Médecins sans Frontières et la Fédération des maisons médicales s’associent pour lutter contre l’épidémie. Des équipes mobiles apportent leur soutien logistique et psychologique aux maisons de repos en Wallonie et à Bruxelles.
À la Maison Saint-Joseph, à Liège, cette idée est plus que bienvenue. « Les recommandations que l’on reçoit évoluent tout le temps, sur la durée du port d’un masque, sur les visières, sur ce qu’il faut faire en cas de manque de matériel… c’est difficile pour le personnel de s’entendre dire un jour qu’il faut faire d’une manière et le lendemain d’une autre », explique Suzanne Zander, la directrice. Cette maison de repos a été fortement touchée par l’épidémie, plusieurs résidents sont morts et un quart des travailleurs a été testé positif au Covid-19. « Il a fallu activer toutes les aides possibles pour retrouver une situation stable », dit-elle. Xavier Patti est l’un des nombreux travailleurs de maison médicale à avoir répondu à l’appel. En binôme avec une collègue, cet infirmier a mené de nombreuses visites dans des homes, qui pour la plupart débutaient par cette interrogation : « Qu’avons-nous fait de mal ? ». « En plus du sentiment d’avoir été lâchées, constate-t-il, la culpabilité des maisons de repos est très forte, l’angoisse également d’être étiquetées de mouroir… » Sa première tâche, dès lors, a été de les écouter.
Urgence et réactivité
Médecins sans Frontières (MSF), qui avait lancé cette opération de soutien à Bruxelles vers la mi-mars et en Flandre début avril, souhaitait l’élargir à la Wallonie. Un partenariat est rapidement monté avec la Fédération des maisons médicales, la Croix-Rouge et l’AViQ, l’Agence pour une vie de qualité. Pour rendre opérationnels les volontaires de ces institutions, MSF a conçu trois webinaires – des séminaires interactifs de formation par internet. Les deux premiers portent sur la préparation de la première visite en maison de repos, son organisation pratique, son déroulement général et la détection des besoins en santé mentale. Le troisième porte sur l’organisation par la suite d’ateliers et de séances éducatives. Ces modules sont accessibles sur un drive, de même que des fiches techniques ou des outils à partager avec les maisons de repos. « Nous avons voulu faciliter au maximum le travail des équipes partenaires, explique le Dr Marisel Méndez Yépez, responsable médicale du projet chez MSF. Nous répondons aussi aux questions qui émergent suite à ces visites : sur des produits d’entretien, sur l’évacuation de certains déchets, sur la ventilation… Le volet eau/hygiène/assainissement est très important en maison de repos. » En cas de besoin, celles-ci peuvent aussi bénéficier d’un suivi plus régulier. Des binômes soignants/chargés de promotion de la santé ont été constitués et, quand ils le souhaitaient, leur première visite sur le terrain s’est faite en présence de MSF. « Avant de se lancer seuls, ils étaient observateurs, voire coanimateurs, et rédigeaient également le rapport de recommandations à l’issue de la rencontre », poursuit Marisel Méndez Yépez. À Liège, cette forme de tutorat a été répliquée d’un binôme à l’autre, rendant les volontaires très rapidement opérationnels. Frédéric Palermini est le coordinateur de l’intergroupe local des maisons médicales, c’est lui qui a mis ce système au point. « On a été très rapidement submergé par les demandes d’intervention, dit-il. J’avais à ma disposition une vingtaine de travailleurs de maison médicale, soit une dizaine de duos. Il fallait jongler avec leurs disponibilités. Ils m’ont tous épaté, leur investissement est complet : ils ont vécu des choses très rudes et ils ont dû assimiler énormément de matière vu qu’accompagner des maisons de repos dans une réorganisation et un soutien psychologique n’est pas notre métier de base. » Xavier Patti confirme : « Quand je me suis engagé, confie-t-il, je ne savais pas qu’il y aurait autant de boulot. Le vendredi, émotionnellement, j’étais vidé. J’imagine ce que ça doit être au quotidien pour les personnes qui travaillent là. Quand on arrivait, certaines d’entre elles étaient en larmes. » Ces équipes mobiles étaient à l’œuvre partout en Wallonie, et à Charleroi aussi l’impact psychologique de la crise sur les personnels était palpable. « Même dans les maisons de repos où tout va relativement bien, les gens ont besoin de souffler, remarque Marie Delval, coordinatrice de l’intergroupe des maisons médicales du Hainaut. Nous avons présenté notre offre comme un dispositif d’aide extérieure, neutre, de soutien et d’accompagnement. Toutes craignent des reproches. »
La théorie et la pratique
Le modus operandi a été scrupuleusement suivi à la Maison Saint-Joseph : rencontre avec la direction, un représentant infirmier, un représentant du nettoyage et le médecin coordinateur ; vérification du matériel de désinfection et de son usage, tour du bâtiment, tout est passé en revue. « Le binôme qui nous a été attribué a suivi une grille d’analyse qui lui permettait de ne rien oublier, relate Suzanne Zander. Puis nous avons revu la sécurité d’une série de gestes que l’on pose tous les jours. » Ne pas briser la chaine du propre, faire durer le matériel quand on en a peu, revenir sur les fondamentaux est indispensable, car la routine est un piège. « Dans le feu de l’action, on veut faire vite et bien, mais ce n’est pas la bonne méthode », reconnait-elle. Les procédures de cohortage et d’isolement de résidents ont aussi été examinées. On pourrait penser qu’il est facile de rassembler toutes les personnes positives au Covid dans un même service et toutes les personnes négatives dans un autre. Pas du tout. « Elles sont chez elles dans leur chambre, dans leurs meubles, et les en sortir constitue une rupture de plus alors qu’elles sont malades, qu’elles ne voient plus leur famille, que certaines sont désorientées… On fait parfois pire que bien en les déplaçant. Il faut rester humain », insiste la directrice. Les binômes sont aussi attentifs au bien-être du personnel. Comment prendre soin de soi et de sa famille en rentrant à la maison ? « C’est une préoccupation importante, souligne-t-elle. Les travailleurs expriment clairement leurs difficultés à venir travailler et leur peur de transmettre le virus à leurs proches. » La méthode utilisée est très interactive et se veut rassurante. « C’est important pour nous d’entendre que nous faisons bien les choses, et que nous pouvons aussi les améliorer, dit encore Suzanne Zander. Ce qui ressort de cette expérience, c’est un renforcement positif. Ces binômes sont parvenus à nous redonner confiance et à faire évoluer les situations. » Aujourd’hui, les activités en maison médicale ont repris de manière plus soutenue et les travailleurs sont moins disponibles. Le soutien aux maisons de repos ne s’arrête pas pour autant. Le relais continue d’être assuré par l’AViQ et la Croix-Rouge, car il reste encore des clusters, des foyers d’épidémie à endiguer. « Il ne faut pas baisser la garde trop vite, prévient Frédéric Palermini, les maisons de repos ont toujours besoin d’aide. » Xavier Patti reste mobilisé : « Cette expérience ne sera pas la dernière pour moi, dit-il, car on n’en a pas fini avec ce truc. Tout le monde est concerné. » Et à Bruxelles Énorme soutien dans la capitale. Une centaine de soignants volontaires des maisons médicales sont également venus en renfort pour le testing, le dépistage du Covid-19, de quelque 3 200 résidents et du personnel des maisons de repos (et de soins), des initiatives d’habitations protégées, des résidences services et des maisons de soins psychiatriques. « Nous sommes intervenus à la demande, par équipe de trois, explique Estibaliz San Anton, coordinatrice de la Fédération des maisons médicales pour le dépistage à Bruxelles. Un médecin généraliste ou un infirmier pour effectuer le prélèvement, une personne de l’institution qui connait le patient et une troisième comme instrumentiste. » Elle s’est assurée que chaque résident soit averti de la démarche et de ses conséquences. « En effet, poursuit-elle, être révélé positif pouvait transformer significativement son quotidien, notamment changer de chambre, de milieu de vie.
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Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée,