La responsabilité sociale des facultés de médecine
Michel Roland
Santé conjuguée n°88 - septembre 2019
C’était le thème du premier congrès de Rabat en mars dernier. Le prochain aura lieu à Bruxelles en 2020.
Au début du XXe siècle, les facultés de médecine firent face à des défis sans précédent pour faire en sorte que la formation des médecins soit efficace et fondée sur des bases scientifiques, comme en témoigne le rapport Flexner1 en 1910. En ce début du XXIe siècle, d’autres défis importants sont à relever, notamment : l’amélioration de la qualité, de l’équité, de la pertinence et de l’efficience dans la prestation des services de santé ; l’harmonisation avec les réalités sociétales ; la définition de rôles nouveaux pour les professionnels de santé ; la démonstration de l’impact des interventions sur le niveau de santé des citoyens. Dès 1995, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) disait des facultés de médecine qu’« elles ont l’obligation d’orienter la formation qu’elles donnent, les recherches qu’elles poursuivent et les services qu’elles dispensent, vers les principaux problèmes de santé de la communauté, région ou nation qu’elles ont comme mandat de desservir. Les principaux problèmes de santé seront identifiés conjointement par les gouvernements, les organismes, les professionnels de santé et le public ». Une faculté socialement responsable devrait donc répondre aux besoins et défis actuels et futurs dans la société, réorienter les priorités en éducation, recherche et services en responsabilité sociale, renforcer le partenariat avec la gouvernance, avec les autres usagers à partir du modèle Pentagone (les décideurs politiques, les professionnels de santé, les institutions académiques, les communautés et les gestionnaires de santé) et utiliser l’évaluation et l’accréditation pour évaluer la performance et l’impact. Pour tenter de répondre à ces défis, 130 organisations et experts de par le monde ayant des compétences en éducation médicale, en régulation professionnelle et en politique de santé, participèrent à une série de consultations basées sur la méthode Delphi2, couronnée par une conférence de consensus de trois jours, modérées par un arbitre extérieur et aboutissant au « Consensus mondial sur la responsabilité sociale des facultés de médecine » publié en 2010. Celui-ci comprend dix directions stratégiques : -Anticipation des besoins en santé de la société. -Création de partenariats avec le système de santé et autres acteurs. -Adaptation aux rôles nouveaux des médecins et autres professionnels de santé. -Éducation basée sur des résultats escomptés. -Instauration d’une gouvernance réactive et responsable. -Redéfinition des normes pour l’éducation, la recherche et la prestation de services. -Amélioration continue de la qualité en éducation, recherche et prestations de services. -Institutionnalisation des mécanismes d’accréditation. -Adhésion aux principes universels et adaptation au contexte local. -Prise en compte du rôle de la société.La naissance d’un réseau
Au sein du groupe mondial s’est progressivement concrétisée la collaboration entre de nombreuses facultés de médecine francophones pour aboutir en 2018, après le congrès mondial de Hammamet, au Réseau international francophone pour la responsabilité sociale en santé (RIFRESS) qui, en s’élargissant progressivement, rassemble aujourd’hui plus de soixante facultés de plus de vingt pays. Au travers d’objectifs de plaidoyer, de formation, de recherche, d’évaluation, d’accréditation, d’échanges et de partenariat, les buts du RIFRESS sont de : -Promouvoir l’action concertée des principaux acteurs en santé, notamment, les autorités publiques et sanitaires, les organisations de soins de santé, les institutions académiques, les associations professionnelles et la société civile, autour des valeurs de qualité, d’équité, de pertinence et d’efficience des soins de santé ; parmi ceux-ci la Société internationale francophone d’éducation médicale (SIFEM) et la Conférence internationale des doyens et des facultés de médecine d’expression française (CIDMEF) sont des partenaires actifs privilégiés. -Améliorer la contribution des acteurs de santé pour un système de santé efficient, juste et pérenne. -Contribuer à la transformation des institutions académiques et des écoles pour une meilleure adéquation de leurs programmes respectifs de formation, de recherche et de services aux besoins et défis prioritaires de santé des citoyens et de la société. Avec comme tâches pour la mise en œuvre du consensus : -Un plaidoyer pour la reconnaissance de la pertinence du Consensus mondial. -Des consultations pour l’adaptation et l’application du Consensus dans différents contextes. -Une recherche pour la confection de normes illustrant la responsabilité sociale. -Une coordination mondiale pour partager les expériences et soutenir les initiatives. Les premières activités du groupe francophone non encore constitué en RIFRESS ont été de se rassembler autour d’un projet de recherche- action commun pour expérimenter et évaluer la pertinence, l’applicabilité et la mise en œuvre d’une démarche de qualité inspirée des principes de responsabilité sociale, notamment ceux définis par le Consensus mondial, et en démontrer l’utilité comme une stratégie de choix pour améliorer leur impact sur la santé. Ce projet en est actuellement à sa troisième et dernière phase d’« évaluation » de l’effet de l’application des normes sur le fonctionnement des facultés et sur la qualité des diplômés, la première étant l’« applicabilité » au travers de la perception des facultés et de leurs partenaires quant à la pertinence des recommandations du Consensus mondial, et la deuxième l’« expérimentation » des concepts de responsabilité sociale dans les facultés participantes.Les médecins et les autres professions de la santé
En mars 2019 s’est donc tenu à Rabat, organisé par le RIFRESS, le premier congrès international francophone sur la responsabilité sociale en santé : plusieurs centaines de participants de nombreux pays dont des étudiants (surtout marocains), des échanges, des contacts, des constructions de partenariat et des dizaines et des dizaines de sessions restreintes ou plénières, des ateliers, des séances interactives, une magistrale conférence de Jean-François Kahn sur l’intelligence artificielle, le tout dans une ambiance empreinte d’idéal et de militantisme. La Belgique y était bien représentée par les facultés de médecine de l’UCLouvain et de l’ULB, par le Groupement belge des omnipraticiens (GBO) et par plusieurs membres de la Fédération des maisons médicales, par leur présence et leur participation active, mais aussi au travers de nombreuses communications, émanations de nos terrains et de notre implication en matière d’assurance de qualité et de participation communautaire. Un des résultats les plus importants sortant de ce congrès est la décision unanime de ne pas limiter le concept de responsabilité sociale aux seules facultés de médecine, mais de l’étendre aux hautes écoles et instituts de formation des travailleurs de santé (infirmiers, travailleurs sociaux, kinésithérapeutes, psychologues, logopèdes, etc.). Le prochain congrès se tiendra à Bruxelles en octobre 2020. Le GBO, au travers de son président Paul De Munck, en a accepté l’organisation. Un large comité rassemblant divers horizons, dont la Fédération des maisons médicales, est mis sur pied et s’est déjà réuni quelques fois. Le congrès de Bruxelles sera certainement un grand succès et un pas décisif pour que les différentes professions de santé collaborent de manière horizontale et transdisciplinaire dans l’intérêt de la santé publique et de l’accès aux soins sur base de leur responsabilité sociale.Documents joints
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Santé conjuguée, n°88 - septembre 2019
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