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Housing First : solution durable pour problème persistant


Santé conjuguée n°87 - juin 2019

Le parcours des personnes sans-abri les plus fragiles est semé d’embûches et, faute de solutions adaptées, la rue devient leur seul horizon perceptible. Face à cette situation, Housing First propose une solution éloquente de simplicité : l’accès à un logement individuel et inconditionnel.

Le sans-abrisme est une problématique transversale et complexe. Phénomène aux traits hétérogènes, notamment en raison d’une diversité des profils et des trajectoires des personnes concernées, le sans-abrisme réunit pourtant celles-ci sous l’angle de l’exclusion. L’exclusion du logement tout d’abord, qui nécessite de prendre en considération le caractère circulaire du processus et des trajectoires d’exclusion. L’exclusion des droits fondamentaux ensuite : droit au logement bien entendu, mais aussi droit à la dignité humaine, droit à la justice, droit à un revenu, droit à la santé… Il est essentiel de rappeler que le sans-abrisme rend malade et tue1 ! Un système d’aide s’est construit au fil du temps, oscillant entre urgence sociale et insertion. L’urgence sociale réunit autour de valeurs humanitaires, fournit différents services ayant pour objectif de couvrir les besoins primaires des personnes sans-abri : de l’hébergement à la nuitée par les abris de nuit, de la nourriture par les services d’aide alimentaire, un abri en journée par les services d’accueil de jour, des soins dans des dispensaires de santé ou encore à travers l’action proactive des travailleurs de rue. Le secteur de l’insertion fournit quant à lui un hébergement plus long, bien que provisoire, tentant d’agir sur les différentes problématiques des personnes en vue de retrouver à terme un logement. Notamment en raison du caractère majoritairement collectif/communautaire de ces structures d’hébergement, des conditions sont imposées et restreignent de facto l’accès à leur offre pour les personnes les plus fragilisées : abstinence et/ou traitement de problématique d’addiction, stabilisation psychiatrique, mise en projet, gestion budgétaire imposée… Malgré cette offre de services, un nombre non négligeable de personnes ne parviennent pas à sortir d’un système d’urgence sociale qui peine à offrir des réponses durables au sans-abrisme, ni à saisir un système d’insertion trop exigeant, conduisant alors à une chronicité de la situation d’itinérance.

Une innovation sociale

Housing First propose un accès immédiat au logement, depuis la rue, sans étapes intermédiaires et sans autres conditions que celles auxquelles est soumis tout locataire : paiement du loyer, respect du contrat de bail. Ce modèle vient bouleverser la vision classique du processus d’insertion, d’autant plus qu’il est destiné au public le plus éloigné du logement, un public particulièrement fragilisé par une chronicité du sans-abrisme et des problématiques de santé mentale et d’assuétudes. Pour favoriser le maintien dans le logement et le rétablissement, le modèle prévoit un accompagnement adapté, intensif et pluridisciplinaire des locataires dans tous les domaines de leur vie. Huit principes fondamentaux orientent l’action des dispositifs qui s’y intègrent : -le logement est un des droits de l’homme ; -choix et contrôle par les usagers des services ; -séparation entre le logement et le traitement ; -services d’accompagnement orientés vers le « rétablissement » ; -principes de la réduction des risques ; -un engagement actif sans coercition ; -la personne est au centre de l’accompagnement ; -souplesse de l’accompagnement proposé aussi longtemps que de nécessaire. Depuis son lancement à New York au début des années 90, ce modèle a été adopté comme politique nationale dans plusieurs pays européens2. Il permet un maintien en logement pour plus de 80 % des locataires après deux ans. Cette stabilité résidentielle est favorable à un processus de rétablissement ; elle permet en outre de réduire une série de coûts non négligeables liés notamment aux services de santé.

En Belgique

C’est l’élaboration du second Plan fédéral de lutte contre la pauvreté (2012) qui a créé les conditions permettant l’implémentation de pratiques Housing First sur le territoire. L’action 76 du Plan prévoyait « la mise en route d’initiatives inspirées de l’approche Housing First dans les cinq plus grandes villes du pays ». Pour l’opérationnaliser, des acteurs publics et privés de Bruxelles, Anvers, Gand, Charleroi et Liège ont proposé d’associer leurs expertises et leurs réseaux. En juillet 2015, trois nouvelles villes de taille moyenne ont intégré l’expérimentation : Hasselt, Molenbeek-Saint-Jean et Namur. Par ailleurs, en dehors de ce subside fédéral, le projet Huis Inclusief (à Courtrai) et le projet Housing First Limburg (à Hasselt, Genk et Saint-Trond) se sont joints à Housing First Belgium en permettant la récolte des données auprès de leurs locataires. L’expérimentation a porté sur onze implémentations et a été permise grâce aux soutiens conjoints des différentes secrétaires d’État en charge de la Lutte contre la pauvreté, de la Loterie nationale et du service public de programmation (SPP) Intégration sociale qui assurait la présidence du comité de pilotage. Aujourd’hui, on compte dix-sept projets dans le pays et plus de 600 personnes inscrites durablement dans un logement.

Le processus d’évaluation

La phase expérimentale s’est clôturée en juin 2016. Une première analyse a mis en évidence les conditions d’efficacité et d’efficience (incluant donc une analyse économique du rapport coûts-impacts). Sous la supervision de la coordinatrice générale et scientifique de l’association, une équipe d’évaluation a également assuré un suivi longitudinal des locataires accompagnés en logement par les équipes sur chacun des onze sites pendant vingt-quatre mois. Elle a comparé l’évolution de ce groupe expérimental au parcours des personnes sans-abri au travers de l’offre classique d’aide. Après deux ans de suivi, les résultats démontrent l’efficacité du Housing First : 93 % des locataires sont toujours en logement, contre 48 % des personnes qui bénéficiaient du système d’aide traditionnelle3. Malgré leur profil très fragile, les bénéficiaires du Housing First font preuve de leur capacité à habiter et à s’y maintenir durablement. D’autres indicateurs ont été récoltés durant cette phase d’évaluation : -le recouvrement des droits sociaux. Tous les locataires suivis par l’expérimentation Housing First Belgium ont recouvré leurs droits : carte d’identité, revenus, adresse et mutuelle ; -une stabilisation et une amélioration de la santé physique et de la santé mentale ; -une plus grande autonomie, des effets sur l’empowerment et l’estime de soi. Les bons résultats de l’expérimentation Housing First Belgium ainsi que les différents résultats internationaux en la matière démontrent un intérêt évident à amender l’offre en matière de lutte contre le sans-abrisme. Actuellement, faute de moyens suffisants et de stratégie ambitieuse, les dispositifs actuels refusent des logements et ne peuvent inclure autant de locataires que nécessaire. Il semble urgent que les pouvoirs publics concernés se mobilisent dans l’élaboration d’un plan de réduction structurel du sans-abrisme. Ce plan stratégique national devrait intégrer Housing First, ainsi que toute solution structurelle orientée vers l’accès à un chez-soi, comme dispositifs prioritaires pour une lutte efficiente contre le sans-abrisme.

Documents joints

  1. R. De Backer, « Sorties de rue : l’approche par les capabilités pour dépasser les écueils d’une approche centrée sur les déterminants sociaux de la santé », Éthique publique, vol. 20, n° 2, 2018.
  2. En Finlande, par exemple, ce modèle a permis de réduire de façon très importante le nombre de personnes sans-abri chroniques, se singularisant de la majorité des pays européens qui voient le nombre de personnes en situation d’itinérance augmenter continuellement.
  3. Pour un détail des propositions : www. housingfirstbelgium.be.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°87 - juin 2019

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