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Expérience en Nouvelle Zélande


Santé conjuguée n° 72 - septembre 2015

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Il est difficile de comprendre un système de santé quand on ne le vit pas de l’intérieur, à travers un regard de patient ou de soignant. L’approche ‘santé publique’ est certes utile pour comprendre, mais les chiffres ne sont pas le reflet exact du vécu des utilisateurs. Dans cet article, un jeune médecin raconte une expérience vécue en Nouvelle-Zélande : de quoi apporter de nouvelles idées et tordre le cou aux «c’est mieux ailleurs».

Au pays des Kiwis

J’ai récemment eu l’occasion de voyager en Nouvelle-Zélande et par hasard, y accompagner une amie devenue patiente au travers de leur système de santé. Médecine efficiente et evidence-based, publications scientifiques, technologies de pointe, subsidiarité… Les fantasmes du monde anglo-saxon flottaient dans mon esprit et j’étais curieuse de vivre cette expérience que voici. Le centre de soins primaires dans lequel nous atterrissons est un ‘projet pilote’, visant à l’intégration des services, situé dans une petite ville de l’île du Sud au doux nom de Takaka. Une porte automatique s’ouvre sur un beau bâtiment de la taille d’une « polyclinique ». A l’accueil, une secrétaire souriante nous demande de préciser le motif exact de consultation. Premier constat : la question de la confidentialité ne semble pas être considérée de la même façon que chez nous ! Elle nous propose de voir une infirmière, plus vite accessible et moins chère qu’un médecin, ou d’attendre le médecin. Le système permet donc un « tri » infirmier, mais sans obligation pour le patient. S’il juge qu’il a un problème « simple » à régler, ou s’il ne veut pas dépenser trop d’argent, il a un accès à une infirmière « de première ligne », practice nurse, qui, selon des guidelines bien établis, peut régler des problèmes de santé courants (infections respiratoires par exemple, mais aussi frottis de col et autres actes techniques). Nous choisissons l’option médecin, car le problème de santé de mon amie est complexe. Nous avons un rendez-vous le lendemain. J’en profite pour visiter le centre avec une infirmière qui accepte de me donner du temps, et découvrir de quoi il est composé : Les urgences, avec quelques lits, du matériel pointu de réanimation et des infirmières spécialisées prêtes à intervenir aux côtés des médecins généralistes ; La maternité, tenue par les sages-femmes, qui demandent parfois l’aide des médecins généralistes (cependant l’infirmière me confirme que les sages-femmes sont en général « meilleures » que les médecins généralistes dans ce domaine). Un transfert en hélicoptère vers l’hôpital (la région est montagneuse) est possible en cas de besoin. Quelques lits d’hospitalisation, pour des « cas simples » me dit-on (je n’ai pas pu précisément comprendre de quoi il s’agissait). Les médecins généralistes gèrent cette petite salle mais des spécialistes viennent donner un avis une fois par semaine. Et enfin la médecine générale telle qu’on la connait en maison médicale, avec des infirmières, des médecins, des psychologues, des kinésithérapeutes, des diététiciennes et des travailleurs sociaux. Ici, un(e) infirmie(è)r(e) peut se spécialiser dans différents domaines, dont la « première ligne », et devenir practice nurse. Certain(e)s choisissent de se sur-spécialiser par la suite en devenant nurse practitioner. Les nurse practitioner peuvent travailler en autonomie et choisissent une compétence particulière : suivi de patients diabétiques, asthmatiques ou atteints de bronchopneumopathie chronique obstructive…certain(e)s ont des cabinets indépendants en ville, se substituant parfois aux médecins généralistes. Dans ce centre, il n’y a pas de nurse practitioner, seulement des practice nurses, qui ont un travail plus complémentaire avec celui du médecin. Lorsque je demande à l’infirmière ce qu’en pensent les médecins elle me répond qu’en général, si on est dans une zone en pénurie, les médecins accueillent les nurse practitioner avec plaisir, tandis que dans des zones urbaines, des phénomènes de concurrence viennent parfois saboter les relations… Mon amie est reçue par une gentille généraliste, qui lui prescrit une échographie (deux semaines de délais, dans un autre centre) et une biologie. Montant total de la visite et des examens : 200 euros, car mon amie n’est pas résidente. La médecin généraliste l’appelle quelques jours plus tard pour lui donner les résultats par téléphone. Mon amie se sent bien prise en charge et se dit contente du système. Point-flash sur le système de santé en Nouvelle Zélande : • Rôle central du Gouvernement. Division en 20 District Health Boards, DHBs (conseils de santé) géographiques, comprenant sept membres élus par la population locale et quatre membres désignés par le ministère de la Santé. Ils organisent les soins du système public. Il y a une coexistence d’un système public et privé. Les dépenses sont largement couvertes par le Gouvernement (via les impôts) pour les résidents. • Les soins de santé primaires sont gratuits pour les enfants de moins de six ans, et sont subsidiés pour 98% de la population. Les patients payent leurs soignants à l’acte, mais le Gouvernement co-finance les pratiques selon un système de capitation pour développer la promotion de la santé, la coordination de soins, élargir les services pour les patients « chroniques » et diminuer les barrières financières pour les patients en difficultés. Les généralistes reçoivent également des fonds en fonction de l’atteinte de critères de qualité et de cibles en rapport avec le dépistage des cancers, du diabète, des problèmes cardio-vasculaires ou des taux de vaccinations. • Les généralistes sont des gatekeepers : il faut obligatoirement passer par eux pour avoir un accès aux spécialistes. La plupart d’entre eux sont indépendants. Ils travaillent le plus souvent en équipe avec des practice nurses. Ces infirmières ont un rôle important pour le suivi des patients chroniques (exemple : diabétiques). Il n’y a pas d’obligation formelle d’avoir un enregistrement des patients, mais celui-ci donne accès aux subsides de l’Etat. Les patients choisissent librement leurs médecins généralistes. • Coût moyen à charge du patient d’une consultation chez le médecin généraliste dans les pratiques subsidiées : 20-25 euros ; dans les pratiques non subsidiées la moyenne est de 40 euros. • Les médicaments sont gratuits en dessous de six ans, et il y a une petite participation du patient après cet âge, avec un plafond. La moyenne est de 10 euros à charge du patient. • Les hôpitaux publics sont gratuits, mais les pratiques privées sont parfois accessibles plus rapidement et offrent plus de choix ; elles sont donc utilisées par une partie de la population. • L’organisation de la garde diffère en fonction des régions. Il existe un service téléphonique fonctionnant 24h/24 géré par des infirmières qui donnent des conseils généraux.

Le changement de paradigme

La réorganisation de la médecine générale est sur toutes les lèvres. Mais comment faire sans perdre de la qualité ? D’un point de vue « soignant », les infirmières que j’ai rencontrées semblaient satisfaites de leur fonctionnement en équipe. Elles ne ressentaient pas de conflits « corporatistes » vis-à-vis des médecins, ou uniquement avec certains individus. Du point de vue patient, elles ne semblaient pas voir le problème de la « fragmentation des soins » que je voulais aborder : comment peuvent-ils se sentir « globalement pris en charge » s’ils passent d’abord par un « tri » avant de voir le docteur ? …Une infirmière m’a quand-même confié, après le départ de ses collègues, qu’elle préférait quand sa médecin généraliste travaillait seule plutôt que d’aller dans un gros centre plus impersonnel comme elle doit le faire maintenant… Ceci ouvre la réflexion sur le champ de compétence des généralistes belges, et sur la réorganisation des tâches au sein de toute la première ligne. L’évolution de la profession infirmière est une piste. Cependant l’idée d’utiliser la différence de salaire entre médecins et infirmières pour réduire les coûts et orienter le patient m’a paru inadaptée à nos valeurs d’accessibilité et à notre mode de fonctionnement. L’orientation des patients au premier contact est un autre point qui mérite débat. L’idée d’intégrer le suivi de grossesse semble intéressante et soulève la question d’engager des sages-femmes dans nos maisons médicales. Par contre, l’accouchement ou les hospitalisations ne semblent pas applicables au contexte belge où les hôpitaux sont plus accessibles géographiquement que dans cette région de Nouvelle-Zélande.

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 72 - septembre 2015

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