Rencontre avec des membres du bureau de la Fédération des associations des médecins généralistes de Charleroi (FAGC). Quelle est leur perception des limites de la première ligne ? Quelles perspectives entrevoient-ils ?
Médecins généralistes (MG) et médecins spécialistes n’ont pas la même approche du patient. Pour Yves Gérard, généraliste à Montigny-le-Tilleul et représentant de la médecine générale à la Plateforme de première ligne de soins en Région wallonne (PPLW), c’est une question de vision. « De manière schématique, analyse-t-il, le MG a une vision perpendiculaire : il rencontre les grands-parents et les parents, il soigne les enfants. Il a aussi une vision horizontale, car il touche au tissu familial et au milieu social. Il n’a pas à soigner uniquement le symptôme. Il voit la globalité du patient et agit de manière préventive et curative. » Globalité, le maitre mot. Pour Pierre Bets, MG depuis vingt ans à Jumet et depuis deux ans en association de santé intégrée (ASI), la globalité ne s’arrête pas à la médecine. « On est amené à faire de plus en plus de choses », constate-t-il. Parfois leur mission est de démédicaliser un problème. « Le mal-être ressenti n’est pas nécessairement une maladie et la solution n’est pas nécessairement médicale », explique Patrick Jadoulle, MG à la maison médicale La Glaise, à Marchiennes-au-Pont.De plus en plus de partenaires
Les relations entre le MG et les autres acteurs de la première ligne sont fréquentes, mais pas toujours faciles. Le premier métier avec lequel il a été amené à travailler, c’est l’infirmière à domicile. Le second, c’est le kiné. Aujourd’hui, d’autres intervenants deviennent aussi importants, le pharmacien par exemple. Pour Pierre Bets, l’idéal serait aussi d’avoir à ses côtés des psychologues, des assistants sociaux (AS), des secrétaires… « mais en pratique, déplore-t-il, ce n’est pas toujours possible financièrement. » Corollaire à un grand nombre de partenaires : la communication. « De nos jours, on ne peut plus imaginer deux médecins qui ne partagent pas des données médicales », remarque Didier Sauvage, MG en ASI à Montignies-sur-Sambre et président de la FAGC. C’est une évolution que son collègue Y. Gérard tempère. « Depuis quarante ans, dit-il, les médecins se rassemblent dans des associations locales, elles-mêmes souvent réunies dans le groupe de garde, mais la tendance actuelle est de voir disparaître la bonne collaboration d’avant. » Or, comme le rappelle Jean-Stephan Rochet, MG à Couillet : « Il faut continuer à se parler ».Le secteur social, un allié
Tous s’accordent sur l’importance de collaborer avec des AS. Mais cela reste plus simple à dire qu’à faire et ici aussi la communication est perfectible. La balle est dans les deux camps. Les médecins reconnaissent leur manque de connaissance du secteur. « Il y a un tel morcellement que c’est compliqué pour nous, dit Patrick Jadoulle. Ce sont des matières qui changent beaucoup et que nous ne maitrisons pas. » Assistant social de la mutuelle, du CPAS… Pierre Bets rêve de n’avoir qu’un seul interlocuteur par patient au lieu de plusieurs qui donnent des conseils parfois contradictoires. Les médecins ont aussi des attentes non rencontrées. « On aiguille souvent vers un AS, mais on a peu de feed-back », constate Jean-Stephan Rochet. Plus structurellement, le médecin devrait y mettre du sien : « On n’y voit pas toujours un intérêt direct pour nos patients, reconnait Yves Gérard. Nous sollicitons l’assistant social pour une perte d’autonomie, par exemple. Le patient a besoin d’encadrement et une coordination se met alors en place. Mais c’est généralement tard dans son évolution. »Ambivalence partagée
Plusieurs maisons médicales ont fait le choix d’engager un travailleur social, souvent sur fonds propres vu l’absence de financement extérieur la plupart du temps. Pour Pierre Bets, une piste de financement de ce poste pourrait se nicher dans une augmentation du forfait dossier médical global. « Mais il faudrait aussi probablement mieux organiser les différentes strates existantes, ajoute-t-il. Et mieux définir le rôle de chacun pour que nous puissions mieux orienter les patients directement. » L’AS n’est pas l’unique ressource. À Charleroi, la coordination de soins soutient les MG dans la prise en charge globale de leurs patients1. « Mais nous n’avons pas toujours le réflexe de téléphoner, dit Yves Gérard. Nous pourrions le faire quand nous suspectons des maltraitances par exemple. C’est un cas face auquel nous ne sommes pas bien placés pour poser un jugement. L’AS pourrait prendre le relais auprès de la famille tandis que nous poursuivrions notre travail de soin. » Pour Pierre Bets, le premier frein, c’est la crainte du partage. « Quand on donne quelque chose, on ne sait pas ce qui va en être fait, dit-il. Le dossier médical contient des données sensibles. Doit-il être ouvert au social ? » Peur de partager, mais nécessité de le faire. « Il faudra mieux organiser nos dossiers pour séparer ce qui doit et ce qui ne peut pas être partagé, ajoute-t-il. À la technique de suivre… et à nous aussi de nous motiver à l’encodage. » Au MG en effet de juger selon les cas. Didier Sauvage relate celui d’une personne qui s’est mise à pleureur dans son cabinet. « Cela ne regarde pas tout le monde, dit-il. Mais l’élément peut être utile lors de ma prochaine rencontre avec ce patient. J’ai appris à remplir des fiches qui contiennent des notes, que je garde pour moi. » Le patient ne se résume en effet pas à son sumehr. Cette question des données personnelles taraude également Yves Gérard. « Le principal frein que j’identifie au partage des données, c’est l’accord du patient, dit-il. Va-t-il accepter que le pharmacien ait accès à une série d’informations qui le concernent ? Et qu’en est-il de la réelle confidentialité de ces données ? Nous avons une responsabilité dans le fait que le patient se défait de la propriété de l’information qui le concerne. »Réflexion partagée ?
Plus largement, ces membres de la FAGC interrogent la place du patient et son rôle dans la réflexion autour de l’organisation de la première ligne de soins. Le patient doit rester au centre des préoccupations, mais… « C’est déjà tellement difficile de s’organiser entre médecins, observe Jean-Stephan Rochet. Plus on ouvre, plus il y a d’obstacles à lever. Il faudrait d’abord qu’on arrive à s’organiser entre nous. » La question que soulève ici Yves Gérard touche à la représentativité : « En siégeant à la PPLW, je suis confronté aux avis de professionnels de la première ligne qui mettent souvent en avant leurs propres difficultés au lieu de parler au nom de leur corporation, dit-il. Je crains que les patients fassent de même avec leurs préoccupations propres. » À moins, comme le suggère Patrick Jadoulle, d’avoir un méta- interlocuteur tel que la LUSS2 qui s’organise pour représenter des associations de patients qui ont des intérêts plus circonscrits. Pour lui, la réflexion sur l’organisation de la première ligne devrait aussi se faire plus largement, en incluant une réflexion sur la deuxième ligne. « Pour l’instant, dit-il, on a des spécialistes qui font de la médecine générale et des généralistes qui se spécialisent et ne font plus vraiment de la médecine générale. Il est important de redéfinir les missions et les tâches de chacun. » P. Bets enchaine : « Si la deuxième ligne était d’emblée mieux définie, plus de choses pourraient être prises en charge par la première, comme des consultations diabéto dans le cadre des trajets de soins par exemple. Cela coûterait moins cher à tout le monde. La réflexion sur les assistants de pratique en première ligne ouvre également des pistes : assistant de pratique social ou médical ? Les deux ont leur utilité. »Documents joints
- Cette coordination organisée par les généralistes inclut dans son conseil d’administration des mutuelles, la Ville de Charleroi, des kinés, des infi rmiers, des assistants sociaux et des médecins. Elle a pour but de mettre en place des soins à domicile, avec un numéro d’appel unique. Elle n’a pas ses propres prestataires, elle fait appel aux services existants.
- La LUSS (Ligue des usagers des services de santé) est la fédération francophone des associations de patients et de proches et le porteparole des usagers des services de santé.
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n°85 - décembre 2018
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