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Vivre clandestines

Parmi les débats qui agitent de manière quasi permanente nos sociétés, il en est un qui ne laisse aucun répit, celui de « la question des personnes sans papiers ». C’est-à-dire des personnes venues d’ailleurs et devenues indésirables sur notre territoire aux frontières bien précises, parce qu’interdites d’asile.

Une « question » qui en recouvre mille autres, notamment celle du statut ou plutôt de l’absence de statut de ces personnes au sein de notre société. C’est en effet précisément ce que signifie le terme « sans papiers » : être défait de tout lien avec le pays où néanmoins l’on vit, y flotter dans une sorte de non-lieu indéfini, de no man’s land juridique, politique, social.
Ce débat d’une constante actualité occupe largement le terrain des media, du monde associatif et militant qui, à leur tour, cherchent à attirer l’attention de la sphère politique. Et plus précisément veulent obliger les acteurs et actrices politiques à prendre conscience, à partir des multiples histoires personnelles des sans-papiers, d’une réalité collective.
Collective sans doute, mais pas homogène. Bizarrement, cette agitation généreuse néglige dans ses discours et ses dénonciations un point de vue qui concerne nombre de personnes sans papiers : les femmes sans papiers. Leur trajectoire pourtant très souvent diffère de celle des hommes. Leurs raisons de quitter le pays, la famille, les conditions matérielles de l’exil, la confrontation avec une administration impitoyable, le rejet dans la clandestinité, tous ces morceaux d’une vie, la plus fragile et la plus extrême, leur sont propres. À la fois autres et souvent plus douloureux.
Depuis qu’il existe, notre collectif rencontre et accompagne des femmes venues demander à notre pays asile, protection, sécurité. Ces confrontations de femmes à femmes nous ont permis d’appréhender tout ce qui fait la différence d’un parcours d’exil au féminin. Et nous ont obligées à l’analyser, la comprendre, et la dire. Une différence qui loin de fragiliser la lutte politique ne peut que l’élargir et la solidifier. En novembre 2005, le Collectif femmes en noir contre les centres fermés et les expulsions rassemblait lors d’un colloque différentes personnes pour dire cette différence vécue par les femmes lorsqu’elles sont reléguées dans la clandestinité au terme d’un parcours de demande d’asile inabouti.
Chercheuses, femmes et hommes de terrain ont ainsi livré leur réflexion, pensée, savoir sur différents angles de cette réalité essentiellement conjuguée au féminin.
Ce livre, Vivre clandestines qui convertit la parole publique d’un jour en une trace écrite durable nourrit une autre ambition que celle de la seule mémoire. En cernant de l’intérieur la genèse, la nature et les dimensions de la clandestinité vécue par les femmes, les auteurs et auteures de cette publication veulent dénoncer un système toujours en vigueur, à savoir une politique migratoire étroite voire répressive, et qui engendre la précarité et la « néantisation » des personnes. Lorsqu’elle s’applique aux femmes, la politique d’asile qui passe par l’application de la Convention de Genève souffre d’un déficit, celui de ne pas reconnaître ou de méconnaître les persécutions spécifiques des femmes. Avec pour conséquence un manque, voire une absence d’attention à ces problématiques de la part des institutions chargées de l’asile (Sylvie Sarolea). À cet égard, la situation de la France décrite ici est sensiblement la même en Belgique. Si l’on constate un léger progrès dans l’acceptation de « la notion de persécutions en raison de ’l’appartenance à un certain groupe social’…elle reste encore définie de façon relativement stricte » (Claudie Lesselier).
En réalité, cette politique peut s’analyser à l’aune d’un système non seulement européen mais véritablement global et dans lequel « Le capitalisme actuel continue le processus d’appropriation et d’exploitation » et où l’on retrouve « les divers niveaux d’exploitation, de domination, de violence auxquels sont soumises les femmes migrantes clandestines » (Marie-Claire Caloz-Tschopp). Des études ont été menées, au sein de l’université libre de Bruxelles notamment, qui mettent en évidence le profil sociologique et les conditions de travail des femmes en situation illégale (Ilke Adam). Elles sont pour la plupart issues de régions en proie aux « désordres du monde » et, à la discrimination subie dans leur pays, elles ajoutent l’exploitation économique à travers leur parcours d’exil (Estelle Krzeslo). Des accompagnant-e-s professionnel-le-s qui, au quotidien, se battent pour que les femmes clandestines témoignent des difficultés rencontrées pour que les femmes clandestines puissent vaille que vaille avoir « le droit d’avoir des droits ». Qu’il s’agisse du droit à l’aide médicale (Pierre Ryckmans), à l’aide sociale (Anne Herscovici), à l’accueil (Anne Roulet) ou à la protection contre les violences conjugales (Myriam de Vinck). Tous ces droits malheureusement mis à mal du fait « du régime d’apartheid de sexe », notion éclairante que fait émerger Marie-Claire Caloz-Tschop dans son article. Comme en un acte de foi ou d’espérance, le récit d’expériences nous est livré par des personnes de terrain. Expériences du Québec (Anne Van Den Bosshelle), de l’Angleterre (Sophia Ceneda), de l’Espagne (Ivan Salazar) et de Belgique (Vanessa Crasset). Expériences humainement riches, généreusement solidaires. À travers les diverses approches de cet ouvrage, fruits à la fois d’une réflexion théorique et d’une expérience concrète, nous avons voulu comprendre et dévoiler les situations de détresse, expliquer ce qui les engendre et dénoncer l’injustice de certaines législations. Au-delà de la dénonciation, nous comptons susciter une prise de conscience, notamment auprès des femmes et des hommes politiques, qui aboutisse à des mesures concrètes permettant aux femmes en clandestinité de mener une vie humaine, digne et sûre.

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 39 - janvier 2007

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