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Alain Maron : « une première ligne de soins bien organisée, c’est le modèle de santé le plus efficient »

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Santé conjuguée n°90 - mars 2020

À Bruxelles, les matières relatives au social et à la santé sont concentrées dans le cabinet d’un seul ministre. Les trois instances communautaires sont aussi au diapason. Une première.

L’articulation entre la commission communautaire francophone (Cocof), commune (Cocom) et flamande (VGC), c’est une nouveauté. Elle s’est imposée ? A.M. : C’est l’idée, voulue dès le départ, d’une simplification institutionnelle, quelque chose qui me tenait particulièrement à cœur, qui était porté par le parti et qui était entièrement conforme avec les discussions menées avec Groen avant les élections. L’objectif, c’était qu’une seule personne soit compétente pour le social-santé. Deux matières séparées et deux cabinets distincts comme auparavant, ça n’a pas de sens, car on est dans un système de double tutelle complète et une cogestion francophone/néerlandophone. C’est hautement plus responsabilisant. En pratique, nous partageons la même cellule et les fonctions transversales avec le cabinet de Barbara Trachte qui a les compétences de la promotion de la santé et de la famille et qui est vice-présidente de la Cocof. On a voulu aussi que l’accord social-santé Cocof soit en parfaite cohérence avec celui de la Cocom. Elke Van den Brandt me délègue les dossiers communautaires santé. La Fédération des maisons médicales salue cette initiative, qui compte parmi les recommandations de son mémorandum. Comment cela se traduit-il sur le terrain, dans le travail des institutions, avec les associations ? Des projets naissent plus facilement ? Au printemps, nous allons mettre en place les états généraux social-santé qui intègreront l’ensemble des acteurs de manière transinstitutionnelle, pour aboutir à un plan social-santé global en fin d’année. On veut un processus relativement court dans la mesure où beaucoup de choses existent déjà… On ne va pas repartir de zéro ni mettre à la poubelle le plan santé bruxellois par exemple, mais faire une mise à jour. Du travail positif a été effectué, il s’agit de l’intégrer avec le plan de lutte contre la pauvreté, etc. De nouvelles thématiques ont aussi émergé de l’accord de majorité : l’approche territorialisée, régionale évidemment, mais aussi par quartier. À voir donc comment l’impulser au mieux. La corrélation est très forte entre les problèmes d’accès aux soins, les problèmes de santé publique, d’espérance de vie, etc. et d’autre part les difficultés sociales et de revenus. En matière d’accès aux soins, il y a des différences extrêmement importantes d’un quartier à l’autre, même quand ces soins sont gratuits. Des gens retardent leurs dépenses de santé pour des raisons financières, mais le frein n’est pas que le prix, il y a d’autres types d’obstacles : l’information, la culture ou d’autres priorités familiales à gérer. Il y a un lien entre inégalité sociale et inégalité culturelle. Une de vos nouvelles compétences est la démocratie participative. Comment intégrer cette notion de participation sociale dans le plan global social-santé ? Notre idée est d’avoir un service facilitateur de toutes les démarches participatives. Elles sont nombreuses et dans de nombreux segments, et le plus connu tourne souvent autour de l’aménagement du territoire ou de l’urbanisme. Notre intention est d’aller au-delà. Nous allons travailler en plusieurs temps. Un cadastre tout d’abord de toutes les initiatives existantes pour avoir une idée des dispositifs participatifs au sein de la Région bruxelloise mis en place par l’administration régionale, par des administrations locales, par les communes, par la société civile, par le monde associatif. La mise en place ensuite d’une boîte à outils dont les opérateurs ont besoin, de ce qui peut les aider. Travailler aussi à la mise en relation de ces différents opérateurs et soutenir des initiatives plus concrètes, notamment autour d’un budget participatif. La participation sociale contient un aspect politique… À Bruxelles, il y a aussi des politiques de soutien à des structures et des projets fondés sur des bases participatives. L’idée est de les amplifier. Au niveau de l’agrément de maisons médicales, on a envie de faire du saut qualitatif, et on va aussi travailler à réformer Impulseo pour mieux cibler et cadrer les choses au profit d’une médecine de qualité dans les quartiers, de première ligne, et du déploiement de dispositifs participatifs où une politique d’autonomisation des patients est mise en place. Cela peut faire partie des critères qualitatifs, mais il faut être attentif à ne pas trop charger la barque… On a nos moyens, les opérateurs ont les leurs… Il s’agit donc à la fois d’augmenter la qualité et de les encourager, en leur donnant les moyens pour rencontrer les objectifs qu’on leur donne par l’écoute, par la participation, par du travail bottom up. C’est une question d’équilibre. Cela se fera en concertation avec les acteurs. Outre la société civile et les acteurs impliqués, l’idée est à un moment d’ouvrir à des citoyens. Le fait d’avoir récemment choisi une maison médicale pour présenter une conférence de presse relève de ce mouvement ? On sort du cabinet, on va où ça bouge et on donne la parole aux acteurs. Une maison médicale est un lieu adéquat pour parler des politiques territoriales de santé et du lien social-santé. Sincèrement, c’est difficile de trouver mieux ! Un médecin a pu expliciter l’articulation des actions qui ne sont pas toujours des actions de santé au sens strict, mais d’ordre plus communautaire, collectif, et qui sont éminemment liées. La marche par exemple. Les gens sont trop souvent à l’intérieur de leur maison avec un niveau de pollution de l’air interne trop important, dans des logements de piètre qualité qui mènent à des problèmes de santé. Comment se profile cette territorialité avec les communes, qui relèvent d’un autre niveau de compétence ? Ça va être compliqué, mais c’est un point fort de l’accord de majorité voulu par les différents partenaires. Cette approche territoriale est assumée. On va désigner les premiers référents par quartier, trouver un peu de moyens et en octroyer à un certain nombre de structures. Il devrait y avoir de nouvelles maisons médicales. A priori, on va s’appuyer aussi sur les CPAS et les coordinations sociales qui fonctionnent et travaillent par quartier ou par thématiques. La demande vient aussi de différents endroits, elle est relayée par différents partis politiques et les retours des acteurs sociaux et de santé sont positifs. On sent une volonté de le faire. Ce sera progressif, en ciblant un certain nombre de quartiers où à la fois le terreau est propice et les besoins sont avérés. On sait où les problèmes de santé publique et les problèmes sociaux sont les plus importants, Au niveau régional bruxellois ou wallon, on sent une sorte de changement de paradigme démocratique. Au niveau fédéral en revanche, on s’inquiète de l’évolution politique notamment en ce qui concerne la Sécurité sociale. Il y a plusieurs choses. D’abord, les risques globaux sur l’État fédéral et les risques sur les missions qui sont exercées par l’État fédéral, au premier rang desquelles évidemment la Sécurité sociale dans ses différents aspects. On sent bien qu’un certain nombre de partis néerlandophones sont pour une scission, en tout cas pour une limitation des mécanismes de solidarité au niveau fédéral et qu’ils sont prêts à détricoter la Sécurité sociale. Maintenant, ce qui peut-être jouera en faveur des maisons médicales, du soutien à la première ligne de soins et à l’articulation social-santé, c’est qu’il est beaucoup plus efficient de travailler en amont qu’en seconde ligne. Une première ligne de soins bien organisée, c’est le modèle de santé le plus efficient : c’est ce qui coûte le moins cher pour le meilleur résultat. C’est là la force du renforcement de la première ligne de soins, de l’approche territorialisée, de l’articulation social-santé et de la multidisciplinarité. D’un point de vue économique, cynique, on sait que les moyens financiers sont limités en dehors de la question du maintien de la solidarité au niveau belge. Il faut optimaliser. Il y a un vieillissement global de la population, une pression forte sur les coûts, le prix des médicaments qui a tendance à augmenter, etc. Il y a différents leviers d’action pour réduire les coûts sans nuire à la qualité, et sans aucun doute le renforcement de la première ligne de soins et des acteurs de terrain est le plus efficace. Il faut voir quelque chose de positif dans cette pression sur le système de soins de santé. Notre conviction, c’est que le meilleur pour les gens est aussi le meilleur pour les finances publiques : il faut renforcer la première ligne et faire en sorte que les personnes soient suivies de manière régulière, qu’elles aillent le plus rapidement possible chez un médecin généraliste dans le cas d’une médecine de première ligne, et que si celle-ci est multidisciplinaire, c’est encore mieux. Quand on liste les compétences de votre cabinet : transition climatique, environnement, énergie, etc. On pense inévitablement aux déterminants de la santé. C’est une opportunité de travailler en amont ? Des déterminants de la santé sont évidents : la qualité de l’air, la qualité du logement, l’accès à des espaces verts, à des infrastructures sportives, etc. On travaille à la qualité de l’air en cellule environnement et la justification essentielle des mesures prises relève de la santé publique. On articule aussi un ensemble de politiques comme l’accès à l’eau, à l’énergie, qui impactent potentiellement l’état de santé des habitants. La précarité énergétique et la précarité hydrique sont des dossiers gérés conjointement au cabinet par la cellule environnement- énergie et la cellule social-santé. Des acteurs de différents bords s’y impliquent : les opérateurs de l’énergie, des entreprises publiques ou privées, les distributeurs, mais aussi la Fédération des services sociaux ou la Fédération des CPAS parce qu’elles sont confrontées au problème du surendettement parfois lié à des factures énergétiques. Il faut travailler sur l’ensemble et à la fois le faire avec humilité, car, en matière de qualité de l’air par exemple, il y a un énorme rattrapage à résorber. Diminuer le taux de dioxyde d’azote, essentiellement la circulation automobile, et atteindre les taux européens et de l’Organisation mondiale de la santé, cela prendra plusieurs années. Améliorer l’état des logements à Bruxelles, c’est d’une grande complexité également. Il s’agit d’articuler le social et la santé, mais aussi l’environnemental et l’économique ? On essaie de le faire. Barbara Trache gère l’économie et nous avons des leviers relativement importants en social-santé, en économie, en transition économique et en environnement, et même en mobilité avec Elke Van den Brandt. Mais il faut bien mesurer les contraintes, notamment budgétaires, et la complexité institutionnelle, les latences, le fonctionnement administratif. Ici à Bruxelles, les Verts sont dans une posture relativement confortable, deuxième partie du côté francophone et premier du côté flamand. En même temps il ne faut pas avoir un sentiment de toute-puissance. Les choses restent compliquées, on essaie de les articuler au mieux, de changer de paradigme et de poser les bases saines et durables. Mais on ne va pas changer tout Bruxelles en cinq ans. Pour la santé, la dépendance sociopolitique fédérale reste évidente.

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°90 - mars 2020

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