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Participation des patients hier, patient partenaire aujourd’hui. Et demain? Que nous apprend l’évolution de la terminologie sur la place et sur le rôle des patients dans le système de soins ?

Le choix des mots que nous utilisons est révélateur de la manière dont on pense la chose. Dans les mots, se cachent une intention, des valeurs. Dès lors, attardons-nous sur quelques notions, quelques documents et mettons-les en lien.

La participation en santé

Dès 1978, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) associe santé et participation1. Les 134 gouvernements représentés à la conférence d’Alma Ata réaffirment que la santé est un droit fondamental de l’Homme non rencontré pour la moitié de la population mondiale. En cause : l’inégale répartition des ressources sanitaires entre et à l’intérieur des pays. La conférence propose alors une approche de la santé visant à combler le fossé entre les nantis et les démunis afin que tous puissent atteindre un niveau de santé permettant de mener une vie socialement et économiquement productive. Le moyen, ce sont les soins de santé primaires (comprenez les soins essentiels pour la santé). Le rapport associé à la déclaration d’Alma Ata2 précise que « tout être humain a le droit et le devoir de participer individuellement et collectivement à la planification et à la mise en œuvre des soins de santé qui lui sont destinés ». Ce droit s’exerce dans un contexte où ce sont les gouvernements qui sont invités à mettre sur pied et développer des soins de santé primaires, mais où les acteurs des secteurs économiques et sociaux (éducation, agriculture, logement, travaux publics…) contribuent également à l’objectif de santé pour tous dans une logique de complémentarité. Si les individus et les familles doivent finalement assumer la responsabilité de leur santé, l’appui fourni par les services organisés par le gouvernement est de nature à faciliter la participation de la communauté à l’identification et à la résolution de ses problèmes de santé. Et les services seront organisés en tenant compte de ces besoins. En 2000, l’objectif de 1978 n’est pas atteint. Mais l’OMS persiste. Un document du bureau régional de l’Europe3 réaffirme que la participation de la population dans une optique de promotion de la santé est un « processus selon lequel les personnes sont en mesure d’être impliquées de manière active et véritable dans la définition de points les concernant, dans la prise de décisions sur des facteurs affectant leur vie, dans la formulation et la mise en œuvre de politiques, dans la planification, le développement et la prestation de services ainsi que dans le processus d’action visant à un changement » ! Elle peut contribuer à la réalisation d’objectifs variés tels que le développement de la démocratie, le combat contre l’exclusion, l’autonomisation des individus (qu’on n’appelle pas émancipation, ce qui revient à gommer la notion de rapport de pouvoir), le développement d’approches globales intégrées pour contrecarrer la formation compartimentée des professionnels, des prises de décision efficaces. Dans un rapport de 2007 sur la participation des patients dans les politiques des soins de santé, la Fondation Roi Baudouin (FRB) définit la participation comme une construction sociale fortement influencée par la position des acteurs concernés. Le pouvoir décisionnel est pris ou donné en fonction du pouvoir de certains groupes sur d’autres, faisant du concept de participation un véritable fourre-tout. À travers une revue de littérature, la FRB dégage deux approches stéréotypées de la participation. Dans la première, l’approche consumériste, le patient consommateur agit sur un marché du soin où les prestataires sont mis en concurrence. L’individu y est prioritaire ; il a son mot à dire dans la relation et l’offre de soins, dans les types de services proposés. Pour faire ses choix librement, il a notamment le droit de recevoir de l’information. Dans la seconde, l’approche démocratique, le patient citoyen occupe une place pour pallier le déficit démocratique dans la politique, y compris des soins de santé. Cela laisse entendre que les besoins définis individuellement ne sont pas toujours représentés et qu’il vaut mieux dès lors organiser sa représentation soi-même. L’argument est celui de la qualité d’un système construit et évalué à partir de l’expérience et des connaissances de chacun.

L’empowerment

Le concept d’empowerment se construit dans la lignée des travaux du sociologue Saul Alinsky, auteur d’un livre4 « pour dire aux pauvres comment s’emparer du pouvoir » pour opérer une transformation sociale constructive. Dans les années 70, le terme émerge des luttes des communautés noires et des groupes féministes. Il se fonde sur l’idée que l’opprimé reconquiert de la puissance et s’émancipe vis-à-vis de ceux qui le dominent. Cette émancipation se joue au niveau individuel, collectif et/ou social5 (l’éducation populaire chez nous prend ses racines dans ce courant). Dans les années 90, le terme se généralise6, notamment autour des discours de la Banque Mondiale sur la lutte contre la pauvreté. Il y est défini comme un « processus mesurable de renforcement de la capacité des individus ou groupes à faire des choix ». On s’éloigne radicalement des objectifs originels de transformation sociale. Aujourd’hui, le terme connait une nouvelle acception qui lui fait totalement perdre son ambition de justice sociale et sa dimension d’action collective. Les logiques managériales l’ont récupéré pour encourager l’individu à prendre son projet de vie et sa carrière en main. Le but est clairement d’augmenter l’efficacité et la productivité, sans avoir aucun impact sur les relations de pouvoirs et les rapports sociaux et en faisant porter la responsabilité exclusivement sur l’individu. Il s’agit donc plus d’un renforcement de systèmes de domination et d’exploitation camouflé derrière un discours contraire.

Agir, mais sur quoi ?

Aux États-Unis, dans les années 80, un courant psychiatrique (la psychologie communautaire) s’empare du concept pour recentrer le travail social sur le sujet. Ce courant nous influence encore aujourd’hui7. Il s’agit d’une approche visant à « permettre aux individus et communautés d’avoir plus de pouvoir d’action et de décision, plus d’influence sur leur environnement et leur vie ». Elle interroge le rôle des professionnels aux côtés des patients. En s’appuyant sur les capacités des publics, l’empowerment confère aux pratiques sociales une dimension émancipatrice (vs paternaliste). En cela, elle a détrôné la notion d’éducation thérapeutique du patient dans la littérature, qui visait à ce que le patient coopère mieux avec les soignants. Cependant, le flou persistant sur la définition de l’empowerment nous permet de poser la focale soit sur le système, soit sur le groupe ou la communauté, soit sur l’individu, allant jusqu’à lui faire porter la responsabilité de trouver des solutions à ses difficultés en permettant aux structures et pouvoirs en place de se déresponsabiliser. Avoir une alimentation saine dans une société où domine une agro-industrie toxique et des publicités trompeuses, par exemple. Participation, empowerment et partenariat sont des termes qui contiennent une idée d’action, d’implication, de responsabilité. Mais sommes-nous toujours sûrs de ce dont il s’agit ? De responsabilité et d’action collectives ou individuelles ? De visée politique ou fonctionnelle ? D’actions centrées sur le patient ou sur les professionnels, sur la relation ou le système de soin ? Notre intérêt pour une action complexe dans le but de changements nous pousserait à remplacer les « ou » par des « et ».

Documents joints

 

  1. Déclaration d’Alma Ata, OMS, 1978.
  2. OMS, Les soins de santé primaires, rapport de la conférence internationale sur les soins de santé primaires, Alma Ata, 6-12 septembre 1978, Genève, 1978
  3. OMS, Participation de la population à la santé locale et au développement durable. Approches et techniques, Collection européenne développement durable et santé, n° 4, 2000.
  4. S.D. Alinsky, Rules for Radicals : a Pragmatic Primer for Realistic Radicals, Vintage books, 1989.
  5. V. Peugeot, Brève histoire de l’empowerment : à la reconquête du sens politique, https://vecam.org, novembre 2015.
  6. A.-E. Calvès, « Empowerment : généalogie d’un concept clé du discours contemporain sur le développement », Revue Tiers Monde n° 200, 2009.
  7. Cultures&Santé asbl, L’empowerment, dossier thématique, novembre 2009 (mis à jour en juin 2010).

Cet article est paru dans la revue:

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