ce cas, ils peuvent générer des interactions avec d’autres médicaments qui pourraient être prescrits par la suite et il est bon que cela soit indiqué dans le schéma et dans le DPP. » Si le pharmacien remarque des posologies inadaptées ou une interaction sérieuse, il en informera le patient et contactera son médecin pour lui exposer le problème et les solutions qu’il propose. En cas de changement de médicament, c’est le nouveau qui sera indiqué dans le schéma. « Beaucoup de patients ont des problèmes liés à la bonne utilisation de leurs médicaments. Ce schéma est un rappel permanent de la posologie correcte et des bons moments de prises. Le pharmacien en fournit une version papier que le patient pourra emporter avec lui lors de ses contacts avec tous les prestataires de soins qui lui rendent visite, soignants ou aidants proches », ajoute A. Chaspierre.Des remarques et des conseils peuvent aussi s’y glisser (faire attention au soleil ou boire beaucoup d’eau, par exemple), de même que les médicaments à prise occasionnelle ou à usage externe. « C’est un bel outil. C’est une des clés de l’adhésion thérapeutique », reconnait la LUSS qui cautionne aussi le fait qu’il s’agit d’un outil de dialogue, de mémoire et de sécurité au service du patient et qui partage ses objectifs de santé avec ceux qui le soignent. Lorsque ce sera techniquement possible, ce schéma de médication sera également accessible via les coffres forts sécurisés d’échange de données de santé entre prestataires en lien thérapeutique avec le patient. Quand il consulte un docteur qui ne le connait pas encore ou s’il est hospitalisé, d’urgence ou de façon programmée, le médecin ou l’équipe d’intervention a ainsi connaissance de l’ensemble de son traitement « Cela participe à la qualité des soins et peut dans certains cas éviter des erreurs thérapeutiques », affirme Alain Chaspierre, qui souligne l’aspect collaboratif de ce travail.

Un service pour qui ?

Les personnes concernées par ce nouveau service ont été définies en concertation avec les mutuelles. Il s’agit de « tout patient dont le constat est fait dans la même pharmacie sur une période d’un an qu’au minimum cinq médicaments remboursés différents dont au moins un médicament chronique lui ont été délivrés ». Il s’agit de patients en ambulatoire (et pas en maison de repos ou en maison de repos et de soins, où un schéma de médication est déjà régulièrement fourni). Dans ce large public, il y a des patients prioritaires, autrement dit ceux qui peuvent en retirer le maximum de bénéfices : des patients polymédiqués, des patients en difficultés avec leur traitement ou qui en expriment le besoin. La durée d’un an est requise pour garantir une relation thérapeutique établie et de confiance, et aussi pour éviter des politiques d’accroche de pharmaciens sollicités occasionnellement. Les pharmaciens reçoivent, pour ce service, des honoraires forfaitaires annuels par convention signée avec les patients (tout comme les généralistes pour la tenue du dossier médical global). « Pour financer ce service, les pharmaciens ont effectué des transferts au sein de leur enveloppe, il n’y a donc aucun surcoût pour l’Inami, explique Alain Chaspierre. Ceci est cohérent avec la décision d’orienter la profession vers la prestation de services et pour se déconnecter de l’acte de distribution. » Le patient est libre de choisir son pharmacien de référence. Cette démarche n’est pas obligatoire. Il peut aussi en changer quand il le souhaite. Il a toutefois l’obligation légale de signer personnellement une convention qui, à la demande des organismes assureurs, contient deux consentements : le consentement des soins pharmaceutiques (le patient donne son accord à tout pharmacien qui veut l’aider à bien utiliser son traitement) et le consentement eHealth (qui permet le partage de ses données de santé et donc le partage des données de dispensation entre pharmaciens en lien avec le patient via le DPP). En 2018, le pharmacien de référence sera aussi identifié comme la personne de référence pour la médication : si un spécialiste se pose une question sur le traitement d’un patient, il saura à quel pharmacien s’adresser. Une évaluation du système est également prévue dans les mois qui viennent. Les représentants des patients restent attentifs à certains points. Ils rappellent notamment que l’accès du patient à son dossier médical n’est toujours pas acquis. « Alors que, en tant que patient chronique, pouvoir relire ce qui a été discuté avec le médecin est primordial », rappelle Sophie Ingels. Ils gardent également un œil sur le respect de la vie privée, sur l’importance de fournir au patient une information complète sur la portée de leur consentement. Ils insistent sur la nécessaire confiance qui ne doit pas se muer en contrôle de la consommation de médicaments ou en outil de déterminations de profils. Ils font aussi part de suggestions : des indications sur les effets secondaires pourraient aussi être intégrées au schéma de médication, par exemple. Des remarques que partage entièrement la Fédération des maisons médicales.

Documents joints

 

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°81 - décembre 2017

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