Aller au contenu
Nous sommes tous les témoins, voire le soutien, des luttes émergentes des jeunes pour le climat, des revendications des soignants et de celles des gilets jaunes. Elles nous interpellent parce qu’elles sont portées par des personnes que l’on a peu l’habitude de retrouver dans l’espace public. Elles nous impressionnent parce qu’elles sont auto-organisées, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas ou peu recours aux appareils structurés des mouvements sociaux traditionnels. Mais, surtout, elles nous motivent parce qu’elles durent et qu’elles osent braver certaines conventions : aller manifester plutôt qu’étudier par exemple. Quels sont les ressorts que mobilisent ces initiatives, quels questionnements suscitent-elles ? Elles semblent fondées sur une même prise de conscience, suivie d’une revendication et d’un passage à l’action qui interrogent les responsabilités et les rapports de force. Le concept du pouvoir d’agir est l’une des clés d’interprétation de ces dynamiques. « Pouvoir d’agir », « empowerment » ou « émancipation »… Parce qu’ils charrient avec eux des histoires de résistances et d’espoirs, ces termes se révèlent propices pour éclairer nos pratiques et nos horizons. Alors que nous préparions ce dossier, la crise sanitaire s’est abattue, accompagnée d’une longue période de confinement. Rapidement, les inégalités qui gangrènent nos sociétés se sont exacerbées et sont sorties au grand jour : le care qui incombe majoritairement aux femmes, le traitement différencié et parfois raciste d’une partie de la population en sont quelques exemples qui accroissent les velléités de transformation de la société et rendent plus urgents les modes d’organisation permettant d’y parvenir. Comment ? En un mot comme en cent, se pose toujours la question des finalités : à quelle fin renforcer, mobiliser, activer ? Cette étude explore des agir organisés en trois niveaux : transversal (qui touche aux manières de faire collectif), horizontal (qui pose les questions des réseaux et des territoires) et ascendant (qui instruit le système de l’expérience et des savoirs sociaux des collectifs de terrain).

Quel pouvoir ? Quel agir ?

D’où viennent ces notions d’empowerment et de pouvoir d’agir dont regorgent aujourd’hui nos pratiques et nos réflexions, et particulièrement dans le domaine de l’éducation permanente et populaire ? Que recouvrent-elles ? Dans quel contexte ont-elles vu le jour ? Quels sont leurs usages ? De quels pouvoirs parle-t-on ? Quels sont les liens entre pouvoir d’agir et émancipation ? Et entre pouvoir d’agir et participation ? Les féministes de la deuxième vague ont identifié trois types de pouvoir : « le pouvoir sur » (le pouvoir d’exercer une action sur les autres), « le pouvoir de » (qui est une énergie, une capacité de faire, une capacité de sortir de la dépendance) et « le pouvoir avec » (qui relève de l’inscription dans une démarche collective de prise en main de son avenir et de transformation sociale). S’il parait déterminant de construire des pouvoirs « avec », nous ne pouvons faire l’économie d’une réflexion sur la continuité. Quelles actions ont été menées avant nous ? Comment nous inscrire dans cette suite et en étendre les conquêtes ? L’histoire de la Sécurité sociale en est une emblématique illustration. Connaissant les combats et les principes sur lesquels elle repose, comment pouvons-nous la conforter et en étendre la portée ? Nous aborderons également d’autres terrains de luttes et d’émancipation. Dans le champ de la santé qui nous concerne directement : la création des premières maisons médicales et la relève d’aujourd’hui, parfois à l’initiative de patients eux-mêmes. Si la convergence des luttes est nécessaire, un de ses préalables est le passage d’un pouvoir d’agir individuel à un pouvoir d’agir collectif. La somme des initiatives individuelles peut-elle renverser la tendance ? Nous avons cherché des réponses en analysant une démarche pragmatique qui vise à développer l’empowerment des femmes autour de leur santé. Le pouvoir d’agir entraine dans son sillage la question des moyens mobilisés pour atteindre les objectifs de transformation visés. Ceux-ci ne sont pas forcément uniformes comme nous le rappellent les pratiques d’acte et de forfait qui coexistent au sein de la Fédération des maisons médicales. Peut-on servir les mêmes objectifs avec des moyens différents ? Faut-il organiser les luttes ? Y a-t-il des étapes incontournables ? Des recettes ?

Quelles causes, quelles luttes ?

Les enjeux cruciaux sont multiples. Et parmi toutes les urgences, faut-il choisir ses luttes ? Comment établir des ponts entre elles ? En retraçant l’expérience de la campagne TAM-TAM, vous verrons la difficulté de tisser de pourtant nécessaires convergences entre acteurs sociaux très divers. Les violences raciales, aux États-Unis notamment, et le déboulonnage des symboles du colonialisme chez nous comme ailleurs nous obligent – et fort heureusement – à relire notre Histoire. L’un des enjeux de l’empowerment est de rendre une voix et du pouvoir aux sans-voix. Il propose d’autres grilles de lectures du monde et du passé. La participation est une sorte de corollaire du pouvoir d’agir. Pour déterminer une série de politiques, l’implication des premières personnes concernées est essentielle. Comment les impliquer ? Des méthodes nous y aident, nous le verrons. Quels sont aussi les modalités et les risques de toute implication ? Des rapports de force sont en jeu au cœur des initiatives de participation. Comment les débusquer ? Comment ne pas diluer les finalités dans la pratique ? Enfin, d’où faut-il agir ? Faut-il développer des contre-pouvoirs à l’intérieur ou en marge des institutions ? Comment et où parler de ces stratégies ? Comment poser des choix, comment se confronter à des paradoxes tout en maintenant le cap ? Comment trouver des langages communs qui ne passent pas toujours par les mots ? Comment organiser l’analyse et l’ajustement permanent de nos propres pratiques ? Tant de questions… Se les poser collectivement, n’est-ce pas déjà commencer à agir ?

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°92 - septembre 2020

L’empowerment, une notion malléable

La notion d’empowerment, souvent traduite en français par pouvoir d’agir, est dans l’air du temps. Depuis quelques années on la voit fleurir dans le langage des politiques sociales et de santé, du développement social et urbain,(…)

- Marie-Hélène Bacqué

Les risques de la participation

Depuis quelques années, la participation est l’un des corollaires très en vogue des notions d’empowerment et de pouvoir d’agir. Nous avons adressé quelques questions à ce sujet à Julien Charles, qui en analyse les conditions, les(…)

- Julien Charles, Pascale Meunier

Des méthodes pour trouver sa route

Faire participer : la réussite résiderait en un accompagnement des personnes, aussi appelé développement de leur pouvoir d’agir, qui consiste en une transformation d’elles-mêmes afin qu’elles puissent avoir prise sur ce qui les concerne. Mais l’ambition risque(…)

- Dorothée Bouillon

La Sécu à la croisée des chemins

La Sécurité sociale belge vient de fêter ses 75 ans. Une histoire mouvementée, entre progrès et reculs. Une histoire méconnue et dont les enjeux politiques sont trop souvent réduits à des considérations techniques ou d’efficacité. Pourtant,(…)

- Cédric Leterme

Une vision différente de l’histoire

Le lien entre l’empowerment, la puissance d’agir et une vision différente de l’histoire passe également par la notion de genre. Sous peine de rendre incomplètes cette réflexion et cette ébauche d’actions nécessaires à la visibilisation de(…)

- Francine Esther Kouablan

Femmes et santé

Qu’on l’appelle empowerment ou pouvoir d’agir (ou que l’on n’ait pas de mot précis pour le désigner), on voit se multiplier le processus par lequel des travailleurs et des travailleuses tentent d’inventer des chemins pour impliquer les(…)

- Dorothée Bouillon

Le pouvoir d’agir expliqué à mes enfants

Tous les rapports sérieux prédisent un réchauffement global qui sera catastrophique. L’érosion de la biodiversité atteint des niveaux jamais atteints, les inégalités sont la cause et la conséquence des perturbations écologiques. Depuis que vous êtes venus(…)

- Jean-Philippe Robinet

Le jardinier des maisons médicales

Médecin récemment retraité, diplômé en santé publique et cofondateur de la maison médicale de Barvaux-sur-Ourthe dans les années 1970, Jean Laperche est un transmetteur de passion. Il a d’ailleurs aidé un grand nombre de maisons médicales à(…)

- Caroline Detry, Dr Jean Laperche, Oriane De Vleeschouwer

Des patients aux commandes

Parce qu’il est né de la volonté et du travail d’un groupe de patients, le projet de la maison médicale Racines de Forest a quelque chose d’inédit : chaque élément de l’édifice a été pensé par l’intelligence(…)

- Eric Cazes, Nour Eddine M’Rabet, Boureima Ouedraogo et Irène Balcers, Simon Elst

Varier les approches

L’intelligence s’évalue souvent à la mesure du langage. Conséquences : on développe souvent des séquences de formation autour d’un contenu écrit ou verbal à transmettre et on laisse parfois sur le bord du chemin des gens qui(…)

- Yves Gosselain

L’émancipation : une tambouille de savoirs, savoir-faire et postures

Nous avons fait l’hypothèse que les concepts de pouvoir d’agir et d’empowerment étaient pertinents pour analyser nos manières de faire et dessiner des horizons. Ces concepts drainant avec eux l’idée de processus, d’action et de rapports(…)

- Dorothée Bouillon, Fanny Dubois

Introduction

Nous sommes tous les témoins, voire le soutien, des luttes émergentes des jeunes pour le climat, des revendications des soignants et de celles des gilets jaunes. Elles nous interpellent parce qu’elles sont portées par des personnes(…)

- Dorothée Bouillon

Acte et forfait : une même finalité

La Fédération des maisons médicales (FMM) a pour particularité de rassembler des maisons médicales financées au forfait et des maisons médicales financées à l’acte. Cette diversité constitue une richesse pour l’ensemble des acteurs, mais elle peut(…)

- Pauline Gillard

TAM-TAM : une campagne de convergences

Pendant près de deux ans, la campagne TAM-TAM a rassemblé près de septante organisations de la société civile autour des effets du néolibéralisme. Elle a contribué à rapprocher les mouvements sociaux, principalement le mouvement climatique, le(…)

- Brieuc Wathelet

Les pages ’actualités’ du n°92

Avanti !?

Arc-en-ciel, olivier, coquelicot, Vivaldi, Arizona, suédoise, jamaïcaine, rouge romaine, violette, turquoise, orange bleue. La Belgique, terre de peintres, de poètes, de musiciens… et de jardiniers ? Depuis les élections du 26 mai 2019, la politique belge est(…)

- Fanny Dubois

Thierry Bodson : « La façon de faire changer le monde et d’aboutir sur les revendications que l’on défend, c’est de faire mal à ceux qui détiennent le capital » 

Le nouveau président de la FGTB dessine plusieurs lignes de force de son mandat à la tête du syndicat socialiste.

- Pascale Meunier, Thierry Bodson

Améliorer l’accès à la justice des plus vulnérables

En s’inspirant du modèle des maisons médicales ? À l’heure où le droit se complexifie, l’accès au conseil juridique est essentiel pour comprendre ses droits et les exercer. Le droit à l’aide juridique est consacré dans notre(…)

- Élise Dermine, Emmanuelle Debouverie

La formation « Accueil » est sur les rails

Depuis longtemps, le Groupe Accueil Fédé (GAF) souhaitait la création d’une formation qualifiante. C’est chose faite : les premiers étudiants sortants viennent de recevoir leur titre.

- Pascale Meunier