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Le dévoilement progressif de la maladie : le malade au centre du processus


Santé conjuguée n° 41 - juillet 2007

Faut-il toujours dire toute la vérité aux patients ? Quand ? Comment ? L’auteur met le patient au coeur du processus de dévoilement de la vérité et partage son expérience. Matière à réflexion.

Le malade est au centre du processus de soin Pour expliquer cette importante affirmation, je pars d’une réflexion relative à la nature de la relation soignant-soigné : relation paternaliste ou relation « adulte-adulte ». Dans la relation paternaliste, le soignant glisse du savoir au pouvoir. Le malade est un enfant ; le soignant est un « bon parent » qui sait mieux que le malade ce qu’il convient qu’il sache et ce qu’il vaut mieux, pour son bien, lui cacher. J’estime que, dès l’instant où le soignant ne se préoccupe plus prioritairement du désir du malade -veut-il savoir ou non ? -, il ne le respecte plus. Dans la relation « adulte-adulte » (expression empruntée au jargon de l’analyse transactionnelle), le soignant est un adulte qui met un savoir à la disposition du malade pour lui permettre de prendre, en connaissance de cause, les décisions qui concernent sa santé, sa vie, sa mort. La relation se fonde sur la présomption que le malade est, lui aussi, un adulte capable de faire face aux « choses de la vie », en ce compris les souffrances morales, les émotions intenses, les deuils. Si le malade n’est pas capable de se comporter en adulte -« Docteur, vous avez carte blanche et je ne veux rien savoir. » -le soignant ne saurait l’y contraindre. Mais, dans ce cas, ce n’est pas le soignant qui impose au malade une relation infantilisante, ce qui est très différent. « La grandeur du problème » (lorsque le soignant décide seul de dire la vérité ou de ne pas la dire), écrit Higgins, « dit d’abord la distance instaurée qui sépare le malade, assigné à la place d’ignorant ou d’être passif, de ceux qui savent. Elle dit aussi l’étendue et l’affirmation d’un pouvoir alors que la mort est ce qui fait chuter tout pouvoir, nous incite à l’impouvoir »1 . Placer le malade au centre du processus de soins, dans une relation adulte- adulte, c’est accepter de tendre vers cet « impouvoir », cette impuissance. Ce n’est plus « décider à la place » du malade, c’est l’accompagner, en particulier, dans le dévoilement progressif de la vérité. Je voudrais insister sur le fait que ce choix -accompagner le malade dans la vérité – est difficile. • Difficile pour le malade : il lui faudra « traverser le tunnel » pour reprendre la belle expression de Jeannine Pillot 2 : il prendra conscience de sa fragilité, il sera face à une mort éventuelle surgissant plus tôt que prévu, il perdra, au moins momentanément, tous ses repères éventuels ; il aura à faire face à une énorme angoisse, à une tempête émotionnelle. • Difficile pour le soignant aussi : il devra assister, le plus souvent impuissant, à cette tempête émotionnelle et rester présent. « Il y a des moments où, personnellement, de façon très égoïste, j’aimerais que les malades en sachent un peu moins. » écrit, très sincèrement, Madame B. Michel, infirmière en soins palliatifs3 . • Difficile pour l’équipe enfin car l’accompagnement de la vérité implique une grande attention à la circulation de l’information entre tous ceux qui interviennent auprès du malade. Les modalités de dévoilement progressif de la vérité lorsque le malade est au centre du processus de soins Lorsque le malade est au centre du processus de soins, les attitudes -au moins sur le plan théorique deviennent plus faciles à déterminer : ce sont les questions du malade qui vont déterminer quoi dire, quand dire, qui doit dire et comment dire. Quoi dire Les juges sont bien ambitieux lorsqu’ils invitent les témoins à jurer de dire « toute la vérité, rien que la vérité » ! Les soignants sont plus réalistes. Il s’agit seulement -mais c’est déjà beaucoup – de répondre à la question du malade : à toute question et rien qu’à la question. Par exemple, si un malade me demande : « Est-ce que c’est grave ? », je m’efforce de répondre : « Oui, c’est grave » et non « Oui, c’est grave, c’est un cancer ». Le malade ne me demande pas si c’est un cancer, il me demande si c’est grave. Ce n’est pas la même chose. Je respecte son rythme. Peut-être a-t-il besoin de temps pour intégrer cette importante information (« Oui, c’est grave. ») ; peut-être ne veut-il pas en savoir plus, ce qui est son droit ; peut- être va-t-il me poser immédiatement une autre question : « Alors, si c’est grave, c’est un cancer ? » et la réponse sera : « Oui, c’est un cancer ». Et à ce moment-là, même si mon désir est « d’amortir » ma réponse (« C’est un cancer mais il y a des traitements efficaces, mais nous l’avons décelé à un stade précoce, mais nous allons nous battre,… »), j’essaie de ne pas le faire. Pourquoi ? Parce que le malade ne peut plus m’entendre. Il « digère » ma réponse (« Oui, c’est un cancer. ») : soit il est en état de choc, il a du brouillard dans la tête, les émotions le submergent ; soit son « mental » l’emmène ailleurs : vers ses proches, vers ses peurs, vers les changements de la vie auxquels il aura à faire face. Dans les deux cas, il ne m’écoute plus. Je préfère donc me taire, garder le silence, rester présent, être prêt à répondre à d’éventuelles autres questions. Et si le malade ne pose jamais aucune question ? Je peux lui suggérer : « Avez-vous des questions à me poser ? Je suis prêt à vous répondre. J’ai du temps à vous consacrer ». Je ne peux pas faire plus. Le malade a évidemment le droit de ne pas savoir, ou de savoir mais de ne pas vouloir entendre certains mots ou certaines phrases. Il a son histoire, sa culture, sa personnalité. Je m’efforce de ne pas le juger quant au choix qu’il fait et que je pense être différent de celui que je ferais si j’étais malade. Ce n’est pas toujours facile. Tout ce que je connais du professeur R. Schaerer, cancérologue à Grenoble, fondateur de l’association JALMALV, me fait penser que c’est un homme qui respecte infiniment les patients qu’il rencontre et qui les place au centre du processus de soins. Je ne puis cependant pas le suivre lorsqu’il écrit : « Informer assez pour rassurer, assez pour faire comprendre la nécessité des traitements, en un mot pour répondre aux besoins du malade. Mais ne pas informer trop en risquant d’aggraver la souffrance morale sans profit pour le malade ». Et plus loin: « Il est inutile de faire souffrir quelqu’un au- delà de ce qui est nécessaire ». Et enfin : « Il faut dire ce que désire le malade, ce dont il a besoin pour vivre et se soigner »4. . Il me semble que, dans cette optique, le malade n’est plus au centre du processus. C’est le soignant qui décide de ce qui est « sans profit » pour le malade, de ce qui est « nécessaire », ce dont il a « besoin pour vivre et se soigner ». Dès l’instant où le soignant protège le malade d’une « souffrance morale », il cesse de le traiter en adulte. Personnellement, je l’ai déjà dit, je m’efforce de faire confiance à la capacité du malade de faire face aux réalités de la vie, en ce compris les souffrances morales. Cette attitude non protectrice peut paraître dure. Je ne crois pas qu’elle le soit. Elle se veut respectueuse. D’autant plus que j’ai souvent constaté -je ne suis pas seul – que si le malade ne peut intégrer une réponse « vraie » aux conséquences trop effrayantes pour lui, il l’évacuera, il la refoulera, il l’oubliera. « C’est un cancer ? ». « Oui, c’est un cancer » et le lendemain, ce malade me parle de son ulcère. Je le respecte évidemment dans ce déni. Je ne l’y enferme pas non plus : si trois jours plus tard, il me repose la question de savoir si c’est un cancer, ma réponse sera à nouveau affirmative. Il reste au centre du processus. Quand dire Au moment où la question est posée. Le malade sait mieux que moi que c’est le bon moment pour lui poser une question. C’est lui qui détermine le rythme auquel il souhaite que la vérité lui soit dévoilée. C’est lui aussi, je le rappelle, qui peut choisir de ne pas poser une question. Bien sûr, le moment peut être terriblement « mal » choisi, même si ce mauvais choix est lourd de sens. Schaerer rapporte très simplement l’une de ces situations impossibles : « Comment se débrouiller vis-à-vis du malade qui nous pose la question d’un pronostic grave ou pas au pas de la porte. ? La consultation a duré vingt à trente minutes, les questions qui ont été posées ont été des questions à court terme, des questions dans lesquelles le malade n’exprimait pas son souci pour sa vie ; et puis, il s’est habillé et, sur le pas de la porte, au moment de dire au revoir, il dit : ’Docteur, je n’ai pas le cancer au moins ?’ Que faut-il faire ? La salle d’attente est pleine, donc on n’a pas le temps matériel de dire : ’Rentrez, on s’assied, vous posez une question importante, je voudrais pouvoir parler avec vous’ ». Mais si on a un petit raclement de gorge, un haussement de sourcils, une petite hésitation, ou si l’on se trouble, ce trouble va être un tourment pour les semaines qui vont suivre jusqu’à la prochaine consultation. Que faut-il faire dans ce cas ? Schaerer laisse la question sans réponse. Moi aussi. Qui doit dire ? Celui à qui la question est posée. Ce n’est jamais par hasard -même si c’est inconscient – que le malade va s’adresser à telle personne plutôt qu’à telle autre : il va choisir son interlocuteur en fonction du niveau de réponse qu’il souhaite obtenir, plus ou moins médical, plus ou moins complet, plus ou moins élémentaire. Si l’information circule bien entre les membres de l’équipe « soignante » -du médecin jusqu’au personnel d’entretien -, toute personne à qui le malade pose la question devrait se sentir autorisée à y répondre à son niveau de compétence ; en ne craignant jamais de répondre « je ne sais pas » si telle est la vérité mais en évitant de renvoyer systématiquement à l’infirmière ou au médecin : le malade dans ce cas ne serait plus au centre du processus. Comment dire ? Ou de la nécessité d’apprendre à transmettre de « mauvaises nouvelles » Le dévoilement progressif de la vérité implique d’être capable d’écouter le malade. Pour répondre à ses questions -à toutes ses questions mais rien qu’à ses questions – il me faut apprendre à bien l’écouter. Pour accompagner la vérité, il me faut être capable d’affronter la colère, l’agressivité, la tristesse, l’angoisse du malade confronté à la mauvaise « nouvelle » que je lui communique. Il me faut prendre conscience de mes peurs, de mes inconforts, de mes modes de communication non verbale. Il est bon aussi que j’apprenne à m’asseoir, à prendre mon temps, à respirer, à trouver mon confort dans le silence, à laisser voir mes émotions. Oui, tout cela s’apprend. Pas plus dans ce domaine que dans les autres, il n’y a de science infuse.

Conclusions

Je m’efforce de mettre le malade au centre du processus de dévoilement de la vérité. Je ne prétends pas y arriver. C’est un mode relationnel vers lequel je tends, mais j’ai mes limites et mes incompétences. Je ne perds pas de vue non plus que, comme l’écrit Higgins dans l’article déjà cité : « (…) aussi grande soit la conviction de répondre à une « vraie » demande, elle sera toujours une interprétation, indissociable de ce qui s’est passé entre deux êtres singuliers. Nul ne peut dire :’Je ne fais qu’obéir, répondre à sa demande’. La question d’un « nous » est toujours là ».

Documents joints

  1. (1) Higgins R.W., Aspects philosophiques de la vérité, JALMALV n° 7, décembre 86, pp. 7 et ss, n° spécial consacré à la vérité.
  2. (2) Pillot J., La traversée du tunnel, JALMALV n° 7, décembre 86, pp. 32 et ss.
  3. (3) Michel B., Témoignage d’une infirmière face au malade qui sait, JALMALV n° 7, décembre 86, pp. 26 et ss.
  4. (4) Schaerer R., Caractère objectif de la vérité en cancérologie et les difficultés à la partager, JALMALV n° 7, décembre 86, pp. 20 et ss

Cet article est paru dans la revue:

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