Des patients aux commandes
Boureima Ouedraogo et Irène Balcers, Eric Cazes, Nour Eddine M’Rabet, Simon Elst
Santé conjuguée n°92 - septembre 2020
Parce qu’il est né de la volonté et du travail d’un groupe de patients, le projet de la maison médicale Racines de Forest a quelque chose d’inédit : chaque élément de l’édifice a été pensé par l’intelligence réunie de professionnels de la santé et de bénéficiaires de soins. Aujourd’hui, elle est fonctionnelle et continue d’être pilotée par ses patients.
Nos aventures ont commencé en février 2018 lorsque notre médecin de famille, le Dr Éric Cazes, dût quitter son précédent projet. Souhaitant le garder comme médecin traitant, nous fumes une poignée à le suivre, sans même savoir vers quoi nous allions. Il nous avait juste invités à réfléchir avec lui à un nouveau projet collectif, en partant d’une page blanche. Portés par un véritable engouement et une solide volonté d’aboutir, nous n’avons pas tardé à tracer les contours de notre objectif : la création d’une maison médicale1. Ce projet citoyen, considérant la collaboration entre thérapeutes et bénéficiaires de soins comme essentielle, s’est construit au fil de fréquentes réunions en groupe de travail et grâce à l’expertise particulière de chacun. Comme il était indispensable de former au plus vite une équipe interdisciplinaire complète, très tôt notre collectif s’est vu enrichi de nouvelles recrues : Ioanna Goumas, assistante en médecine générale ; Isabelle Crasset, accueillante et gestionnaire ; Juliette Bienvenu, kinésithérapeute. Lors des entretiens d’embauche menés conjointement, l’accent fut mis sur la motivation et l’engagement à participer pleinement à la création de la maison médicale. Le processus que nous avons ainsi animé ensemble a fortement renforcé le lien entre professionnels et patients, ces derniers veillant dès les prémisses à la coconstruction d’une structure de santé au plus proche de leurs idéaux. Dans ce contexte, notre groupe de travail s’est baptisé La Famille.
Un chemin pavé de mots
Nous avons identifié les valeurs sous-tendant nos idéaux. Tout naturellement, cinq d’entre elles se sont imposées comme des valeurs communes, partagées dès l’éclosion du projet. Cinq comme les cinq doigts de la main : respect, confiance, écoute, engagement et conscience professionnelle. Ces valeurs ont soutenu le travail du groupe depuis le début. Elles devraient toujours constituer les lignes directrices du projet et pour ne jamais les perdre de vue, nous les avons intégrées dans le nom et le logo de la maison médicale, en y incorporant d’autres tout aussi importantes à nos yeux. Ces valeurs s’articulent sur un arbre, symbole de la commune où la structure devait être implantée. Elles forment l’acrostiche « R A C I N E S » : -Respect : entre chaque personne, thérapeutes et bénéficiaires confondus. -Accessibilité garantie pour tous et toutes : aux soins, à la prévention et à l’information, tant dans le cadre des soins que celui du fonctionnement de la maison médicale. -Confiance : du patient en sa maison médicale, du soignant en l’expertise de son patient. En effet, lorsqu’elle s’établit, la relation de confiance devient réciproque. -I, le tronc de l’arbre : arbre de vie, symbolisant aussi notre enracinement dans la commune de Forest. -Nouveau : car nous opérons un changement, voire une révolution ! Les patients sont acteurs, responsables de leur santé. De véritables « patients partenaires » dans leurs soins et au niveau micro du système de santé 2. -Engagement actif des patients et soignants pour un changement sociétal : tous s’engagent, personne n’est engagé. -Solidarité : qualité de notre démarche humaniste vers une justice sociale et un accès à la santé pour tous et toutes. Au regard de ces valeurs, nous allions viser des stratégies permettant de réduire le frein économique à l’accès aux soins (financement au forfait), de maximiser le temps disponible de nos thérapeutes auprès des patients (mutualisation des tâches administratives entre les travailleurs), et d’inclure pleinement les patients dans la gouvernance de la maison médicale.
La « Famille » au travail
De février 2018 à ce jour, les réunions du groupe de travail ont eu lieu en moyenne deux fois par mois, parfois enrichies de l’appui de personnes-ressources et de partenaires externes. La diversité des compétences en présence a donné une couleur particulière à cette dynamique : un élan plein de vie, palpitant. Nous nous sommes peu à peu découverts patients experts, citoyens actifs et acteurs en santé. À travers ce projet, nous aspirions désormais à redéfinir notre place dans un système de santé : une place s’inscrivant davantage dans un modèle de société durable, plus juste et plus équitable. Voici un aperçu de travaux auxquels notre Famille s’est attelée : définition de la composition de l’équipe ; échanges autour du projet avec divers acteurs (politiques forestois, autres maisons médicales, Ligue des usagers des services de santé, Fédération des maisons médicales, asbl Forest Quartier Santé) ; recherche de locaux et supervision des rénovations ; rédaction des statuts de l’asbl ; élaboration du plan financier, recherche de subsides et d’aides, défense d’un dossier de demande de crédit ; présentation à l’assemblée générale de la Fédération comme membre ; définition des horaires d’ouverture et de travail ; intégration de nouveaux partenaires (travailleurs bénévoles assurant l’accueil, stagiaires en santé communautaire…). Nous avons mené ce travail de manière démocratique et conviviale. Grâce à l’intelligence collective du groupe, il a fini par aboutir : le 10 février 2020, la maison médicale Racines de Forest était inaugurée.
Des patients à tous les étages
La maison médicale a été cofondée par dix-sept patients et cinq professionnels de santé. Elle propose à tous les bénéficiaires de soins une place particulière dans son fonctionnement : en effet, à l’instar du groupe de travail originel, les autres comités et organes aux mandats ponctuels ou permanents sont tous composés de patients et de travailleurs. C’est le cas de l’assemblée générale qui comporte actuellement sept membres effectifs : quatre travailleurs et trois patients, ces derniers étant élus par les bénéficiaires de soins de la maison médicale afin de les représenter. Tout patient ayant adhéré à la charte de la maison médicale peut devenir membre adhérent (voix consultative). Le conseil d’administration est constitué de trois travailleurs et de deux patients. Nous avons souhaité assurer structurellement un rôle central et une responsabilité réelle des patients vis-à-vis du fonctionnement de notre centre de santé, ainsi qu’une participation à son évaluation. Cette organisation a aussi été pensée dans le respect du secret professionnel, du secret médical, et en conformité avec le règlement général sur la protection des données. Si nous avons voulu que les patients soient présents à tous les étages, un seul temps de rencontre fait exception : celui des réunions interdisciplinaires. Cependant, ils sont loin d’être exclus du terrain. Qu’il s’agisse de promotion de la santé ou de prévention, de l’identification d’un besoin, de l’élaboration d’une activité, la maison médicale peut compter sur sa communauté. N’est-ce pas finalement cela, le cœur de la santé communautaire ?
Questions ouvertes
En tant que patient partenaire, penseur et gestionnaire, le patient agit comme acteur de changement. Il détient les clés pour contribuer à influencer favorablement et durablement les facteurs de santé au sein de son environnement. Ce rêve s’est concrétisé en notre maison médicale, mais de nombreux défis nous attendent. Comment, par exemple, accueillir de nouveaux patients en assurant une intégration de ceux qui le souhaitent dans notre dynamique particulière ? Il n’est pas simple de prendre le train en marche… L’avenir nous réserve son lot de réflexions et de discussions, mises en attente dans ce contexte particulier de pandémie.
Documents joints
- « Tout être humain a le droit et le devoir de participer individuellement et collectivement à la planification et à la mise en œuvre des soins de santé qui lui sont destinés », article 4 de la Déclaration d’Alma- Ata sur les soins de santé primaires, 1978.
- D. Lecocq, M. Laloux, A. Néron, « Le partenariat patient : une pratique collaborative innovante incluant le patient partenaire », Santé conjuguée n° 88, septembre 2019.
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n°92 - septembre 2020
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