Aller au contenu

GICA (globalité, intégration, continuité, accessibilité), ces quatre lettres forment le socle sur lequel ont été posés les fondements des structures de soins intégrés que l’on nomme les maisons médicales en Belgique.

Hier

Fin des années 1960, le monde se réinventait, contestait, se mobilisait, tout semblait possible. Le paysage associatif et ambulatoire s’est redessiné avec l’apparition de nouvelles structures, les maisons médicales, plus accessibles, plus démocratiques, ancrées dans un territoire et les soignants ont commencé à repenser la première ligne de soins. Il s’agissait de répondre aux inégalités sociales et de santé et de penser la santé autrement, notamment en luttant activement contre la médecine à deux vitesses, à partir d’un mouvement contestataire et d’une proposition réelle et innovante. En 1981, le mouvement des maisons médicales organise sa première Assemblée générale et celles qui en sont membres ont trois grands objectifs à atteindre : se fédérer pour gagner en pouvoir d’action face à la médecine libérale, obtenir une reconnaissance des pouvoirs publics, rechercher et négocier un nouveau mode de financement. Le système du forfait sera reconnu en 1982. Grâce à lui, les patients ne payent plus directement le prestataire de soins : c’est la mutuelle qui verse mensuellement une somme forfaitaire fixe à la maison médicale pour couvrir les soins. Le montant forfaitaire est indépendant du nombre de représentants par profession dans la maison médicale et du nombre de contacts entre les patients et la maison médicale. Cela entraîne une solidarité importante entre tous les patients, qu’ils soient malades ou en bonne santé, puisque ce n’est pas le nombre de fois qu’ils recourent aux services de la maison médicale qui permet de recevoir de l’argent, mais le nombre de personnes inscrites.

Aujourd’hui

La Fédération compte 123 maisons médicales en Belgique francophone. 80 % fonctionnent au forfait et 20 % à l’acte. 270.000 patients y sont soignés par an, avec une moyenne d’âge qui se situe autour de 33 ans. 45 % sont bénéficiaires de l’intervention majorée (BIM) équivalente de la CMU-C. La plupart des maisons médicales fonctionnent avec une liste d’attente, car si l’offre est large, elle ne satisfait pas la demande croissante. Le soin est le mot d’ordre, il se décline au pluriel : des soins de qualité qui tiennent compte des acquis de la science, mais qui sont aussi empreints d’humanité et d’empathie ; des soins accessibles sur le plan géographique et financier ; des soins continus dispensés par une équipe de soignants qui travaille dans une logique de suivi à long terme ; des soins globaux qui tiennent compte de tous les aspects médico-psychosociaux et environnementaux et enfin des soins intégrés qui englobent l’aspect curatif, préventif, palliatif ainsi que la promotion de la santé. Il s’agit aussi de favoriser l’émergence d’une prise de conscience critique des citoyens vis-à-vis des mécanismes qui président à l’organisation des systèmes de santé et des politiques sociales. Dès lors, les maisons médicales mènent – avec d’autres acteurs de la vie sociale – un processus d’évaluation des besoins de la communauté afin d’y répondre de manière collective et co-construite. La convivialité entre travailleurs, la formation continue, la sensibilisation aux défis sociétaux font entièrement partie des dispositifs de soutien apportés par la fédération et ses membres. À ce propos, les ressources sur lesquelles les maisons médicales peuvent s’appuyer sont entre autres le travail en équipe, pluridisciplinaire, qui intègre également la dimension psychosociale. L’échange entre travailleurs, les réunions de concertation, un dossier médical commun permettent d’étoffer le travail et le soutenir dans une vision globale et intégrée. L’accueil de qualité, le plus large possible tout au long de la journée, permet au patient de bénéficier d’un sas dans lequel un temps d’écoute est déjà proposé.

Les démarches administratives sont collectivisées, et donc moins pesantes. Chacun, soignant, accueillant, gestionnaire, participe à un projet commun à partir de la place qu’il occupe, où le patient, loin d’être réduit à un symptôme, pourra être accueilli dans son entièreté. Un audit récent, mené à la demande de la ministre fédérale de la Santé, a montré que les maisons médicales avaient une utilisation pondérée et réfléchie des examens paracliniques et des médicaments et que les patients ont moins recours à la deuxième ligne de soins.

Le temps des actions collectives

Les maisons médicales se sont inspirées de la charte d’Ottawa (adoptée le 21 novembre 1986 lors de la première Conférence internationale pour la promotion de la santé), qui définit la santé non pas comme l’absence de maladie, mais comme une ressource à préserver, et qui dépend de différents facteurs et déterminants – dont sociaux — de la santé : La santé est perçue comme une ressource de la vie quotidienne, et non comme le but de la vie, c’est un concept positif mettant l’accent sur les ressources sociales et personnelles et sur les capacités physiques. La promotion de la santé ne relève donc pas seulement du secteur de la santé : elle ne se borne pas seulement à préconiser l’adoption de modes de vie qui favorisent la bonne santé ; son ambition est le bien-être complet de l’individu. »

Les maisons médicales intègrent pleinement ces aspects dans leurs pratiques. Il s’agit également d’interpeller les pouvoirs publics au sujet de problématiques influençant l’état de santé des populations. Une démarche volontariste de partenariat avec d’autres représentants de la population (syndicats et mutuelles, monde associatif) fait partie des missions des maisons médicales. L’ancrage au sein du quartier, la participation à certaines activités issues du tissu associatif et impliquant d’une façon ou d’une autre la santé des habitants, l’implication des travailleurs dans les actions de santé communautaire sont des manières d’opérationnaliser ces missions.

L’organisation de rencontres, fêtes, activités culturelles, débats avec les patients et les travailleurs d’autres institutions du réseau local font pleinement partie des actions menées, dans la convivialité et dans le souci d’établir et de renforcer les liens.

Au temps de la pandémie

En mars 2020, la Belgique a pris des mesures de confinement drastiques pour lutter contre la propagation du coronavirus. De nombreuses institutions du secteur social-santé ont été obligées de travailler en effectif réduit, voire de fermer leurs portes, pour respecter les consignes de distanciation sociale. La population quant à elle a dû faire face seule à cette situation délicate. Les personnes déjà fragiles, mal-logées ou isolées se sont retrouvées dans un état de plus grande vulnérabilité.

Les (semi) confinements successifs et les mesures restrictives vont avoir pour conséquences d’exacerber des problématiques déjà existantes et de priver certaines catégories de personnes des rares espaces de ressourcement à l’extérieur de chez elles. C’est le cas des personnes qui fréquentaient les centres thérapeutiques de jour, des personnes précaires qui se rendaient dans les restaurants sociaux, mais aussi des enfants et des femmes victimes de violence domestiques qui sont particulièrement à risque, car enfermés avec leurs bourreaux. Les personnes sans domicile vivent un véritable calvaire, elles ne peuvent plus faire la manche, car les rues sont désertes, certains lieux d’accueil sont fermés, les sanitaires publics sont eux aussi interdits d’accès… Enfin, certaines personnes sont encore actuellement privées de revenus pour une durée indéterminée. Les risques d’endettement sont multipliés. Tout ceci a et aura un impact sur la santé globale de la population tout entière.

Comme tout le secteur ambulatoire et les autres services social-santé, les maisons médicales ont été prises au dépourvu devant l’annonce d’un premier confinement, qui a nécessité une importante réorganisation des activités de soins et de prévention. Il s’agissait de réagir immédiatement à de l’inouï, à ce qui ressemblait au scénario d’un film catastrophe. Le modèle des maisons médicales a été menacé par ces nouvelles politiques et cette gestion de crise très pyramidale, unilatérale, autoritaire, non nuancée, biologico-centrée, qui n’a tenu et ne tient toujours aucunement compte du vécu des gens, des différences, des déterminants.

Le ton utilisé par les autorités reste désespérément le même depuis plus d’un an : menace, peur, culpabilisation, stigmatisation, infantilisation, criminalisation, punition, privation.

Et après ?

L’avenir, incertain, nous confronte à de nouveaux défis. Aujourd’hui, aucun retour complet à la normale n’est amorcé et le qui-vive reste de rigueur. Il est encore tôt pour tirer le bilan, pour s’extraire et prendre de la hauteur par rapport à ce fonctionnement de crise inédit.

Il sera pourtant nécessaire de renforcer notre modèle de soins. Celui-ci s’appuie sur une histoire de luttes et de mobilisations, mais aussi sur une vision de la santé aux antipodes de celle qui est diffusée depuis un an par les médias et les experts qui conseillent les autorités.

Le soin, l’accueil, l’écoute, la non-discrimination, la santé et l’action communautaire, la prévention… font partie des valeurs et des outils qui sont fondamentaux et non accessoires. Le retour au collectif et le tissage de liens forts permettent entre autres aux individus de s’inscrire pleinement dans le paysage des soins et dans la société afin que chacun puisse poser des actes responsables et sortir d’une forme d’infantilisation et d’injonctions normatives et non ciblées qui s’est frayé un chemin depuis plus d’un an. L’histoire doit s’écrire, ensemble, collectivement.


Article paru dans la revue Pratique n°94 de juillet 2021.