Le 14 octobre 2018, nous sommes appelés aux urnes pour élire les conseillers communaux qui deviendront, pour les six prochaines années, les bourgmestres et échevins de nos communes. Mais pour qui voter ? Et si cette fois je votais pour la santé ?
Les pouvoirs locaux ont des compétences spécifiques en matière de santé. Lieu de vie et échelon de proximité, la commune a des choses à faire en matière de santé. La première est d’étudier son terrain, d’analyser qui sont ses citoyens, leurs caractéristiques. De quoi ont-ils besoin ? Ensuite il s’agit de mettre en place un plan d’action santé pour renforcer les points forts et atténuer les points faibles, de nommer une personne et des organes qui mettront en œuvre ce plan, qui prendront en main les grands enjeux.Dresser les constats
Chaque commune est unique, chaque territoire a ses particularités. Dresser les constats peut se faire de mille manières différentes : en parlant aux citoyens, en faisant appel aux études réalisées par les asbl, les universités ou les mutuelles, en interagissant avec les observatoires de la santé ou les centres locaux de la promotion de la santé. La Fédération des maisons médicales a fait son propre travail d’analyse et renvoie les éléments suivants, à nuancer et à détailler selon les spécificités de chaque commune.- Des déterminants de la santé qui se dégradent. Augmentation des maladies chroniques, des maladies mentales, souffrances physiques et psychiques… Dans les maisons médicales, les acteurs de première ligne sont quotidiennement témoins de la dégradation de l’état de santé d’une frange de la population qui s’enlise dans des problématiques de plus en plus complexes. Si, en comparaison avec d’autres pays européens, la situation de la Belgique en termes d’inégalités sociales et de performance du système de santé est actuellement acceptable, on constate cependant une croissance du nombre de personnes proches du seuil de pauvreté, avec des disparités régionales importantes. Les conditions socio-économiques influencent fortement la santé. Les écarts sont très marqués (en termes d’espérance de vie, de mortalité infantile, d’obésité, d’assuétudes, d’activité physique, de support social…). Mais les « pauvres » ne sont pas les seuls concernés. Dégradation des conditions de travail, hyper responsabilisation des individus, crise du logement, délitement du lien social… Les constats de détérioration des déterminants sociaux de la santé sont connus et pèsent sur la santé de nos concitoyens. Agir sur ces déterminants et lutter contre les inégalités sociales nécessite une synergie entre « biomédecine » et promotion de la santé. Or, l’éclatement des compétences suite à la sixième réforme de l’état et le manque de structure de la première ligne nuisent fortement à l’évolution d’une politique de santé globale et cohérente.
- Une marchandisation du système de soins de santé. Les politiques en santé de ces dernières années, justifiées budgétairement, recouvrent en fait un projet de société où la marchandisation des soins est devenue la norme. En 2017, 900 millions d’euros d’économies ont été réalisées sur le budget des soins de santé. C’est le patient qui paie : diminution du remboursement de certains médicaments, réduction drastique des remboursements pour les personnes souffrant de fibromyalgie, moratoire sur le passage au forfait, mesures d’économies imposées aux hôpitaux compensées par des suppléments d’honoraires qui font s’envoler les primes d’assurance hospitalisation, augmentation du ticket modérateur chez les spécialistes… L’accessibilité des soins est mise à mal. Aujourd’hui, une part importante de la population reporte ou renonce à ses soins de base pour des raisons financières. Le sous-financement des soins de santé, la privatisation et la marchandisation des soins mettent en danger notre système de soins de santé équitable et solidaire. Il risque d’être remplacé par un modèle d’assurances privées à visées lucratives avec sélection des risques… ce qui favoriserait l’éclosion d’une médecine à deux vitesses.
- Des enjeux mal pris en compte. Notre système de santé doit faire face aux enjeux du vieillissement de la population qui va de pair avec le développement des maladies chroniques, dans un contexte de pénurie de soignants. De nouvelles politiques de santé sont lancées (plan maladies chroniques, psy 107, hospitalisation à domicile…), elles visent à ramener les patients vers la première ligne de soins, mais elles manquent d’articulation et de cohérence territoriale. Elles sont également insuffisamment financées. Au lieu d’un soutien à la première ligne existante, on assiste à la création d’une première ligne bis, construite à partir des hôpitaux : c’est l’hospitalo-tentacularisme.
Écrire un plan d’action
Comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS), nous affirmons que seul un système de santé basé sur une première ligne efficiente et une pleine accessibilité (financière, culturelle, temporelle, ou géographique) pourra répondre à ces défis. La clé de voûte de ce système est la relation humaine, thérapeutique, entre des patients éclairés et des équipes de soignants de première ligne compétents et empathiques. Cela permettra de maintenir la qualité de notre système et de développer une réelle approche « globale » de la santé des citoyens. Le modèle développé par les maisons médicales permet d’apporter des réponses concrètes à ces nouveaux défis. Le dire ne constitue pas en soi un plan d’action. Il s’agit de pointer toutes les actions possibles, de les prioriser, et de les planifier. Si, à l’horizon 2030, trois médecins généralistes d’une entité prennent leur retraite, il importe pour les pouvoirs publics de prévoir la mise à disposition de bâtiments pour une maison médicale dès 2029, ce qui nécessite une construction ou une rénovation qui prend forcément du temps. Nommer les personnes responsables et leur zone d’influence L’état de santé d’une population est influencé par des facteurs biologiques et génétiques, par les soins de santé qu’elle peut recevoir, mais surtout par les déterminants sociaux de la santé (dont la part est évaluée entre 70 et 80% selon les études). Il s’agit, entre autres du niveau de revenus, du statut social, des réseaux dont bénéficie le patient, du niveau d’éducation et d’alphabétisme, de l’emploi et des conditions de travail, de l’environnement social, de l’environnement, des habitudes de santé, des capacités d’adaptation personnelles, du développement de la petite enfance, du genre, et de la culture. Ces matières sont actuellement déconnectées des politiques de santé. Nous prônons une plus grande transversalité et donc un décloisonnement des domaines politiques. Et nous demandons, conformément aux recommandations de l’OMS, la mise sur pied d’une approche intersectorielle des politiques publiques afin d’analyser les conséquences sanitaires de chaque décision, dans une perspective de santé globale. Une manière de le faire est de nommer un échevin de la Santé à la fois responsable de la mise en place du plan et garant de la prise en compte des enjeux santé dans toutes les décisions. La concertation est au cœur du système démocratique belge. Force est de constater qu’elle s’est dégradée ces dernières années. Il est urgent de la réinstaurer, y compris au niveau le plus local. Il faut entendre les professionnels de terrain, mais un système de santé répondant au mieux aux besoins de la population et proposant des services adéquats requiert également la participation citoyenne dans l’élaboration des politiques de santé. Valoriser les personnes en prenant en compte leur parole et leur vécu aura déjà pour effet d’améliorer le bien-être de la population. C’est pourquoi nous demandons d’établir des liens entre les services/les usagers et les autorités communales, de mettre en place et de faire vivre des commissions consultatives en matière de santé. Pour les professionnels, nous demandons que les acteurs santé de l’entité soient régulièrement réunis et nous soutenons la mise en place de coordinations sociales communales intégrant les acteurs de l’ambulatoire et de première ligne.Répondre aux grands enjeux
Trois enjeux majeurs vont impacter la santé au niveau local.- Le développement de pratiques de groupes. Le secteur des maisons médicales connait une importante croissance depuis plusieurs années. Cela s’explique par le souhait d’une part croissante de la population de se faire soigner en maison médicale et par l’envie des prestataires de soins de première ligne de travailler dans de telles structures. Le modèle maison médicale semble en outre constituer une partie de la solution au problème de pénurie de soignants de première ligne, en milieu rural notamment. Cette croissance et ce développement doivent être compris comme un processus de changement social et sociétal dans les soins de santé. Nous proposons que les communes soutiennent la création de centres de première ligne intégrés, par exemple par la mise à disposition de locaux pour des équipes pluridisciplinaires, par des baux emphytéotiques sur des bâtiments communaux, par l’intégration dans les réseaux communaux, par l’octroi d’une bourse aux maisons médicales en gestation pour faire face aux frais de consultance nécessaires (comptable, notaire, juriste, architecte, fiscaliste…). Il ne nous semble en revanche pas souhaitable que la commune gère elle-même la maison médicale.
- Améliorer l’accessibilité. Pour garantir l’accessibilité aux soins, les maisons médicales ont, pour grand nombre d’entre elles, choisi un financement au forfait (tandis que dans les maisons médicales à l’acte, le tiers payant est largement pratiqué). Mais ce n’est pas suffisant. L’échelon communal peut mettre à disposition une série de soutiens pour améliorer l’accessibilité géographique (taxi social), culturelle, linguistique (mise à disposition de traducteurs), au niveau de l’aide médicale urgente (en standardisant les procédures).
- Une informatisation raisonnée, au service de l’humain. L’informatisation de la santé s’accélère. Elle permet une meilleure continuité des soins, une diminution des examens répétés et non nécessaires, une amélioration de la communication entre professionnels de santé, une accessibilité des données pour les patients. Cette informatisation comporte cependant des risques. Pour les patients : aggravation de la fracture numérique, multiplication des sources d’information et des applications santé sans contrôle de qualité, demandes de consentement pour le partage des données de santé sans explications ou avec explications insuffisantes (ce qui en fait un consentement non éclairé). Pour les professionnels : altération de la relation thérapeutique liée au temps consacré à la gestion informatique, avec risque de bureaucratisation des professions. D’une manière générale : conservation incertaine des données, risques liés au secret professionnel et à la confidentialité des données (perte, vol, usage abusif). Les prochaines années verront aussi d’autres révolutions : développement de l’intelligence artificielle, robotisation de certaines tâches, assistance au diagnostic ou au traitement (notamment chirurgical). À l’heure actuelle, ni le cadre juridique ni la formation des soignants ne sont adaptés à ces changements majeurs. Tout n’est pas de la responsabilité du niveau local ; celle-ci reste circonscrite aux services de proximité, par exemple la promotion des initiatives visant à diminuer la fracture numérique au sein de la population.
Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n°84 - septembre 2018
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