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Maisons médicales, médiations-nous ?


Santé conjuguée n° 68 - juillet 2014

A la question « Organisons-nous un service de médiation pour nos patients ? », Yves Nyssen se dit, en première intention : « Mais, bien sûr ! »… Puis deux histoires lui reviennent à l’esprit. Deux histoires qui laissent à penser que la médiation n’existe pas dans les maisons médicales. Mais que ces dernières gagneraient à lui laisser un peu de place…

La première histoire se passe un vendredi soir. Un grand monsieur costaud se présente au comptoir. Il a « commandé » une ordonnance la veille. L’accueillante lui dit que l’ordonnance n’est pas faite car son médecin attendait monsieur le matin même pour un rendezvous, auquel il ne s’est pas présenté, sans s’excuser. Le Dr pensait certainement faire l’ordonnance lors de ce contact trop matinal. Il est maintenant parti. Devant ce refus, le monsieur change de tête. Il pousse un cri de rage qu’on pourrait traduire par : « Je suis très fâché ! C’est toujours la même chose ! Je suis très frustré ! Comment vais-je faire sans mes antidouleurs pour le week-end ! Il n’y a pas moyen d’obtenir quelque chose de simple et évident pour moi !… ». L’accueillante apeurée veut lui proposer de demander la prescription à un autre médecin, mais elle n’en a pas le temps. Le molosse se retourne, shoote dans le malheureux porte-parapluie ( qui ne s’en relèvera pas ) et s’en va en claquant la porte. Le lendemain, nous en parlons en réunion. Doit-on désinscrire ce monsieur ? Nous décidons finalement, de le « convoquer » au conseil d’administration de la maison médicale pour discuter de l’incident. Seconde histoire, également un vendredi soir… Une petite dame vient à l’accueil pour reprendre une ordonnance demandée la veille à son médecin traitant. Lequel, justement derrière le comptoir, lui dit qu’il voudrait discuter du traitement de somnifère avec la dame en consultation, puis il s’en va, sans avoir rédigé la prescription. La dame demande donc rendez-vous le lundi matin. Mais sa dernière boite était tout à fait vide, elle n’a pas eu le temps ou pas osé le dire au Dr. Elle pense : « Le week-end va être difficile sans mes cachets pour dormir. Si j’avais su, j’aurais demandé à voir mon docteur ce matin ». Elle ne se sent pas très prise en compte dans son besoin.

Ceci n’est pas de la médiation

On pourrait croire que dans la première histoire, nous avons entamé un processus de médiation. C’est faux. Nous avons engagé une procédure, classique pour nous, de gestion de conflit et de répression de l’agressivité. Nous sommes dans une logique de protection ( bien légitime, certes ). La convocation au conseil d’administration ( ou à une réunion avec les protagonistes et un tiers de l’équipe ), si elle est honorée, s’apparentera plus à un sermon qu’à de la médiation ( neutralité et impartialité discutable, manque d’indépendance, notion de pouvoir, etc. ). Il faut avouer que c’est quand même, par expérience, souvent très riche, car on retisse le lien avec ce patient que nous étions prêts à désinscrire. Nous évitons ainsi de nouveaux conflits avec les usagers peu tolérants à la frustration. Mais cette procédure n’est pas de la médiation. Dans la deuxième histoire, on se protège également en évitant soigneusement de prendre en compte le regard critique que cette patiente calme pose sur nos attitudes de travail. La dame sait-elle qu’un médiateur fédéral est là pour recevoir une de ces plaintes ? J’en doute. Serait-ce la solution ? J’en doute également. En résumé, nous n’organisons pas de service de médiation, à l’heure actuelle, en maison médicale. Et, dans mon centre de santé, quand un conflit survient, si un membre de l’équipe se plaint, nous réagissons. Quand c’est un patient, cela arrive parfois aussi, mais c’est beaucoup moins évident. La médiation pour plus de qualité Pourtant le secteur des maisons médicales est propice aux incidents et autres mésententes. Notre mode de fonctionnement nonhiérarchisé pose parfois question. Nous entendons souvent : « Je veux parler au directeur ou à un supérieur ». Nous ne savons pas toujours comment réagir à cette demande. De plus, la population soignée étant relativement particulière, nous sommes quotidiennement face à des problèmes de compréhension de la langue, à des différences culturelles et de représentations sur nos métiers, à la mauvaise image des gens sur euxmêmes, à des attentes démesurées par rapport à ce que nous nous sentons capables d’offrir, à de gros problèmes financiers… Autant de facteurs de risques d’incidents. La gestion de conflits graves ( comme dans la première histoire ) dépasse la notion de médiation en première ligne de soins qui occupe cette réflexion. Par contre, la nonréception ou la non-réponse aux plaintes légitimes de patients ( comme dans la seconde histoire ) peut s’interpréter comme un abus de pouvoir de nos institutions et de nos professionnels sur les patients ne respectant pas totalement leurs droits ( loi sur les droits du patient de 2002 ). Rendre une procédure de réception et de gestion de plaintes accessible à nos usagers ne ferait qu’améliorer la qualité de nos soins. Mieux encore, aider les patients comme cette petite dame à se sentir de droit à la légitimité pour s’y adresser. La simple information des patients sur leurs droits et sur l’existence d’un médiateur fédéral pour la première ligne de soins est une petite première étape. Celle-ci passe en premier lieu par l’information de chaque membre de nos équipes. Mais cette première étape semble déjà trop courte. Il paraît important d’établir une procédure simple de réception de plainte. Et comme le problème de l’écrit se pose pour beaucoup de patients, la possibilité de déposer une plainte de manière orale devrait exister. Irions-nous, alors, vers de meilleurs services, sans pour autant nous éloigner des contraintes pratiques de nos métiers et des cadres de nos organisations ? Par ce feed-back, serions-nous stimulés à une meilleure écoute des attentes des usagers, voire encore un peu plus d’humanité ? Ou, tout simplement, serions-nous plus près de nos patients, de leurs représentations et de leurs droits ? Par ailleurs, il n’y a à ce jour aucune procédure de médiation en maison médicale. Quand un conflit se pose avec un patient, même s’il ne se gère pas vraiment et que nous ne faisons qu’en discuter en équipe, c’est déjà se questionner sur la manière dont nous travaillons. Faire de la médiation serait intéressant et utile pour améliorer notre service et, de manière plus globale, le secteur de la santé. Il s’agirait de mener une vraie réflexion sur les représentations respectives du corps médical et de nos usagers, sur nos incompréhensions et nos désaccords.

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n° 68 - juillet 2014

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