Soutenir les maisons médicales
Claire Vanderick, Corine Deben, Frédéric Palermini, Pascale Meunier, Serge Perreau, Yaëlle Vanheuverzwijn
Santé conjuguée n°93 - décembre 2020
Les intergroupes régionaux occupent une position d’interface entre la Fédération des maisons médicales et ses membres en Wallonie et à Bruxelles. Comme de nombreux métiers durant la première vague du Covid-19, ils ont dû se réinventer.
Les premiers jours, Serge Perreau, coordinateur de l’intergroupe bruxellois (IGB), reconnait avoir vécu un moment de sidération. « Une sorte d’arrêt brutal, comme tout le monde sans doute », dit-il. Le rôle des intergroupes est entre autres de développer les échanges entre les maisons médicales d’une même zone géographique, de promouvoir la formation de leurs travailleurs. « Mon travail habituel était à repenser », ajoute-t-il. Dans la capitale, la Cocof a très rapidement lancé l’idée d’un numéro vert, un outil rassemblant toutes les coordonnées des services utiles à la population, dont les maisons médicales. En binôme avec Yaëlle Vanheuverzijn, qui coordonne aussi l’IGB, Serge Perreau a fait le tour de la cinquantaine de membres de son intergroupe pour relever lesquels était accessibles physiquement ou par téléphone. « C’était aussi l’occasion de faire le point de la situation avec chacun, sur la manière de gérer l’urgence, d’évaluer les besoins », disent-ils. Une deuxième demande institutionnelle est arrivée dans la foulée : trouver des soignants volontaires pour tester les résidents des maisons de repos, des instituts médico-pédagogiques (IMP), des centres d’hébergement de personnes handicapées et des centres d’accueil des réfugiés. « Cela nous a complètement accaparés, poursuivent les coordinateurs bruxellois, qui ont impliqué, entre autres, les médecins assistants dans cette opération. Il y avait une sorte d’enjeu sanitaire supérieur ». Cet enjeu, leurs collègues wallons l’ont aussi éprouvé. À Liège par exemple. « Les premières demandes que l’on a reçues à l’intergroupe, c’était celles auxquelles les maisons médicales ne pouvaient répondre elles-mêmes directement : la recherche de masques. C’était un problème insoluble puisqu’il y avait pénurie de tout », raconte Frédéric Palermini, qui s’est posé comme intermédiaire entre les autorités et les maisons médicales pour réceptionner tout le matériel et assurer la livraison. L’IGL compte 28 membres, essentiellement urbains. Du côté de l’IGSOL (Semois, Ourthe Lesse et Lhomme), la donne est différente : il couvre en gros toute la province de Luxembourg. Claire Vanderick, qui le coordonne, a aussi consacré les premiers temps de la crise à approvisionner les onze maisons médicales de sa zone. « J’ai fait 600 kilomètres en une journée ! », raconte-t-elle. La distribution de masques étant disparate selon les provinces et les communes, un premier travail de recensement s’imposait. « Là, on se rend compte que c’est important de bien connaitre le réseau, souligne-t-elle, se souvenant d’avoir cherché des couturières pour confectionner des blouses. Ça m’a permis d’entrer en lien avec des associations locales, de découvrir toutes les solidarités qui s’étaient mises en place, cette force du collectif et les processus d’autonomisation du terrain qui finalement ne voient pas le soutien des politiques et qui se débrouillent. » Une interrogation cependant : « Était-ce cela aussi mon métier ? »Maintenir le lien
Il a fallu revoir la manière de maintenir des liens directs, de faire circuler les informations et les directives cruciales. Pour beaucoup, la technologie fut un support précieux. Corine Deben coordonne l’intergroupe namurois, qui compte sept maisons médicales : « pour nous, le canal privilégié, c’est WhatsApp, dit-elle. On en faisait déjà un usage régulier auparavant et la réactivité de chacun est très forte. Pendant le confinement, on a intensifié ce mode de fonctionnement et quand les interventions en maisons de repos se sont organisées avec Médecins sans frontières, on a créé un nouveau groupe avec tous les binômes constitués. » Cette action compte certainement parmi les plus retentissantes durant la première vague du Covid : de nombreux soignants de maisons médicales sont venu prêter main forte au personnel des homes submergé par le nombre de résidents malades ou décédés et l’ont aidé à mettre en place des protocoles sanitaires stricts. « On a été très rapidement submergé par les demandes d’intervention, raconte Frédéric Palermini. J’avais à ma disposition une vingtaine de travailleurs de maison médicale, soit une dizaine de duos. Il fallait jongler avec leurs disponibilités. Ils m’ont tous épaté, leur investissement est complet : ils ont vécu des choses très rudes et ils ont dû assimiler énormément de matière vu qu’accompagner des maisons de repos dans une réorganisation et un soutien psy n’est pas notre métier de base… »1 Les solidarités étaient aussi très fortes entre les maisons médicales qui partageaient leurs bonnes pratiques, qui s’encourageaient mutuellement. Des travailleurs dont l’activité était en veilleuse ont mis à profit ce temps gagné pour aider à l’accueil par exemple, ou pour mener une démarche proactive envers les patients. On pense aux kinésithérapeutes qui ont conçu des vidéos d’exercices ou appelé régulièrement, à l’instar des assistants sociaux et des psychologues, les personnes les plus fragilisées.Disponibilité
À l’IGL, le bon vieux téléphone a repris du service. « Pendant toute la période de confinement, on a assuré une permanence 7j/7, poursuit Frédéric Palermini. On a reçu énormément d’interpellations. » Ce choix d’être massivement au service des maisons médicales plutôt que de les contacter à tout propos est porté par l’ensemble des coordinateurs. « On les savait dans l’urgence », résume Serge Perreau. Les coordinateurs oscillent dès lors entre le souci de ne pas faire perdre leur temps aux travailleurs et le souci qu’ils puissent néanmoins continuer à se rencontrer, à échanger. « Il ne faut pas oublier que le Covid s’ajoute au reste : il y a plus de prescriptions et de certificats à faire, plus de tâches administratives, un nouveau programme informatique à gérer, assurer l’e-facturation, la contamination ou la mise en quarantaine de travailleurs… », liste Corine Deben, qui fait aussi partie de la cellule gestion et développement de la Fédération. Elle évalue aujourd’hui son approche de la crise : « on a peut-être eu un peu trop tendance à anticiper les demandes, à donner des informations en continu, mais c’était très utile au début, dit-elle. Maintenant je dirais plutôt aux équipes : appelez-nous ! Vous vous posez des questions de gestion ? Consultez-nous et discutons-en ! » Outre l’IGB, Yaëlle Vanheuverzwijn coordonne également l’intergroupe du Brabant wallon, où les huit maisons médicales sont plutôt jeunes et assez proches géographiquement. « Ça a vraiment généré un mouvement fédérateur, elles ont pu s’entraider aussi pour des questions de gestion, remarque-t-elle, consciente cependant d’avoir dû revoir sa démarche envers elles. J’avais l’impression que le besoin était de pouvoir prendre distance par rapport aux soins et d’avoir un éclairage un peu plus macro, mais en réalité ce besoin n’était pas majoritaire. Si on ne répond pas au cas par cas aux demandes des équipes, on fait souvent des flops. » À Liège, la proposition d’un temps de rencontre hebdomadaire en vidéoconférence a d’ailleurs manqué son coup. « L’idée était d’y parler de ce qu’on vit, mais tout le monde avait le nez dans le guidon », constate Frédéric Palermini. En revanche, ce qui a surtout bien fonctionné, ce sont les propositions très concrètes, « quelque chose sur quoi s’appuyer », dit Claire Vanderick. Aujourd’hui, la fatigue se fait sentir dans les équipes. « Le moment est périlleux », estime Serge Perreau, qui ne cache pas son inquiétude. L’heure devrait idéalement être au débriefing de cette première vague, mais personne n’en a eu vraiment le temps. La déferlante suivante est là. Toute projection reste compliquée et une certaine frustration s’installe parmi les coordinateurs, mais elle est balayée par un sentiment de fierté pour toutes ces maisons médicales qui sont montées au front et qui n’ont pas failli.Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n°93 - décembre 2020
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