Aller au contenu

Tarte à la crème

, , ,
Santé conjuguée n° 78 (Numéro spécial Congrès) - mars 2017

Nous connaissons nos démons ! Nous nous sommes méfiés de la bien-pensance dans laquelle nous sommes baignés. Le concept de néolibéralisme serait une tarte à la crème gauchiste. Nous l’avons mis à l’épreuve. Nous sommes allés à la rencontre de chercheurs, d’historiens, d’économistes, de journalistes, et même d’adversaires politiques. Contrairement à ce qu’affirme l’un d’eux, le néolibéralisme existe bel et bien. Perry Anderson1 le présente simplement comme « la dérèglementation des flux financiers, la privatisation des services publics et le creusement des inégalités sociales, cette variante du règne du capital mise en place en Europe et aux États-Unis depuis les années 80 ». C’est une définition sans doute simplificatrice par rapport à beaucoup d’analyses que nous avons partagées. Elle a le mérite de permettre de relier un concept à des faits. Nous avons pu constater que l’émergence de ce modèle répond à un projet initié de longue date. Elle n’est pas le moins du monde consécutive à des évènements ponctuels, qui seraient accidentels, imprévisibles, dans le champ de l’économie. Elle n’est pas, non plus, le résultat – malheureux mais nécessaire – d’un quelconque progrès technologique. Le néolibéralisme apparaît, il y a longtemps déjà, comme le projet d’une contre-offensive politique s’appuyant sur une transformation délibérée du système capitaliste. Cette contre-offensive s’attaque notamment aux systèmes de santé. Parce que la santé est un marché gigantesque et en croissance, mais aussi pour transformer l’accord politique sur la base duquel ces systèmes ont été analysés à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Nous avons pu montrer que le projet néolibéral vise – et obtient – un impact sur la manière de penser la santé, sur les systèmes de santé, sur leur financement, sur les comportements des soignants et sur les attitudes et la situation des usagers. Comment est-ce possible, alors qu’il nuit à l’intérêt du plus grand nombre ? A travers l’exemple des soins de santé, on constate que le projet néolibéral s’impose dans le temps par la convergence entre des actions qui impactent des niveaux différents de la réalité sociale : les mentalités, le langage, les pratiques, les règles, les structures. Il se renforce à l’occasion des crises systémiques (financières, économiques, sanitaires…). On retrouve ici toutes les caractéristiques des stratégies décrites dans la théorie de la transition. Dans cette conception, les acteurs qui poursuivent une transformation radicale de la société ont intérêt à exploiter les fenêtres d’opportunité et à construire les convergences entre des transformations au niveau micro des niches d’innovation dans les pratiques (lieu opérationnel de la transition), au niveau méso du régime dominant, des structures (lieu tactique du changement), et au niveau macro des paysages (lieu stratégique des changements de paradigme). Il n’y a pas de grand complot. Il y a un projet politique, porté par des acteurs identifiés. Nous ne parlons pas d’informations cachées, ni de sources secrètes. On peut d’ailleurs faire le parallèle avec le contexte de l’après-guerre. D’autres forces, progressistes, exploitaient le contexte pour faire aboutir dans le monde occidental le projet de systèmes publics de protection sociale. Tout ça nous conduit à considérer qu’il est possible de penser un renversement. Une stratégie de transformation du régime néolibéral. Et à considérer que la théorie de la transition peut nous y aider. Ce sera l’objet de notre prochain dossier. Revenons, pour finir, au néolibéralisme en tant que tarte à la crème ! On pense aussi à notre compatriote Georges Le Gloupier, l’entarteur. Le site de l’internationale pâtissière énonce « sept bonnes raisons, au moins, d’entarter les pompeux cornichons ». La croisade pâtissière sert, qui plus est, d’exquis révélateur. Elle informe admirablement sur la nature profonde des gustaves enfarinés. Comme l’explique avec pas mal de chien le très distingué sociologue Jean-Claude Guillebaud dans L’Obs du 20 octobre 1994 : « Fulgurante, imprévisible, la tarte à la crème est à la fois inoffensive et fatale ».

Documents joints

  1. Historien, Le Monde Diplomatique, mars 2017.

Cet article est paru dans la revue:

Lettre ouverte au Dr Margaret Chan

Les contradictions relevées résonnent aussi à l’intérieur de l’organisation. Cette lettre ouverte a été adressée à la directrice générale de l’OMS le 22 janvier 2007, soit juste avant le déclenchement de la crise financière. Avec le(…)

- Alison Katz

Néolibéralisme et politique de soins de santé

Qui oriente réellement les politiques de santé ? C’est la question posée à Denis Porignon et à Ann-Lise Guisset. Ils déclinent leur réponse à trois niveaux : global, national et individuel. Cet entretien, qui pose le(…)

- Ann-Lise Guisset, Hélène Dispas, Porignon Denis

Une influence délétère

Les petits jeux de l’industrie pharmaceutique et la déshumanisation des soins ne sont pas sans conséquence sur le sens du métier des professionnels de la santé.

- Anne Fromont, Elysee Somassé

Une journée pas si particulière

Nous avions le projet d’écrire ensemble, de décrire la réalité à partir de deux points de vue distincts pour mieux la comprendre. L’une, soignante, raconte une journée de travail. L’autre, travailleur de santé non-soignant, jette un(…)

- Christian Legrève, Hélène Dispas

Effets du néolibéralisme et services de santé de première ligne

Un des attraits de la médecine générale est ce poste d’observatoire de la société qu’elle offre. Celle-ci change de plus en plus vite, ainsi que ses habitants, porteurs de nouvelles jouissances et de nouvelles souffrances que(…)

- Dr André Crismer

Introduction

Notre congrès Retour vers le futur, les maisons médicales en mouvement, qui se tiendra en novembre 2017, sera l’occasion de jeter un regard vers le passé afin de penser l’avenir. Mais, bien sûr, ce futur que(…)

- Christian Legrève, Elysee Somassé, Hélène Dispas, Pascale Meunier, Yaëlle Vanheuverzwijn

Tarte à la crème

Nous connaissons nos démons ! Nous nous sommes méfiés de la bien-pensance dans laquelle nous sommes baignés. Le concept de néolibéralisme serait une tarte à la crème gauchiste. Nous l’avons mis à l’épreuve. Nous sommes allés à(…)

- Christian Legrève, Elysee Somassé, Hélène Dispas, Yaëlle Vanheuverzwijn

Maisons médicales : les patients face au changement

Le contexte des maisons médicales évolue et celles-ci aussi. Quel regard les patients portent-ils sur les mutations en cours ? Éléments de réponse en compagnie de quelques-uns d’entre eux.

- Marinette Mormont

Un monde sans limite

Pour comprendre le néolibéralisme, on s’est dit qu’il fallait cerner ce qu’est le capitalisme. Mazette ! Rien que ça !

- Christian Legrève, Elysee Somassé, Hélène Dispas, Marie Dagnely, Pascale Meunier, Yaëlle Vanheuverzwijn

La route de la servitude intellectuelle

Par cartes blanches interposées, Corentin de Salle, directeur scientifique du centre Jean Gol, a réagi à la sortie de Manuella Cadelli, présidente de l’Association syndicale des magistrats. Une joute autour de cette question : « Le(…)

- Renaud Maes

L’Europe ordolibérale

Depuis une trentaine d’années, la construction européenne est fortement imprégnée des principes du néolibéralisme anglo-saxon. Mais sa matrice est avant tout l’ordolibéralisme allemand, qui a accouché d’une « Europe de la règle », encadrant strictement les(…)

- Lilian Lucas

L’OMS, rempart de papier ?

Pour analyser le fonctionnement de l’OMS, on peut partir de son organisation financière. Le budget programme de l’OMS est l’outil qui énumère les résultats escomptés et les crédits budgétaires nécessaires aux activités de l’organisation. Il couvre(…)

- Christian Legrève

Les pages ’actualités’ du n° 78

Santé mentale et première ligne

La réforme de la santé mentale dite « psy 107 » a été initiée il y a quelques années par des projets pilotes. Début 2016, nous devions passer à la phase d’implémentation définitive mais la ministre(…)

- Dr Olivier Mariage

Trois appels, trois signatures

La Fédération des maisons médicales cosigne trois appels sur des enjeux différents mais qui tous ont en commun le rejet d’une société qui marchande l’être humain et relègue la responsabilité collective et systémique face à ceux(…)

- Christophe Cocu

Les enjeux d’un séjour écourté en maternité

Les sages-femmes sont des acteurs incontournables de premier échelon du système de santé. La tendance au séjour écourté en maternité le confirme et souligne la nécessité d’une transformation de l’accompagnement des familles autour de la naissance.

- Gaëlle Chapoix