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Plaidoyer

Malgré ses promesses écologiques, l’Union européenne nous montre que, dès qu’il s’agit d’agir concrètement, elle recule

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À travers leurs (in) décisions, nos décideurs forcent une “pause environnementale” – pour ne pas direrégression – et sabotent nos dernières chances de préserver la stabilité de la biosphère, compromettant ainsi à moyen terme l’habitabilité de notre Terre. En réaction, les acteurs de la santé et de l’environnement s’allient.

Une opinion rédigée par la Cellule environnement de la SSMG et signée par un collectif réunissant des acteurs de la santé (Fédération des maisons médicales, médecins généralistes, mutualités libres…) et de l’environnement (Canopea, Nature&Progrès, l’UNAB, Natagora). 


Report sans date de la révision du règlement sur les produits chimiques dangereux (REACH), ré-approbation du glyphosate pour 10 ans,  rejet du règlement sur la réduction des pesticides (SUR) en première lecture au Parlement européen, revue à la baisse de la loi de restauration de la nature et du futur traité de lutte contre la pollution plastique, proposition irresponsable de dérégulation des nouveaux OGM, etc.

Ces derniers mois, l’Union Européenne a multiplié les décisions irresponsables sur des textes clés du Pacte vert européen. Malgré ses engagements visant à s’orienter sur la voie de la transition écologique, l’UE nous montre que, dès qu’il s’agit d’agir concrètement, elle recule. Report sans date de la révision du règlement sur les produits chimiques dangereux (REACH), ré-approbation du glyphosate pour 10 ans, rejet du règlement sur la réduction des pesticides (SUR) en première lecture au Parlement européen, revue à la baisse de la loi de restauration de la nature et du futur traité de lutte contre la pollution plastique, proposition irresponsable de dérégulation des nouveaux OGM, etc.

À travers leurs (in) décisions, nos décideurs forcent une “pause environnementale” – pour ne pas dire régression – et sabotent nos dernières chances de préserver la stabilité de la biosphère, compromettant ainsi à moyen terme l’habitabilité de notre Terre. En s’abstenant dans des votes cruciaux ou en votant contre ces textes clés, nos représentants n’ont rien fait pour empêcher cette marche arrière.

Pourtant, les faits scientifiques confirment un peu plus chaque jour qu’il nous faut urgemment réduire la production et l’utilisation de produits chimiques, pour limiter l’impact de la pollution sur la santé et l’environnement. L’introduction de nouvelles substances créées par l’homme dans l’environnement (pollution chimique) contribue à l’une des six limites planétaires qui sont aujourd’hui dépassées. (1, 2)

Face à cette inaction, de plus en plus de scientifiques se mobilisent aux côtés de la société civile pour interpeller les gouvernements. Récemment, près de 300 scientifiques belges et néerlandais ont demandé de ne pas voter pour la ré-approbation du glyphosate au nom de la science (3). Leur message est unanime et clair : si nous n’agissons pas maintenant pour préserver notre planète de cette pollution chimique, les conséquences sanitaires et environnementales seront dramatiques.

Le coût de nos pollutions

Si les arguments sanitaires et environnementaux ne sont pas suffisants pour convaincre les décideurs, les estimations chiffrées des coûts financiers des produits chimiques pour la société devraient à tout le moins les convaincre de réviser le règlement sur les produits chimiques dangereux, d’adopter un plan de réduction des pesticides ambitieux ou encore d’interdire le glyphosate…

Une équipe de chercheurs franco-belges a estimé les coûts liés aux dégâts collatéraux des pesticides. Rien que pour la France, ces coûts sont estimés à un minimum annuel de 372 millions d’euros (pour l’année 2017) et pouvant s’élever à 8,2 milliards d’euros. (4) Le coût des perturbateurs endocriniens – que l’on trouve notamment dans les pesticides et de nombreux plastiques – quant à lui, a été évalué à plus de 163 milliards d’euros par an dans l’Union Européenne. (5)

Enfin, une étude de la Commission européenne, elle-même, a souligné les bénéfices économiques potentiels de la révision du règlement sur les produits chimiques dangereux. Selon celle-ci, les économies annuelles de l’Union européenne, résultant des mesures de retrait envisagées, pourraient atteindre entre 11 et 31 milliards d’euros. En comparaison, le coût pour les secteurs industriels concernés serait environ dix fois moins élevé, compris entre 0,9 et 2,7 milliards d’euros par an. (6)
Un lobbying réussi

Malgré l’urgence environnementale et sanitaire (7) et les nombreuses données factuelles publiées par la communauté scientifique, force est de constater que les géants du secteur de la chimie ont réussi leur lobbying. Ainsi, les entreprises telles que Bayer, ExxonMobil Petroleum&Chemical, Dow Europe, BASF, Syngenta… ont déclaré avoir dépensé 33,5 millions d’euros en lobbying auprès des institutions européennes au cours de l’année passée (8). Près de la moitié de ces dépenses ont été utilisées pour faire du lobbying sur des dossiers concernant les PFAS ou REACH (9). Dépensant davantage que les secteurs liés aux technologies, à l’énergie ou à la finance, ils ont réussi à faire fléchir l’Europe en reportant ou en annulant des mesures, pourtant urgentes.

Au-delà des arguments économiques, ces entreprises n’hésitent pas à jouer avec nos émotions, notamment en brandissant la menace de l’insécurité alimentaire pour justifier la poursuite de l’utilisation des pesticides. Ces arguments ont à nouveau été analysés et déconstruits par des scientifiques de renom (11).

Au vu de ces chiffres et faits, il est évident que nous ne jouons pas à armes égales. Face à ces constats, les secteurs de la santé et de l’environnement ont décidé de s’allier. La régression des politiques environnementales et la frilosité politique que nous constatons actuellement sont choquantes et inadmissibles. Il est temps que l’expertise scientifique indépendante – celle du corps médical qui fait face aux pathologies pour lesquelles l’implication des polluants chimiques ne fait plus de doute, et celle qui chaque jour démontre les liens entre le déclin de la biodiversité et l’usage de ces polluants – supplante enfin les intérêts privés de l’industrie.

Nous appelons tous nos décideurs à prendre leurs responsabilités et à assumer le rôle pour lequel ils ont été élus : protéger et défendre la santé, l’environnement et les intérêts des citoyens.


Signataires

Quentin Mary, Président de la Société Scientifique de Médecine Générale
Julie Van Damme, Secrétaire générale Nature et Progrès
Sylvie Meekers, Secrétaire générale Canopea
Dominique Jacques, Président de l’UNAB
Gaëtan Seny, Responsable Plaidoyer Natagora
Xavier Brenez, Directeur général Les Mutualités Libres
Fédération des maisons médicales

Références

  • Katherine Richardson et al., Earth beyond six of nine planetary boundaries. Sci. Adv.9, eadh2458 (2023). DOI : 10.1126/sciadv.adh2458
  • Persson, L., CarneyAlmroth, B. M., Collins, C. D., Cornell, S., de Wit, C. A., Diamond, M. L., Fantke, P., Hassellöv, M., MacLeod, M., Ryberg, M. W., SøgaardJørgensen, P., Villarrubia-Gómez, P., Wang, Z., &Hauschild, M. Z. (2022). Outsidethe Safe Operating Space of thePlanetaryBoundaryforNovelEntities. Environmentalscience&technology, 56 (3), 1510 – 1521. https://doi.org/10.1021/acs.est.1c04158
  • Rédaction Médi-sphere. Renouvellement de l’autorisation du glyphosate dans l’UE pour 10 ans. Medi- Sphere. https://www.medi-sphere.be/fr/actualites/la-commission-europeenne-va-renouveler-l- autorisation-du-glyphosate-dans-l-ue-pour-10-ans.html.
  • Alliot C, Mc Adams-Marin D, Borniotto D and Baret PV (2022) The social costs of pesticide use in France. Front. Sustain. Food Syst. 6 : 1027583. doi : 10.3389/fsufs.2022.1027583
  • Il faut en plus noter que ces coûts sont sous-évalués puisqu’ils ne prennent pas en compte la totalité des perturbateurs endocriniens. Trasande, L., Zoeller, R. T., Hass, U., Kortenkamp, A., Grandjean, P., Myers, J. P., DiGangi, J., Hunt, P. M., Rudel, R., Sathyanarayana, S., Bellanger, M., Hauser, R., Legler, J., Skakkebaek, N. E., &Heindel, J. J. (2016). Burden of disease and costs of exposure to endocrine disrupting chemicals in the European Union : an updated analysis. Andrology, 4 (4), 565 – 572. https://doi.org/10.1111/andr.12178
  • Foucart S. En Europe, le retrait du marché des substances chimiques les plus dangereuses permettrait d’économiser entre 11 et 31 milliards d’euros par an [Internet]. Le Monde. 2023 [cité le 4 décembre 2023]. Disponible sur : https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/07/11/l-exposition-des- europeens-aux-produits-chimiques-dangereux-est-generalisee-et- alarmante_6181390_3244.html#:~ : text = Une % 20étude % 20confidentielle % 20de % 20la, 2 % 2C7 % 20millia rds % 20par % 20an.&text = Lecture % 204 % 20min https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/07/11/l- exposition-des-europeens-aux-produits-chimiques-dangereux-est-generalisee-et- alarmante_6181390_3244.html
  • Zielinski, C., &authorship group listed below (2023). Time to treat the climate and nature crisis as one indivisible global health emergency. BMJ open, 13 (10), e080907. https://doi.org/10.1136/bmjopen- 2023-080907
  • CEO, Corporate Europe Observatory, Big Toxics and their lobby firepower, 25/05/2023
  • Financial Times, The crackdown on risky chemicals that could derail the chip industry, 22/05/2023.
  • CHEMSEC, Don’t believe everything you hear — European chemical industry is doing fine, 04/10/2022
  • German Centre for Integrative Biodiversity Research, Scientists support the EU’s Green Deal and reject the unjustified argumentation against the Sustainable Use Regulation and the Nature Restoration Law, 13/06/2023

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